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État islamique, le retour ?
Abdel Bari Atwan
Abdel Bari
Atwan - Photo : Quantara.de
Lundi 21 janvier 2019
Abdel Bari Atwan
– Les théories abondent à propos de
l’attentat contre les troupes
américaines à Manbij.
L’attentat-suicide
qui visait un restaurant fréquenté par
le personnel américain à Manbij, dans le
nord de la Syrie – qui a tué cinq
Américains, onze membres des Forces
démocratiques syriennes (SDF) et un
certain nombre de civils – pourrait
constituer un double avertissement tant
pour la Turquie que pour les États-Unis.
Son principal message était que la zone
de sécurité de 20 km de large que le
président yip Erdogan veut
établir le long de la frontière
turco-syrienne ne serait pas du tout
sécurisée, et que l’attaque –
revendiquée par le groupe de l’État
islamique (EI ou Daesh) – pourrait être
la première goutte dans ce qui peut
devenir un déluge. Les théories du
complot à propos de l’incident abondent,
de même que les doutes quant à la
prétention de Daech de l’avoir réalisé.
Les sceptiques avancent plusieurs
arguments:
Premièrement, Daech
n’a attaqué aucune cible américaine
depuis près de deux ans. Ceci malgré le
rôle de premier plan des États-Unis dans
la lutte contre le groupe, à la tête
d’une coalition de 65 États visant à le
détruire, en bombardant ses bases et ses
positions, en armant et soutenant ses
opposants principalement kurdes, les
SDF, et en permettant à ces derniers
d’envahir sa capitale, Al-Raqqa. et la
plupart du territoire qu’il contrôlait.
Deuxièmement, de
puissantes forces aux États-Unis
s’opposent à la décision du président
Donald Trump de retirer toutes les
troupes américaines de Syrie et de
cesser de protéger leurs alliés kurdes,
notamment le secrétaire à la Défense
James Mattis, qui a présenté sa
démission en signe de protestation. Les
agences de sécurité américaines seraient
peut-être à l’origine de l’explosion
dans le but d’empêcher ce retrait…
Troisièmement, les
SDF et d’autres groupes kurdes ont
vivement critiqué le retrait américain
et le vivent comme un coup de poignard
dans le dos. Certains les soupçonnent
d’être à l’origine l’attentat,
directement ou indirectement. Ils
contrôlent Manbij depuis deux ans et les
forces américaines qui effectuent des
patrouilles conjointes avec les SDF
n’ont encore jamais été prises pour
cible.
Quatrièmement, les
dirigeants syriens s’opposent fermement
à la présence des forces américaines
dans le pays et à la création d’une zone
de sécurité supervisée par la Turquie le
long de sa frontière nord. Elle a
qualifié la proposition d’attaque contre
sa souveraineté et a été fermement
soutenue par la Russie, dont le ministre
des Affaires étrangères a insisté pour
que tout le territoire syrien soit sous
le contrôle de l’armée arabe syrienne.
Alors, cette attaque-suicide aurait-elle
pu être une réponse ?
Le contexte reste
floue. Si l’État islamique était
effectivement à l’origine de
l’explosion, ce qui ne peut être exclu,
cela signifie que la déclaration de
Trump disant le groupe a été vaincu et
détruit était prématurée – cela évoque,
malgré les différences, l’annonce de la
« mission accomplie » de l’ancien
président George W. Bush au sujet de
l’Irak.
Si Daesh était
responsable, cela pourrait signifier
qu’il est en train de ressusciter des
décombres de la destruction de ses
principales bases à Mossoul et à Raqqa
et qu’il met en œuvre son « Plan B » –
entrer dans la clandestinité pour mener
des attaques « terroristes » et se
venger des américains. Ou encore, Daesh
a peut-être décidé de s’associer aux
puissances régionales qui s’opposent à
la présence américaine en Syrie, et
peut-être aussi en Irak, selon le
principe : « L’ennemi de mon ennemi est
mon ami ».
Il est difficile de
dire à ce stade laquelle de ces théories
est la plus plausible. Mais il est
possible de prévoir que la zone de
sécurité envisagée par les États-Unis et
la Turquie pourrait se transformer en un
piège pour les deux partis. En outre,
l’attaque à la bombe pourrait ne pas
retarder le retrait des forces
américaines du nord de la Syrie, mais au
contraire l’accélérer.
Trump a peut-être
été informé que les forces américaines
seraient ciblées par des
attentats-suicides, et il a pu décider
de les retirer plutôt que de répéter
l’expérience sanglante de l’Irak et de
subir de nombreuses pertes en vies.
La Syrie et la
farouche opposition de la Russie à la
création d’une zone de sécurité dans le
nord de la Syrie sous les auspices de la
Turquie et avec la bénédiction des
États-Unis sont très importantes. Il
s’agit d’un avertissement clair qui ne
nécessite aucune autre explication et
implique que les conséquences pourraient
être graves. La question est de savoir
si le président turc entendra le message
d’une manière ou d’une autre,
réexaminera rapidement ses calculs et
évitera de tomber dans ce piège
américain pouvant s’avérer très coûteux.
Nous n’avons pas de
réponse, car nous n’en sommes qu’au
début. S’il est vrai que l’EI, après
s’être déchargé du fardeau de
l’administration de son « État » et de
son territoire sous contrôle, revient
aux attaques-suicide, ce pourrait être
un autre tournant dans la crise, pouvant
modifier les alliances et redistribuer
les cartes dans la région.
Abdel Bari Atwan
est le rédacteur en chef du journal
numérique
Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de
L’histoire secrète d’al-Qaïda, de
ses mémoires,
A Country of Words, et d’Al-Qaida
: la nouvelle génération. Vous
pouvez le suivre sur Twitter :
@abdelbariatwan
*20 décembre
2018 –
Raï al-Yaoum – Traduction :
Chronique de Palestine – Lotfallah
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