Opinion
Tunisie : ceux qui ne perdent pas le
nord
Ahmed Halfaoui
© Ahmed
Halfaoui
Lundi 29 juin 2015
Les réactions des
tenants de l’appareil idéologique à
l’opération, menée par le jeune
djihadiste de Sousse, sont pour le moins
inattendus pour la majorité des
Tunisiens. Notamment pour ceux qui ont
bravé les balles de la police de Zine El
Abidine Ben Ali. Au cœur de la campagne
médiatique, prétexte idéal, les dommages
causés à l’industrie touristique par la
terreur islamiste. D’un glissement à un
autre, il y a une entreprise manifeste
de s’attaquer aux seules libertés qui
vaillent. D’abord c’est à peine si les
louanges au totalitarisme passé sont
voilées, sous l’argument que la sécurité
régnerait si les forces de répression
n’avaient pas été fragilisées par la
« révolution ». Ensuite, la parenté est
faite entre la violence armée et les
mouvements sociaux. Mis sur le même
plan, les grévistes et autres
manifestants et les groupes djihadistes
grèveraient également le redressement de
l’économie du pays. L’union sacrée est
alors appelée contre les deux
« fléaux ». C’est ainsi que, sans
sourciller, toute une camarilla,
d’anciens profiteurs du système
bourguibo-benaliste, donne de la voix,
s’érige en « révolutionnaires »
dénonçant les « ennemis de la
révolution », avec une primauté des
attaques réservée aux luttes ouvrières.
Dans cette veine, la propriétaire de
l’hôtel lieu du carnage qui a coûté la
vie à une quarantaine de personnes, sans
attendre que le sang sèche, a organisé
une conférence de presse. Les
journalistes devaient s’attendre à ce
qu’elle traite de l’événement et de ses
conséquences sur le tourisme. Mais
l’essentiel de son discours a été de se
plaindre des atteintes à la liberté
d’entreprise, des syndicats accusés de
mener la Tunisie à la dérive, exigeant
de « siffler la fin de la récréation »
(sic !). La dame est députée du parti au
pouvoir, le parti de Béji Caïd Essebsi
et des benalistes blanchis par la
légitimité des urnes. D’aucuns
s’étonneront du probable tour de vis.
Ils ne devraient pas. La dame n’a pas
fait de lapsus. Jamais le pouvoir n’a
quitté ses détenteurs. Elle en témoigne
en parlant de « récréation », sachant
que les jeunes insurgés n’ont à aucun
moment réellement abattu le système en
place. Le semblant d’ouverture
démocratoïde concédé n’a pas transformé
l’Etat originel, qui est resté bien en
place. La révolution de palais qui s’est
débarrassé des figures honnies l’a
sauvé. L’Occident ne s’y est pas trompé.
Le satisfecit exprimé en témoigne et les
honneurs faits aux autorités de la
transition trahissent plutôt le
soulagement que rien n’a changé, sauf le
décorum qui rend le régime plus
présentable. Sans plus, le temps que le
bateau donne l’air de voguer sur des
eaux calmes avec le retour des caciques
aux commandes. Peu de cas est fait des
multitudes qui attendaient et qui
attendent toujours les fruits de cette
« révolution » qu’ont leur a fait
miroiter. Aujourd’hui que la vitrine est
fracassée, le régime se prépare à
prendre les devants pour museler le pays
profond, absent des joutes
« démocratiques », ignorant le sens de
ces mots qui ont fleuri dès le 14
janvier 2011, plongé dans la misère et
les incertitudes. Le pays profond d’où
tout est parti et d’où tout peut
repartir. Là sont les enjeux de l’heure
Ahmed.Halfaoui
Le sommaire d'Ahmed Halfaoui
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|