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Lettre adressée au Dr Abdelkrim Zbidi,
candidat à l’élection présidentielle
tunisienne
Ahmed Manai
Samedi 24 août 2019
Traduit de l’arabe par Rania Tahar
Mon nom ne vous dit
peut-être rien, mais je suis un
observateur de la vie politique et y
suis impliqué à ma manière depuis des
décennies. Je suis de près ce qui se
passe actuellement sur la scène
politique, et dans le cadre de la course
effrénée pour les prochaines
présidentielles en particulier. Par
chance, et en toute modestie, je connais
de nombreux candidats à ces
présidentielles, dont certains depuis
plus de quarante ans, comme je connais
leurs partis, leurs organisations, leurs
sectes, leurs projets, les rêves et les
illusions qu’ils propagent, ainsi que
les forces internationales qui les
soutiennent politiquement,
financièrement, médiatiquement, etc… Je
vous ai découvert durant l’attentat
terroriste qui a eu lieu le 18 mai 2011
à Rouhia, lorsque vous avez déclaré que
le soutien américain était un besoin
urgent, ce qui m’avait beaucoup surpris
de la part du ministre de la Défense
lors de la première escarmouche avec
certains éléments terroristes.
Maintenant que vous
êtes un candidat officiel pour cette
élection et que vous jouissez de
nombreux soutiens, vous avez pris
l’initiative de publier les principaux
points de votre programme. Je souhaite
m’arrêter sur le point concernant le
rétablissement des relations
diplomatiques avec la Syrie et, selon
vos propos, rompre son isolement, dans
lequel vous avez fixé une date pour son
exécution.
Faut-il rappeler
que le regretté Beji Caid Essebsi
l’avait promis lors de sa campagne
électorale de 2014 et n’a pas tenu sa
promesse, car la rupture des relations
était une décision arabe et
internationale exécutée par leurs agents
en Tunisie ? A ma connaissance, cette
décision est toujours en vigueur et n’a
fait l’objet d’aucune concession, sauf
sur le volet consulaire.
Si vous êtes
déterminé à ouvrir une nouvelle page
entre la Tunisie et la Syrie, je vous
invite à exprimer votre solidarité avec
la Syrie, en condamnant les attaques
quotidiennes visant son peuple, sa
souveraineté et son intégrité
territoriale par les aviations turque,
israélienne et américaine.
Monsieur le
candidat,
Au cours des huit
dernières années, durant lesquelles la
Syrie a été confrontée à une guerre
mondiale à laquelle 80 pays ont
participé avec l’envoi de plus de 350
000 terroristes, dont quelque 15 000
Tunisiens, et un financement estimé à
400 milliards de dollars, dont 135
milliards de dollars dépensés par le
seul Qatar, les politiciens tunisiens se
faisaient une guerre sans merci dans la
course aux sièges, aux postes, aux
titres, aux privilèges, aux salaires,
aux promotions, se pliant aux plans, aux
allégeances et aux financements
étrangers. Ils ont fermé les yeux et les
oreilles sur les événements se déroulant
en dehors de leur cercle restreint et
n’ont pas réalisé que les grands
équilibres internationaux ont changé et
que la guerre contre la Syrie a généré
un nouveau pôle qui mettra un terme à
l’arrogance néocoloniale et que ce pôle
se renforce tous les jours pour
permettre finalement à tous les peuples
opprimés de retrouver leur souveraineté
et s’affirmer.
J’ai lu beaucoup de
témoignages de vos collègues et
camarades, dont certains vous ont connu
à la faculté de médecine de Sousse et à
qui j’ai posé des questions. J’ai
regardé votre dernière interview
télévisée, et je suis convaincu que vous
êtes un homme patriote, loyal, peu
bavard mais honnête dans vos propos.
Vous me rappelez un homme vertueux de la
première génération qui, lui aussi,
parlait peu et ne répondait à une
question qu’après avoir longuement
réfléchi. C’est feu Mohamed Masmoudi qui
préférait la vertu de l’action à la
mélodie du discours.
Monsieur le
candidat,
Après ces longues
années durant lesquelles notre
souveraineté nationale a été bafouée,
des résidents généraux et leurs affidés
ont gouverné notre pays et ont impliqué
la Tunisie dans des aventures coloniales
aux multiples facettes. Je vous invite à
prendre vos premières décisions, en tant
que Président de la République, en vous
retirant de la coalition internationale
contre le terrorisme qui a dévasté et
ravage encore l’Irak et la Syrie, de
l’alliance arabo-islamique qui a détruit
le Yémen et sa société, disloqué son
peuple et en a tué des centaines de
milliers, jeunes et vieux, ainsi que
l’engagement de négociations avec la
partie américaine pour mettre fin à sa
présence militaire en Tunisie.
Il est inacceptable
de céder la Base de Bizerte à un nouveau
colonisateur après que nous l’ayons
libéré de l’ancien en concédant les
sacrifices et le sang de centaines de
martyrs. Je vous invite également à
divulguer le contenu de l’accord
d’alliance avec les américains.
Renoncer à votre
salaire est une leçon et un exemple pour
tous les prédateurs de votre entourage
s’apprêtant à engloutir l’argent public,
comme je vous recommande la transparence
totale sur le financement de votre
campagne électorale. Si vous le faites,
vous aurez rendu à la politique
tunisienne quelque peu de sa noblesse et
lui aurez donné une dose de moralité et
une éthique dont elle a bien besoin.
Veuillez agréer,
Monsieur, ma haute considération
Ouardanine, le 23
Août 2019
Ahmed Manai
Président de
l’Institut tunisien des relations
internationales
Ancien membre de
la Mission d’observation de la Ligue
arabe en Syrie
Ancien
volontaire dans la bataille de Bizerte
Juillet 1961)
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