Opinion
La déchéance de la nationalité
française, une agression contre la
nationalité française, contre sa valeur
humaniste et universaliste
Abdellah Ouahhabi
Dimanche 10 janvier 2016
Les dessous politiques du projet
législatif de modification
constitutionnelle de François Hollande.
La proposition gouvernementale
vise deux objectifs : la gestion de la
violence d'État et les différents
statuts juridiques des personnes vivants
sur le territoire français.
Nous allons aborder
ici la question du statut des personnes,
le projet de déchéance de la nationalité
française des personnes nées en France
ET convaincues de crime terroriste. La
commission d'un crime terroriste n'est
donc pas suffisante pour déchoir le
criminel de sa nationalité. Il faut
aussi qu'il fasse partie des millions de
Français qui ont aussi une autre
nationalité.
Sarkozy demande que
la déchéance intervienne non pas pour un
crime terroriste commis par un double
national, mais dès la commission d'un
délit terroriste. Cela montre que la
frontière de la déchéance de la
nationalité est mobile. Personne ne peut
nous dire ce qu'elle sera demain...
Hier, ce fut De Gaulle, Mendès France et
Cohn Bendit.
Les deux critères
de commission d'un délit ou d'un crime
terroriste et la double nationalité sont
indépendants l'un de l'autre. En
conclusion, la mesure ne peut pas être
appliquée sans avoir AU PRÉALABLE classé
les citoyens français en deux catégories
distinctes : les Français révocables et
les Français irrévocables. Cela rappelle
de façon à s'y méprendre le statut de
l'indigénat dans l'empire français, qui
comprenait deux qualités de Français :
les "Français supérieurs" et les
"Français inférieurs" parce
qu'indigènes.
Ce clivage a fait
perdre ses colonies à la France ; il
donnera naissance dans le futur à de
très graves conflits intérieurs
socio-politiques du type Black Panthers
ou Black Army of Liberation aux USA...
sans compter le retard économique et
social que cela imposera au pays.
Ce projet est en
contradiction avec l'article 1er
de la Constitution qui ne sera pas
retiré de la Constitution par l'adoption
de l'amendement proposé ; il stipule :
"La France est une République
indivisible, laïque, démocratique et
sociale. Elle assure l'égalité devant la
loi de tous les citoyens sans
distinction..." Il est
anticonstitutionnel d'adopter des lois
sélectives qui ne s'appliquent qu'aux
unijambistes ou uniquement aux blonds ou
uniquement aux noirs ou uniquement à
ceux dont l'adresse se situe dans des
zones défavorisées. Ce n'est qu'un
prétexte pour dissimuler les vraies
motivations inavouables.
Ainsi, Monsieur
Hollande qui a été élu par un vote de
TOUS les Français va demander de faire
passer plusieurs millions d'entre eux au
statut de Français révocables. Sous un
prétexte fallacieux, il a décidé de
créer une majorité électorale de
"Français supérieurs" contre une
minorité de plusieurs millions de
personnes, des "Français inférieurs", de
nationalité révocable. C'est une
trahison de la Constitution et d'une
partie importante de l'électorat : ils
n'ont pas voté pour Hollande pour qu'il
les place dans un statut juridique
inférieur... et pour un intérêt
pratique nul pour l'État ! C'est bien un
coup d'État à la faveur d'évènements
ponctuels tragiques... Comme le fit
Pétain après l'invasion de la France.
D'ailleurs, on nous
dit que "la France est en guerre" pour
justifier ces mesures extrêmes. Mais
c'est un mensonge : la guerre, ce n'est
pas ce que nous vivons. En 1939, c'était
la guerre. Au Vietnam, c'était la guerre
; en Algérie, c'était la guerre. Des
milliers et des milliers de morts, de
destructions. Parler de guerre dans le
cas présent est une métaphore
littéraire. Cela ne justifie en rien la
fin des libertés privées et la déchéance
de statut de plusieurs millions de
Français en raison de leur origine.
Nous sommes
confrontés à de tragiques évènements
consécutifs d'une part aux opérations
extérieures de l'armée française
(terrorisme venu de l'étranger) et à des
décades de déficit démocratique,
économique, social et culturel envers
les couches de la population les plus
défavorisées (terrorisme local par
désespoir et par manque d'avenir). La
solution dans un cas comme dans l'autre
est de nature prioritairement politique.
L'aspect technique, sécuritaire ne peut
prospérer qu'en présence d'une action
vigoureuse et durable de nature
politique, économique, sociale et
culturelle. Pour le moment, nous avons à
faire à des terroristes "pieds nickelés"
: ils laissent leurs papiers d'identité
dans la voiture, ils utilisent le
téléphone portable et Internet. Mais au
Vietnam, en Algérie, les rebelles
n'utilisaient aucun des moyens contrôlés
par le gouvernement. Les atteintes aux
libertés publiques les plus graves n'ont
pas permis de gagner ces guerres. Même
dans le cas de conflits internes
opposant une minorité à une majorité,
les troubles peuvent durer des décades
tant que les inégalités économiques de
départ ne sont pas résorbées : Irlande
du Nord, Pays Basque, Corse, etc… .
La torture, les assassinats de masse, la
prison n'ont pas contribué à la
solution, mais cela l'a retardée.
Si le gouvernement
croit au succès des seules solutions
basées sur les techniques de répression
(après la justice expéditive intitulée
"tribunaux anti-terroristes", va-t-il
demain utiliser la torture de Français
révocables ou irrévocables "pour
empêcher que des crimes soient commis"
comme cela fut dit pendant la guerre
d'Algérie ?. Il se trompe
profondément ; aucune pratique à
outrance, aucune technique de
répression, aucune limitation des
libertés ne peut apporter la solution
d'un problème politique. Demain,
apparaîtront des rebelles aguerris,
décidés. Les troubles sociaux dus
à la politique suivie jusqu'ici par les
partis de droite et de gauche ne font
que commencer. Le problème est
l'absence du minimum d'égalité et de
fraternité, dans la liberté au sein de
la société. Ce problème est
fondamentalement politique et il impose,
qu'on le veuille ou non, une solution
fondamentalement politique contraire à
la déchéance statutaire de millions de
Français.
Personne ne prend
la défense des délinquants, des
criminels, des terroristes.
Personne ne s'oppose à des peines
exemplaires dans le cadre de la justice,
sous le contrôle des magistrats
indépendants - garantie de l'État de
droit. Mais, il est temps que la
société comprenne l'abîme qui s'ouvre
devant elle avec ces propositions
constitutionnelles qui ne semblent être
efficaces que pour collecter les
suffrages de la droite extrême et
l'extrême-droite.
Monsieur le
Président,
Je suis né et j'ai grandi comme un
Français inférieur dépendant du statut
de l'indigénat. Une guerre après, je
suis enfin devenu citoyen de plein droit
de mon pays d'origine. Je vis en France
depuis quarante-trois ans. L'État
français est intervenu vigoureusement
auprès de l'URSS pour obtenir que mon
fils, Français, puisse vivre en France.
J'ai acquis la nationalité Française par
le mariage. Mon fils est Français. Or,
comme pour la nationalité française,
dans le monde, beaucoup d'autres
nationalités ne se perdent pas et se
transmettent de père en fils, de
génération en génération ; elles sont
automatiques.
Votre projet de
modification constitutionnelle ne
précise pas pendant combien de
générations on peut être Français
inférieur, révocable. J'ai une haute
idée de la fonction de Président de la
République et je suis fier d'être
aujourd'hui un Français de la même
qualité que vous.
Vous devez
savoir aussi que le projet que vous
avancez est une atteinte à la
qualité de la nationalité française
elle-même. Celle-ci, devenant une
citoyenneté à étages, ne sera plus
humaniste, universelle. La France
cessera d'être la patrie des droits de
l'homme puisque selon les circonstances
et les aléas législatifs, une partie de
ses citoyens relèveront d'un statut
inférieur susceptible de les déchoir
alors qu'une autre partie des citoyens
seront toujours Français, quel que soit
le crime qu'ils commettent.
Bien sûr cela ne
s'oppose pas à la déchéance pour les
personnes ayant acquis la citoyenneté
par fraude.
Je refuse de
redevenir demain, à soixante dix ans, un
Français inférieur, révocable. Je
voudrais garder la même qualité de
citoyenneté que vous, dans les mêmes
circonstances que pour vous. Selon
l'esprit et le texte de la Constitution
actuelle, il ne devrait y avoir qu'une
seule qualité de nationalité française.
Changer cela reviendrait à modifier en
profondeur la nature de l'État français
en lui inculquant un contenu racialiste.
Abdellah
Ouahhabi, ancien réalisateur et
producteur TV Française.
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