Chronique de
Palestine
Pourquoi les réponses des Palestiniens
au projet d’annexion israélien
sont-elles si dérisoires ?
Adnan Abu Amer
Mur d'apartheid - Fresque murale
célébrant la résistance palestinienne -
Photo : ActiveStills.org
Samedi 27 juin 2020
L’armée israélienne
se prépare à l’annexion de la
Cisjordanie, et aux réactions
palestiniennes, bien que les appels à
l’action contre l’État d’occupation
risquent de rester vains dans les
circonstances actuelles.
Il est, en effet,
peu probable que les Palestiniens
s’engagent dans des activités contre
Israël pour diverses raisons, les
principales étant le rejet par
l’Autorité palestinienne de la
résistance armée (le président Mahmoud
Abbas est prêt à contrecarrer les
attaques contre l’État colonisateur), la
mauvaise situation économique et la
crainte du Fatah de voir le Hamas
prendre le contrôle de la Cisjordanie.
Le compte à rebours
de l’annexion commence début juillet, et
les services de sécurité israéliens
estiment que si l’annexion a bien lieu,
la résistance armée reprendra, tant en
Cisjordanie qu’en Israël, et qu’elle
pourrait provoquer l’effondrement de
l’Autorité palestinienne. Une nouvelle
intifada pourrait se déclencher.
L’armée et les
services de sécurité israéliens ont
évidemment envisagé la possibilité d’une
escalade post-annexion, et s’entraînent
à faire face aux différents scénarios
qui pourraient voir le jour dans les
territoires palestiniens occupés. Les
Israéliens sont très inquiets des coûts
des plans du gouvernement, qu’ils soient
financiers et économiques ou en termes
de sécurité et d’escalade sur le
terrain.
Les experts
israéliens en matière de sécurité et
d’économie estiment qu’il en coûtera à
l’État près de 288 millions de dollars
pour faire face à l’opposition
palestinienne à l’annexion. Une telle
somme, basée sur les dernières données,
déstabiliserait l’économie israélienne.
En outre, dans le pire des cas, le
recrutement des troupes supplémentaires
nécessaires sur le terrain coûterait
environ 28,8 millions de dollars par
bataillon ; chaque bataillon
opérationnel coûte 17 millions de
dollars par an, plus 11,5 millions de
dollars pour les salaires.
Au cours de
l’opération Bouclier défensif en 2002,
en Cisjordanie seulement, les forces de
défense israéliennes avaient recruté
cinq divisions, trois régulières et deux
de réserve, et chaque réserve comptait
20 à 25 bataillons, coûtant des millions
et des millions de dollars. Il faut
ajouter à ces dépenses le coût de la
police des frontières. Plus l’intifada
durera, plus son coût augmentera.
De plus, des
millions de dollars seront nécessaires
pour moderniser les infrastructures et
fournir des armes et des munitions
spécifiques aux soldats et aux tireurs
d’élite pour les manifestations. Le
cauchemar de la sécurité israélienne est
que les forces de sécurité
palestiniennes se joignent aux
opérations contre les colons illégaux et
les mouvements de l’armée sur les
principales routes de Cisjordanie. Si
cela se produisait, les Israéliens
seraient obligés, selon les analystes,
de mobiliser 10 bataillons de réserve
d’ici la fin de 2020, car alors les
Palestiniens n’auraient aucune raison
d’arrêter leurs opérations contre
Israël.
Cependant, ce ne
sont pas ces prévisions qui inquiètent
le plus les Israéliens qui s’opposent à
l’annexion ; tout le projet leur semble
néfaste, tant au plan moral et politique
qu’au plan sécuritaire. Rien n’est
gratuit en politique, et le plan
d’annexion va vite devenir un casse-tête
pour Israël.
Ce qui les inquiète
le plus est qu’elle pourrait susciter
une confrontation armée à la frontière
nord du Liban et des actions offensives
de citoyens palestiniens en Israël même,
comme cela s’est produit au début de la
seconde Intifada (Al-Aqsa), ce qui en
alourdirait encore le prix. Elle
pourrait également avoir des
conséquences régionales.
Certes, l’AP n’a
pas vraiment envie de rompre ses liens
avec Israël et ne veut pas perdre son
pouvoir politique et économique du fait
d’une escalade généralisée. Mais la
principale menace pour Israël n’est pas
l’AP ; c’est l’opinion publique
palestinienne. C’est un véritable défi,
et l’AP aura du mal à tenir sa promesse
selon laquelle l’arrêt de la
collaboration en matière de sécurité
avec les autorités d’occupation ne
s’accompagnera pas d’une vague
d’escalade.
La tension en
Cisjordanie, et la mort d’un soldat de
la brigade Golani frappé par une pierre
dans la ville de Ya’bad, laissent penser
que des opérations de résistance armée
se préparent, qu’il s’agisse d’escalades
organisées ou non. L’attaque a eu lieu
pendant une période relativement calme
pour Israël, qui a connu très peu
d’attaques hostiles, même s’il y a eu
quelques jets de pierres et quelques
cocktails Molotov. Ces derniers
incidents ont envoyé à Israël le message
que toute confrontation avec la
résistance palestinienne engendrera de
nouvelles tensions et de nouveaux
problèmes de sécurité.
Le calme relatif
qui a régné en Cisjordanie au cours de
la dernière décennie soulève d’ailleurs
des questions sur la coopération de l’AP
avec Israël et sur sa propre stabilité
économique. Malgré le statu quo
politique avec Israël, l’ère
présidentielle d’Abbas, qui dure depuis
2005, a été caractérisée par des crises
persistantes : Israël a lancé trois
grandes offensives militaires contre
Gaza en 2008-2009, 2012 et 2014 ; le
« soulèvement au couteau » de 2015 ; la
crise de la mosquée Al-Aqsa de 2017 ; le
déménagement de l’ambassade des
États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem en
2018 ; et les récents développements
dramatiques de « l’accord du siècle »
ainsi que la crise du coronavirus.
Les avertissements
stratégiques d’Israël ont ponctué ces
crises pour les empêcher de dégénérer en
un soulèvement armé de l’importance de
l’Intifada d’Al-Aqsa de 2000 ou en un
troisième soulèvement populaire de
l’importance de la Première Intifada de
1987. La menace d’une nouvelle intifada
ne s’est pas concrétisée. Cette
constatation nous amène à mettre en
cause ce qu’on pourrait appeler
l’étrange silence et la haine profonde
de l’AP à l’égard de la lutte armée
contre Israël, ainsi que de sa peur de
voir le Hamas se renforcer et prendre le
contrôle de la Cisjordanie.
L’absence de toute
véritable réponse palestinienne à
l’agression israélienne est due en
grande partie au fait que le peuple ne
fait plus confiance à ses dirigeants.
Pour lui, les hauts fonctionnaires de
l’AP sont corrompus et sont un obstacle
à la renaissance des institutions
politiques palestiniennes. Les sondages
d’opinion donnent une indication claire
de cette défiance, avec plus de 60 % des
Palestiniens qui attendent avec
impatience le départ de Mahmoud Abbas.
L’AP est incapable de mobiliser le
soutien du public pour les actions
qu’elle promeut et cela explique
pourquoi les réactions officielles au
projet d’annexion d’Israël sont si
inconsistantes.
*
Adnan Abu Amer dirige le
département des sciences politiques et
des médias de l’université
Umma Open Education à Gaza, où il
donne des cours sur l’histoire de la
Cause palestinienne, la sécurité
nationale et lsraël. Il est titulaire
d’un doctorat en histoire politique de
l’université de Damas et a publié
plusieurs ouvrages sur l’histoire
contemporaine de la Cause palestinienne
et du conflit israélo-arabe. Il
travaille également comme chercheur et
traducteur pour des centres de recherche
arabes et occidentaux et écrit
régulièrement pour des journaux et
magazines arabes.
8 juin 2020 –
Middle East Monitor – Traduction :
Chronique de Palestine – Dominique
Muselet
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