Chronique de
Palestine
La Palestine face à un avenir de
dépossession,
de racisme, de ségrégation
et d’apartheid
Abdel Bari Atwan
Abdel Bari Atwan -
Photo : Quantara.de
Mercredi 8 juillet 2020 Si le dernier
vol de terres entraîne la réponse qu’il
mérite, un bien pourrait encore sortir
d’un mal.
Cela rabaisse et
dévalorise la cause palestinienne que de
la réduire à la question des 30% de la
Cisjordanie et de la vallée du Jourdain
que Binyamin Netanyahu veut annexer à
Israël. Le territoire visé par
l’annexion est déjà sous occupation,
tout comme la Palestine dans sa
totalité.
Pourtant, pendant
de nombreuses années, le monde a gardé
le silence sur cette occupation, bercé
par les tromperies d’Israël et la
collusion de ses partenaires
internationaux, se laissant bercer par
l’illusion que les accords d’Oslo et
leurs fausses promesses y mettraient fin
d’une manière ou d’une autre.
Ce n’était pas
seulement une erreur. C’était un crime.
La « zone A », qui
est sous le « contrôle » totalement
fictif de l’Autorité palestinienne (AP),
ne représente que 18% de la Cisjordanie.
Les zones B et C constituent les 82%
restants. C’est là que l’annexion doit
se produire conformément à l’ « accord
du siècle » de Donald Trump, afin de
rendre permanent sous la loi israélienne
le statu quo actuel.
L’ONU et les
gouvernements européens ont condamné les
plans d’annexion d’Israël. Mais ces
condamnations ont été formulées
principalement par souci pour Israël et
son avenir à long terme en tant qu’État
juif, et non pour le peuple palestinien
et ses droits légitimes dans sa patrie.
Aucun État européen
n’a même fait allusion à l’imposition de
sanctions à la suite de ces
condamnations. Ils ont simplement lancé
des avertissements et des appels pour
qu’Israël reconsidère sa position. Deux
d’entre eux – la Hongrie et l’Autriche –
se sont même opposés à l’utilisation du
terme « condamner ».
A lire également :
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faux-semblants
Ce qui convient le
mieux aux Européens et aux Américains,
c’est de laisser ce statu quo
dans les Territoires occupés perdurer
indéfiniment dans le calme, avec le
moins de résistance palestinienne
possible.
Il en va de même
pour les gouvernements arabes qui
suivent leur exemple et sont engagés
dans leurs projets de « normalisation ».
Tous craignent que
l’échec du projet de l’Autorité
palestinienne et la fin de sa
coopération avec les Israéliens en
matière de répression ne déclenchent une
nouvelle Intifada ou une recrudescence
de la résistance en Cisjordanie. Cela
ramènerait la cause palestinienne à la
case départ – avant l’ère d’Oslo et sa
croyance infondée en un « ordre
international fondé sur des règles » –
et déclencherait une nouvelle lutte de
libération sous une nouvelle direction,
plus jeune et plus engagée.
C’est ce qui
inquiète le plus les Israéliens et leurs
partisans occidentaux.
Le péché capital
commis par l’AP, héritière de
l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP), a été de nier
l’occupation et de devenir son
facilitateur. Au cours des 27 dernières
années, l’AP a été transformée en un
instrument répressif pour protéger les
colons israéliens. Tout ce qu’elle a
obtenu en retour, c’est une poignée de
pots-de-vin et d’incitations financières
qui sont allés à ses dirigeants et à
leurs clients et parents.
Le peuple
palestinien n’a rien obtenu : seulement
plus de revers et d’humiliation, plus de
vols de ses terres et de ses sites
sacrés, la disparition de sa cause des
écrans internationaux et des insultes
sur les médias sociaux de la part de
certains régimes arabes.
Les autorités
israéliennes racistes prévoient de
s’approprier l’ensemble du territoire
palestinien et de transformer les
Palestiniens en esclaves qui servent
leurs colons, balayent leurs rues et
nettoient leurs toilettes – comme leurs
homologues noirs sud-africains des
« bantoustans » devaient le faire sous
le régime de l’apartheid.
La première phase
de la stratégie d’annexion consiste à
s’emparer des terres agricoles les plus
fertiles et des principales ressources
en eau dans les zones à faible densité
de population. Les grands centres de
population tels que Naplouse, Hébron et
Tulkarem sont laissés pour une deuxième
étape dont la principale composante est
le « transfert ». Il s’agit de
transférer les habitants en Jordanie,
une répétition directe des
« déracinements » appliqués par les
sionistes fondateurs en 1947 et 1948, en
particulier sur la côte palestinienne et
dans certaines parties de la Galilée.
C’est pourquoi les
autorités jordaniennes sont si alarmées
par le plan d’annexion et s’y opposent.
Elles savent parfaitement que si ce plan
réussit, la prochaine étape consistera à
faire de la Jordanie la « patrie
alternative » des Palestiniens.
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Le gouvernement
israélien veut annexer la vallée du
Jourdain non seulement en raison de la
fertilité de son sol et de ses
ressources en eau, mais aussi parce
qu’elle pourrait constituer la frontière
orientale d’une éventuelle entité
palestinienne qui aurait alors accès à
l’arrière-pays arabe, ce qu’Israël ne
permettra pas.
Les Israéliens
regrettent aujourd’hui de ne pas avoir
bloqué l’accès de la bande de Gaza à
l’arrière-pays égyptien. Malgré les
sévères contrôles et restrictions, la
frontière entre Gaza et l’Égypte a
permis au Hamas et au Jihad islamique de
se procurer des armes et des missiles.
Certains ont fait
valoir que l’annexion de tout ou partie
de la Cisjordanie pourrait avoir des
conséquences positives sur le long
terme, car elle pourrait ouvrir la voie
à une solution à un seul État fait de
deux nations ou peuples. Les partisans
de cette théorie, y compris des Arabes
et des Palestiniens, soutiennent que les
Palestiniens constitueraient en fin de
compte une majorité démographique dans
un tel État et obtiendraient des droits
égaux en tant que citoyens.
C’est totalement
illusoire.
Les Palestiniens
des zones annexées vivront dans des
ghettos ou des réserves en tant
qu’étrangers, privés de citoyenneté ou
de tout autre droit associé. Les
Israéliens sont bien conscients de cette
perspective et ont mis en place toutes
les contre-mesures nécessaires pour
décevoir les espoirs de ces doux rêveurs
– y compris la loi sur l’ « État-nation
juif » de l’année dernière.
Le problème ne
réside pas tant dans le plan d’annexion
lui-même, que dans la manière dont l’AP
et les factions qui la composent – ainsi
que les groupes islamiques et autres qui
s’y opposent – y répondent.
Disposent-ils réellement des stratégies
nécessaires pour relancer une résistance
active à l’occupation de manière durable
? Il n’y a eu guère de signe jusqu’à
présent.
L’AP a annoncé
l’arrêt de toute collaboration avec les
autorités israéliennes d’occupation.
Mais l’un de ses responsables de
sécurité a récemment déclaré au New York
Times que ses forces continueraient
néanmoins à lutter contre le
« terrorisme » et à prévenir les
attaques contre les colons israéliens.
Cela revient à se
porter volontaire pour protéger
l’occupant, et en plus gratuitement.
Nétanyahu pourrait
décider de laisser de côté ou de
reporter son projet. Personne ne devrait
considérer cela comme une concession ou
un succès, et encore moins comme quelque
chose qui mérite d’être loué. Certains
gouvernements arabes ont précisément
fait allusion à cela en faisant savoir
qu’ils pourraient accélérer la
normalisation si Israël différait ses
plans d’annexion.
C’est le contraire
qui devrait être fait. Toutes les
mesures possibles doivent être prises
pour faire pression afin de mettre fin à
l’occupation, et ceci par tous les
moyens disponibles. Si le plan
d’annexion déclenche une telle réaction
– en Palestine, dans le monde arabe et
au niveau international – un bien
pourrait alors sortir d’un mal.
*
Abdel Bari Atwan est le rédacteur
en chef du journal numérique
Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de
L’histoire secrète d’al-Qaïda, de
ses mémoires,
A Country of Words, et d’Al-Qaida
: la nouvelle génération. Vous
pouvez le suivre sur Twitter :
@abdelbariatwan
1e juillet2020 –
Raï al-Yaoum – Traduction :
Chronique de Palestine – Lotfallah
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