Algérie
Le président Abdelouahab Fersaoui a-t-il
un rêve
de foudre et de sang pour l’Algérie ?
Abdellali Merdaci*
Dimanche 2 août 2020
Alors que le destin du pays reste lié à
la crise sanitaire mondiale et à ses
lourdes conséquences socio-économiques,
des acteurs du champ politique
trépignent d’impatience pour reprendre
la marche vers un violent changement de
régime.
Au nom du hirak,
désormais infiltré par les islamistes,
Abdelouahab Fersaoui, président du
Rassemblement action jeunesse (RAJ), ne
manque pas en cette période de grande
fragilité, de démembrement sociétal et
de récession économique et industrielle,
d’exécuter sa funeste partition. Il
vient, à cet effet de pondre un factum
remarqué sur sa page Facebook, appelant
à relancer et fortifier le hirak. Soit !
Mais l’imprécateur ne dit pas à quel
titre et d’où il parle. De fait, il se
pose, à l’instar de beaucoup de
comparses échevelés, les Bouchachi,
Assoul, Tabbou, Boureg’â, comme un
tuteur du mouvement né le 22 février
2019 et il devrait assumer les tristes
conséquences de sa prose ampoulée.
Récemment élargi de
la maison d’arrêt d’El Harrach, le
président du RAJ, organisation qui a
bénéficié, en un autre temps, de
subsides et de formations d’organismes
américains d’exportation de la
démocratie dans les pays du Moyen
Orient, entend mobiliser le hirak pour
un objectif des plus scabreux :
continuer le combat contre le pouvoir
qui tente, martèle-t-il, de « se
recycler et assurer son maintien ». Dans
les faits, c’est une position
séditieuse : l’élection présidentielle
du 12 décembre 2019, qui s’est déroulée
sans heurt ni manquement aux principes
fondamentaux de l’organisation du vote
sur l’ensemble du territoire national,
s’impose par ses résultats à tout
Algérien. Peu importe que cette élection
fût boycottée par la majorité du corps
électoral, il est connu que dans de
traditionnelles démocraties
occidentales, des consultations
électorales d’intérêt national ont pu
être validées avec moins de 20 % des
électeurs inscrits. C’est bien –
convient-il de l’observer ? – contre un
président et un pouvoir légitimes que
Fersaoui s’emploie à ranimer le hirak.
Il est avéré qu’à
l’origine des marches du 22 février
2019, quasiment tombées du ciel et
rencontrant une ferveur populaire, il y
avait une nette opposition à un
cinquième mandat du président in
abstentia Abdelaziz Bouteflika et une
levée de bouclier contre un système
prédateur, dont les comptes et les
mécomptés carnavalesques sont soldées,
aujourd’hui, devant la justice.
Abdelouahab Fersaoui (et, certainement,
beaucoup d’Algériens avec lui, et pas
seulement dans le pays kabyle), peut
nourrir l’indéracinable conviction que
rien n’a changé. Et qu’il faille,
retourner sur le front des luttes pour
faire tomber le pouvoir du président
Tebboune. C’est clair. Sauf que rien
n’affirme que M. Tebboune et sa
présidence figurent un ersatz d’un
bouteflikisme dégénéré et qu’il est
(trop) tôt pour en juger.
Je ne sais pas quel
est le statut du RAJ, s’il appartient au
champ politique ou associatif. Pour
autant, rien ne devrait interdire à
Abdelouahab Fersaoui et à ses autres
membres – ainsi Hakim Addad et son
fieffé alter ego, « missionnaire »
de Dakar – de faire de la
politique, critiquer à l’envi le
président de la République et son
gouvernement et les faire –
effectivement – chuter dans les urnes et
s’emparer du pouvoir. Le jeu politique,
tel qu’il est perçu dans toutes les
nations du monde, ne peut excéder un
cadre d’activité légal, sans conseils et
financements d’organismes étrangers. Les
caciques du RAJ n’y ont-ils pas
dérogé ?
Cet enjeu
d’alternance politique, pourquoi
Fersaoui et le gouvernement occulte du
hirak, qui prétend disposer de l’appui
de l’extrême majorité du peuple algérien
ne s’y sont-ils pas prêtés – et ne s’y
prêteraient-ils pas ? Ce n’est pourtant
pas le cas. L’ambition du président du
RAJ est de rassembler, à nouveau, les
marcheurs du 22 février 2019 pour casser
le pouvoir actuel et dans ses marges
l’État algérien, écrire une page
lumineuse et romanesque de l’histoire du
pays. Cependant, il reconnaît à demi-mot
que les forces vives du hirak originel
se sont égaillées et c’est pour cela
qu’il aspire à réunir toutes les
chapelles du mouvement, en y intégrant
en bonne place les islamistes de Zitout
(Londres) et de Dhina (Genève),
rehaussés du col par le sociologue
français Lahouari Addi (Lyon), une
phalange de l’étranger curieusement
revigorée.
Il y a une raison à
la criante désaffection actuelle envers
le hirak : il est, à présent, assuré,
depuis le magistral livre-enquête de
l’universitaire Ahmed Bensaada (« Qui
sont ces ténors autoproclamés du hirak
algérien ? », Alger, Apic Éditions,
2020), qu’un questionnement intense se
développe dans la société mettant en
cause les évolutions du hirak au-delà de
la ligne de crête du printemps 2019,
entrevue par le philosophe Mohamed
Bouhamidi. Ce néo-hirak dépenaillé (dix
marcheurs, un récent vendredi, dans les
rues du Bardo exsudant un air de
déroute !) est maintenu à flot, vaille
que vaille, par trois titres de presse
privée d’Alger, surjouant l’ampleur du
phénomène, qui ont depuis longtemps
bafoué les règles éthiques de leur
métier. Cependant, plusieurs acteurs de
la politique, des médias, de
l’Université et de la société dans sa
diversité, dénoncent maintenant la
mainmise de Rachad, secte islamiste
créée à l’étranger par des survivants du
FIS dissous et de ses démembrements
armés.
Abdelouahab
Fersaoui est bien conscient de cette
chape ombreuse jetée sur un hirak
premier, autrefois glorieux, qui n’a
plus aucune existence réelle dix-sept
mois après son lancement hors de
l’agitation de quelques chefs, comme
l’énonce Bensaada, « autoproclamés »
(Une question s’impose : En quoi le
président du RAJ est-il fondé à
interpeller les Algériens et à les
remettre en marche ?). Mais l’intention
est de faire feu de tout bois et les
vieux sarments islamistes sont réputés
les plus cruellement inflammables. Le
président du RAJ a une formule qui vaut
son pesant de bois de gibet : « Le
retour des anciens paradigmes des années
90 et des débats idéologiques dans le
contexte actuel est inquiétant ».
Certes. Que faire lorsque le hirak
nouveau est nu et que la nuisance de ces
« paradigmes », remis en selle par lui
et ses acolytes, n’est ni rassurante ni
oubliée ? La réponse est cinglante : le
débat sur les méfaits islamistes n’est
pas proprement exclu, mais renvoyé aux
calendes grecques. Ce qui permet au
président Fersaoui en mettant bout à
bout ces « paradigmes » de construire un
vertueux syntagme : « cela ne peut se
faire que dans le cadre d’un État de
droit, démocratique et garantissant les
libertés » – dont devrait strictement
accoucher le néo-hirak. Un « État de
droit » justement, sous l’ornière de
l’islamisme. Indéchiffrable nuance
asymptotique, lorsqu’il est demandé à
l’incendiaire d’éteindre les feux qu’il
a allumés et aux criminels de juger
leurs crimes. Abdelouahab Fersaoui
estampille cette improbable vérité. En
attendant l’avènement de cet État
providentiel, la lutte continuerait avec
des islamistes plus hargneux que jamais
et leurs donneurs d’ordre à l’étranger.
Si le RAJ est un
parti politique habilité, enregistré sur
les tablettes de l’État et activant sous
son contrôle, Abdelouahab Fersaoui qui
agence un renversement du pouvoir par la
rue n’est plus dans la légalité. Alors
que le hirak n’est qu’un mouvement très
circonstancié, qui a épuisé son cycle de
vie, le président du RAJ souhaite le
reconstituer, lui donner une consistance
statutaire et « l’inscrire dans la
durée ». En dehors de toute homologation
institutionnelle et pour un dessein
factieux : changer de régime sous le
pavois islamiste.
Ce pouvoir abhorré
par le président du RAJ et ses
délégataires, malgré un tableau
politique encore peu rassérénant sept
mois après son installation (ainsi
l’aventureuse et brève nomination d’un
Français au gouvernement), est légal et
légitime. Abdelouahab Fersaoui et ses
amis « ténors autoproclamés » le savent,
qui ne sont que le marchepied de
l’islamisme en quête de revanche contre
l’Algérie et les Algériens. Mourad Dhina
vient de le rappeler depuis Genève dans
un post en ligne : la guerre n’est pas
finie, contre le régime, contre l’armée
dont il vient de justifier l’assassinat
de jeunes appelés du Service national
dont Hocine Bensaada (1973-1994), frère
de l’écrivain Ahmed Bensaada, et
d’entacher l’itinéraire de ses généraux
– « janviéristes », décédés ou vivants –
héros de la résurgence de la nation
algérienne.
Ce n’est pas d’Abdelouahab
Fersaoui (et de son fan-club de France 5
qui a marché pour une radicale mutation
des mœurs, notamment la libération du
sexe, des terrasses à bière d’Alger et
d’Oran et du « heavy metal ») que le
gouvernement algérien devrait le plus
s’inquiéter. Le président du RAJ, qui a
porté à son horizon un idéal d’éternel
jeunisme, est promis, malgré son
enthousiasme entier pour un changement
révolutionnaire, aux bûchers que sauront
lui ériger ses maléfiques alliés de
l’heure, tâcheron de cette nébuleuse
d’agents islamistes, qui de Londres à
Paris, Lyon et Genève, alliée aux
Américains, adossée à l’argent sombre
des monarchies arabes, n’attend que
l’occasion pour donner le coup d’épaule
qui ébranlera l’État algérien et la
République algérienne démocratique et
populaire pour ouvrir la voie à une « libyanisation »
du pays.
Le président
Fersaoui, avide de démocratisation de la
société algérienne doit savoir qu’il a,
de Londres à Genève, de « bons amis »
qui portent encore (et porteront
toujours) sur leurs mains le sang des
Innocents et des martyrs de ces
mal-nommés « paradigmes des années 90 ».
Faut-il croire qu’il ait rêvé ce monde
de cataclysmes, un rêve de foudre et de
sang que l’islamisme sous la toge
empoisonnée du néo-hirak attend
patiemment de faire tomber sur le pays.
*Écrivain,
critique et historien de la littérature.
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