Nouvelles
d'Orient
Nucléaire iranien,
la France s'oppose à une solution
Alain Gresh
Alain
Gresh
Dimanche 10 novembre 2013
Allez d’urgence voir le dernier film
de Bertrand Tavernier, Quai d’Orsay.
Il s’agit d’une description assez
cocasse du fonctionnement du ministère
des affaires étrangères français, et
d’un portrait un peu outré de
M. Dominique de Villepin. On en
retiendra pourtant ici la dernière scène
du film (ni outrée ni cocasse) : le
discours de Villepin devant le conseil
de sécurité de l’ONU,
le 14 février 2003, contre la guerre
en Irak. Cette brillante intervention
souleva une vague d’applaudissements aux
Nations unies, un lieu pourtant peu
habitué aux démonstrations
d’enthousiasme.
On ne savait pas encore que c’était
la dernière fois que la France allait,
en accord avec une ligne qu’avait
définie le général de Gaulle dans les
années 1960, faire entendre une voix
indépendante, une voix pour la paix, une
voix qui portait loin. Depuis, et
notamment sous la présidence de Nicolas
Sarkozy, elle est allée de renoncement
en renoncement, du retour dans
l’organisation militaire intégrée de
l’Organisation du traité de l’Atlantique
nord (OTAN) à un rapprochement
stratégique avec Israël, en passant par
un ralliement aux positions
néoconservatrices américaines sur le
dossier iranien. L’arrivée à la
présidence de François Hollande n’y a
rien changé. Là aussi, la continuité est
frappante.
Lire Olivier Zajec, « Cinglante
débâcle de la diplomatie française »,
Le Monde diplomatique, octobre
2013 Depuis des années, le dossier
iranien est traité au Quai d’Orsay par
des diplomates dont la connaissance du
pays avoisine le zéro et qui se
perçoivent comme les nouveaux croisés
d’une nouvelle guerre froide : pour eux,
l’Iran est l’incarnation du Mal. Ces
diplomates, très en phase avec les
néoconservateurs américains, ont été
pris de court par l’élection de Barack
Obama et n’ont cessé depuis de faire
savoir à quel point le président
américain était faible sur le dossier,
prêt à tous les compromis. Leur vision
est proche de celle du gouvernement
israélien. Cette intransigeance ne
concerne pas que le dossier nucléaire :
Paris explique qu’il refuse la
participation de l’Iran aux négociations
de Genève II sous prétexte que Téhéran
aide le régime syrien. Etrange
argument : n’est-ce pas justement les
parties en conflit qui doivent
négocier ? Une telle conférence
serait-elle possible sans la présence de
l’Arabie saoudite et du Qatar qui aident
les insurgés syriens ? Ce
jusqu’au-boutisme de la diplomatie
française sur le dossier syrien avait
débouché, on s’en souvient, sur une « cinglante
débâcle ».
Cette leçon ne semble avoir servi à
rien. Et malgré les rumeurs selon
lesquelles le dossier iranien serait
désormais directement traité à l’Elysée,
mécontent de la politique décidée par
Laurent Fabius, les négociations de
Genève des 7, 8 et 9 novembre ont
illustré le rôle néfaste de Paris.
Un accord était en vue après les
derniers propositions iraniennes. Les
ministres des affaires étrangères russe,
américain et chinois rejoignaient les
négociateurs. Catherine Ashton, la haute
représentante de l’Union européenne pour
les affaires étrangères, faisait de
même. Laurent Fabius, de son côté,
multipliait les mises en garde.
Après un entretien avec son homologue
iranien, M. Fabius estimait que « des
questions importantes subsist[aient], en
particulier sur le réacteur [nucléaire]
d’Arak ainsi que sur le stock et
l’enrichissement de l’uranium ». Sur
France Inter, il affirmait qu’il n’y
avait « aucune certitude qu’on puisse
conclure à l’heure où je vous parle »,
et mettait en garde contre « un jeu
de dupes » (lemonde.fr).
Finalement, les négociations
échouèrent ; elles devraient reprendre
dans une dizaine de jours et les pays
occidentaux ont tenté d’affirmer
publiquement qu’ils étaient sur la même
longueur d’onde. Ceci est faux, et
diverses confidences « off » de
diplomates américains et européens ont
confirmé le rôle néfaste de la France
qui exigeait notamment de l’Iran qu’il
renonce à l’enrichissement de l’uranium,
une revendication dont tout le monde
sait qu’elle est inacceptable (et qui
n’est vraiment demandée que par Benjamin
Nétanyahou qui a, comme Laurent Fabius,
exprimé son hostilité à l’accord).
Ainsi, parmi d’autres, Reza Marashi,
directeur adjoint du National Iranian
American Council (NIAC), un think tank
animé par des Américains d’origine
iranienne, présent à Genève, raconte sur
son
compte twitter comment Fabius « a
fait de la vie de Kerry un enfer »,
et rapporte cette confidence d’un
diplomate européen : « il y avait un
accord en vue jusqu’à ce que les
Français lancent une grenade (a
curveball, terme de baseball
intraduisible). Toute la journée il a
fallu limiter les dégâts »
(9 novembre).
Le ministre des affaires étrangères
suédois Carl Bildt expliquait aussi dans
un tweet le
9 novembre : « Il semble que les
discussions les plus difficiles à Genève
n’ont pas lieu avec l’Iran mais au sein
du groupe occidental. Ce n’est pas bon ».
On lira aussi l’article de Julian
Borger and Saeed Kamali Dehghan dans
The Observer (Londres, 10 novembre),
« Geneva
talks end without deal on Iran’s nuclear
programme » qui reprend les
multiples critiques contre l’attitude de
Fabius.
On pourrait multiplier les citations
et les confidences qui toutes confirment
une réalité : la France n’exprime
désormais sa différence avec les
Etats-Unis que pour aller dans un sens
plus intransigeant, plus
néoconservateur. Elle le fait en accord
avec deux de ses alliés, Israël et
l’Arabie saoudite. Fabius a déclaré
qu’il fallait prendre en compte les
craintes israéliennes sur sa sécurité —
rappelons qu’Israël possède au moins
deux cents têtes nucléaires (« Iran
nuclear deal unlikely as split emerges
in Western camp : diplomats »,
Reuters, 9 novembre). La monarchie
wahhabite, concurrente de l’Iran,
profondément impliquée en Syrie, est
quant à elle désormais régulièrement
consultée par Paris sur ce dossier.
C’est sans doute la manière qu’a la
France de soutenir les printemps arabes.
L’existence du Monde
diplomatique ne peut
pas uniquement dépendre du
travail de la petite équipe
qui le produit, aussi
enthousiaste soit-elle. Nous
savons que nous pouvons
compter sur vous.
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