Palestine
Un départ de Gaza à Paris :
entre
nostalgie et souffrance
Ahmed Alustath
© Ahmed
Alustath
Mardi 2 février 2016
Après trois
mois d’attente fatale, en fin de
matinée, j’ai reçu un coup de fil :
-
Allô oui, Bonjour ?
-
Allô, Bonjour
Ahmed, c’est le consulat général de
France à Jérusalem.
Félicitations !, nous tenons à
t’informer que nous avons pu ENFIN avoir
une autorisation israélienne pour que tu
puisses passer par le passage d’Erez.
Donc, tu dois immédiatement réserver ton
billet d’avion d’Aman à Paris, et tu
devras partir demain matin au passage d’Erez,
et nous t’attendront à la sortie du
passage pour t’accompagner jusqu’à
Jéricho où il y a le passage de El-Karama.
-
Pardon ! Billet d’avion ?! Et demain
matin ?!
-
Oui, il faut le réserver immédiatement,
et prépare-toi pour demain matin. Allez
à demain.
-
D’accord, j’y vais
tout de suite, merci beaucoup, et à
demain.
Entouré par
la famille, qui coupait ses souffles
jusqu’à ce que j’aie raccroché le
téléphone. Ensuite, tant de questions
m’ont été posées que je n’ai pas su par
où commencer.
-
Qu’est-ce qu’on
t’a dit ? tu passeras par où ? as-tu eu
ton autorisation ? à quand le départ ?
etc.
-
Oui je l’ai eue
finalement, mais je ne pourrais pas voir
toute la famille et mes proches amis
avant de partir, parce que je vais
partir demain matin.
-
Quoi ! demain
matin !!!
Je me suis
mis tout de suite à me préparer :
d’abord, quelques achats vite faits, et
puis, la réservation du billet d’avion
dont j’ai souffert, car comme il était
environ 15h, j’avais dû parcourir toute
la ville afin de trouver une agence de
voyage encore ouverte. Mais quelle
chance ! J’en avais enfin trouvé une qui
était en train de fermer ses portes.
Rentrant
chez-moi le soir tout en pensant à mille
choses à la fois ; au voyage, à
l’arrivée, à la famille, aux amis, à
l’avenir, et même à un refus éventuel à
la dernière minute au passage, à cause
duquel le fil de mes pensées s’arrêtait
dans une impasse. Et puis, j’ai eu
la chance de voir quelques membres de ma
petite famille ayant pu venir pour me
voir. C’était gentil de leur part,
toutefois, je n’aime pas du tout les
adieux. Et après minuit, j’ai fait mes
valises n’importe comment. Et endormi à
3h du matin tout en faisant semblant, et
à 5h du matin, j’ai éteint le réveil
avant qu’il sonne.
Le moment du
départ était venu, où je ne voulais que
partir tout de suite, monter en voiture
et rouler vite ; je ne voulais pas
regarder ma mère encore une fois après
l’avoir saluée, car je ne peux pas
supporter voir ses larmes jaillir sur
ses joues.
Montant en
voiture, me dirigeant vers le passage,
et je me suis dit avec ironie
(FINALEMENT, JE VAIS POUVOIR SORTIR DE
GAZA) Hein, GAZA ; la grandeur du nom
suffit pour que l’on réalise la
souffrance que subit la population de ce
coin abandonné du monde. Où il est
beaucoup plus facile de voyager vers le
ciel que de se rendre à l’étranger.
En route, je
n’avais pas cessé de penser aux autres
étudiants de Gaza qui devaient partir
pour poursuivre leurs études à
l’étranger. Très peu d’étudiants avait
le droit de passer par le passage d’Erez,
se situant au nord de la bande de Gaza,
car celui, était intrinsèquement réservé
aux diplomates, aux internationaux, aux
journalistes et parfois aux patients.
Par ailleurs,
il y a un autre passage. Le passage de
Rafah qui se situe au sud de la bande de
Gaza, sur les frontières avec l’Egypte,
considéré comme la seule sortie
principale afin que la population de
Gaza puisse se rendre à l’étranger. Il
est cependant trop souvent fermé, il n’a
été ouvert que
26
jours durant toute l’année de 2015.
Les personnes
inscrites pour voyager par le passage de
Rafah comptaient presque une vingtaine
de milliers de personnes, et elles
étaient divisées en trois catégories
(les étudiants, les personnes ayant des
cartes de séjour à l’étranger, et les
patients). La catégorie des étudiants
dont je faisais partie était la plus
nombreuse, et je me rappelle même que
mon numéro de voyageur était 11050. En
revanche, très peu d’étudiants ont
réussi à franchir ce passage interdit.
Donc, c’est
le passage qui n’est pas vraiment un
passage, voire un barrage, où les rêves
des étudiants de Gaza s’écrasent, leurs
espoirs se fanent et leur avenir part en
fumée.
J’avais pensé
pour un instant, si j’étais resté à Gaza
comme tous les autres étudiants qui
n’ont pas pu partir, qu’est-ce que
j’aurais fait afin de ne pas abandonner
mes ambitions et mes rêves ?! Qu’est-ce
que j’aurais fait pour tenir les
promesses que je me suis faites ?!
Qu’est-ce que j’aurais fait pour
continuer à croire qu’un jour meilleur
viendra ? Ne serait-ce qu’on se le dit
depuis plus 60 ans.
Savez-vous ?, que nous les
palestiniens, il nous est interdit de
planifier pour le lendemain, car quand
nous palifiions, cela retournait de
telle ou telle manière contre nous. Nous
ne pouvons alors que de vivre au jour le
jour, parce que nous avons toujours eu
une vie pleine de surprises, mystérieuse
et incertaine, alors pourquoi aussi le
mode conditionnel ne devait peut-être
pas être un mode en français, mais
plutôt en palestinien.
J’ai réalisé
à quel point j’étais chanceux de pouvoir
partir, car si le consulat de France ne
m’avait pas fait mes autorisations de
sortie, je serais resté jusqu’à présent
à Gaza, voire, je n’aurais jamais pu
sortir. Il est vrai que je suis arrivé
avec deux mois de retard, mais quand
même, comme on dit : il vaut mieux tard
que jamais.
Et ce n’était
pas pour autant facile pour le consulat
de me faire sortir, parce que le fait de
faire une autorisation de sortie pour un
jeune âgé de 22 ans est assez compliqué
et demande au moins un mois et demi, et
à condition que l’on ne soit déjà
refusé. Et afin d’avoir une autorisation
israélienne, il faut absolument tout
d’abord avoir une autorisation
jordanienne qui est vraiment difficile à
obtenir aussi.
Avant
d’arriver au passage, j’ai compté le
nombre d’autorisations qu’il me faudra,
le nombre de passages par lesquels je
vais passer, et le nombre de fois que je
vais être fouillé. Et la question la
plus inquiétante que je n’ai pas cessée
de ressasser dans ma tête : me
laisseront-il passer ? Ou serai-je
refusé ?
Enfin arrivé
au passage d’Erez, et j’ai commencé à
franchir le premier point de passage qui
appartenait au gouvernement palestinien.
Mais à quel gouvernement ?! celui de
Gaza ou celui de la Cisjordanie ?!
Le ridicule
de la division palestinienne a même fait
qu’l’on passe par deux points de passage
palestiniens avant d’arriver au côté
israélien,
dont l’un appartient au gouvernement de
Gaza et l’autre appartient au
gouvernement de la Cisjordanie.
Après une
interrogation de routine dans les deux
points de passage palestiniens, je me
suis dirigé au côté israélien, où le
point de passage ressemblait à un
château fort à cause des portails
blindés, des murs très hauts, des
barbelés, et des caméras sophistiquées
installées dans tous les sens.
Juste à
l’entrée, il y a avait un seul monsieur
qui fouillait les valises des passagers,
il n’avait pas l’air d’être soldat, et
en plus, il parlait couramment arabe,
j’ai alors constaté qu’il peut être un
des palestiniens dont les parents sont
restés dans leurs villages et leurs
villes lors de la Nakba en 1948. Il ne
m’a pas fouillé, mais il m’a juste
demandé si j’avais du thym et du Doga !
J’ai été énormément surpris par la
question et j’ai répondu avec
ironie ¨non je n’ai pas. Est-ce encore
dangereux ?!¨
Et puis, j’ai
poursuit mon chemin, mais il n’y avait
aucun soldat ou officier, par contre,
ils nous voyaient par des caméras et
nous orientaient par des interphones
vers un grand appareil qui ressemblait à
une grande machine-à-laver, dans lequel
nous devions nous tenir débout pour
quelques instants afin d’être scannés.
Pour qu’ils vérifient que les passagers
n’ont rien d’explosif ou d’armes. J’ai
craint qu’on ait su aussi ce que j’ai
mangé au petit déjeuner ce-jour-là.
Après cet
appareil, je n’ai vu que des soldats
vêtus en des uniformes vertes avec des
mitraillettes, et quelques officiers qui
vérifiaient les autorisations des
passagers de derrière des guichets
vitrés et bien sécurisés. C’était la
première fois pour moi de me retrouver
si proche des soldats israéliens que
j’ai eu un sentiment étrange que je vais
être agressé ou arrêté. Cela pourrait
être dû à toutes les scènes que je
voyais en permanence à la télévision ou
sur les réseaux sociaux où les soldats
israéliens étaient agresseurs et les
palestiniens étaient agressés et
arrêtés. Néanmoins, je me suis vite
débarrassé de ce sentiment pour la
simple raison que je n’ai rien fait et
que j’ai une autorisation de sortie.
Enfin, laissé
passer, découvrant pour la première fois
ce qui est au-delà de ces hauts murs
nordiques, où j’avais toujours hâte de
mettre les pieds. Pour un instant ou
deux, j’ai senti comme si j’étais
chez-moi, j’ai respiré à pleins poumons
l’odeur du passé que ma grand-mère nous
racontait, et j’ai réalisé à quel point
elle avait raison lorsqu’elle disait
toujours que sa ville natale faisait
partie du paradis. Paix à son âme, nous
n’avions pas peut-être bien compris ce
qu’elle sentait !
Après
quelques minutes d’attente à la sortie
du passage, une voiture diplomatique du
consulat français est venue me chercher
pour m’accompagner du passage d’Erez
jusqu’au passage d’El-Karama à Jéricho.
Et étant moins âgé de 45 ans, je n’avais
pas le droit de me déplacer tout seul ne
serait-ce qu’avec une autorisation.
Dès que je
suis monté en voiture, je n’ai pas cessé
de tout méditer par la fenêtre, comme un
petit gamin qui regarde et découvre les
choses avec un œil curieux. J’ai eu
vraiment l’impression que tout me
parlait. Et en route vers Jérusalem,
j’ai vu un panneau sur lequel il était
écrit -
Ashkelon -, par conséquence, une
nostalgie qui n’est à nulle autre
pareille s’est éveillée en moi, car
c’est le nom de la ville natale de mes
ancêtres qui y vivaient avant 1948.
J’aurais bien aimé pouvoir la visiter
même si pour une toute courte visite.
D’ailleurs,
j’avais une grande envie hâtive de
joindre la ville de Jérusalem, notre
capitale, pour laquelle j’ai mis 22 ans
afin de la voir pour la première fois de
toute ma vie. Pendant toute la route, je
n’ai pas arrêté de poser la question si
on y est arrivés ou pas encore. Mais,
elle s’est fait évidemment connaître
toute seule, grâce à ses petites
montagnes glorieuses, à ses vieux
rochers témoins, à son architecture et
ses maisons antiques, à ses dômes sacrés
des mosquées et des églises qui se
manifestent de loin, et à la sérénité de
son ciel. Maintenant que je suis arrivé
à la ville de Jérusalem, j’avais regardé
tout ce qui m’entourait avec un œil
aguerri, de crainte que cette visite
soit la première et la dernière dans
toute ma vie. Je n’ai pas voulu sentir
plus tard que ces moments précieux
n’étaient qu’un rêve virtuel.
J’ai été
tellement enchanté par ses paysages
magiques, que j’ai eu le cœur qui
battait fort de joie. Et j’avais dit
pendant que nous roulions que je n’ai
jamais vu la vieille ville de Jérusalem
ainsi que la mosquée Al-Aqsa, on m’a
fait donc descendre de la voiture pour
quelques minutes, dans un endroit haut
d’où nous pouvons voir toute la vieille
ville de Jérusalem. Et il n’était pas
cependant dans notre chemin
vers Jéricho. C’était la même vue
magnifique que celle que je voyais
toujours à la télévision, où la mosquée
Al’aqsa et celle du dôme de rocher, et
l’église de résurrection se côtoyaient.
Je n’avais
envie que de rester méditer cette vue
sacrément magique, et j’aurais bien aimé
aussi pouvoir visiter la mosquée Al’Aqsa
de l’intérieur, mais je ne le pouvais
pas puisque je n’avais qu’une
autorisation de quelques heures. Je
n’avais pas sincèrement envie de quitter
Jérusalem, et j’aurais même souhaité si
je pouvais y habiter. Car je trouve que
ce n’est pas du tout juste que je
connaisse Paris mieux que Jérusalem.
Nous avons ensuite repris notre
chemin tout en y laissant mon cœur,
néanmoins, j’ai gardé l’espoir d’y
retourner un jour ou l’autre.
J’étais enfin
arrivé au passage d’El-Karama, où la
scène des points de passage et des
contrôles s’est reproduite encore une
fois. J’ai d’abord franchi un point de
passage maintenu par les autorités
palestiniennes, et puis un autre point
de passage israélien où on m’a demandé
d’attendre aparté avec quelques
passagers le temps qu’ils vérifient ma
permission. Et finalement, je suis passé
par un point de passage jordanien, me
dirigeant ensuite vers la capitale
jordanienne – Aman – d’où je suis monté
à bord d’un avion, vers la capitale
turque - Istanbul - où j’ai fait escale
pour deux heures, rejoignant plus tard
ma dernière destinations, la ville des
lumières, La capitale française Paris.
Je n’étais
pas vraiment réactif par apport à mon
arrivée, comme si j’habite en France
depuis toujours, parce que la fatigue du
voyage m’a gâché le plaisir de
l’arrivée.
Ahmed
ALUSTATH
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