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Opinion
Tel-Aviv : le gouvernement israélien est le seul à espérer que
le régime de Moubarak tiendra bon. Netanyahu fait allusion à une
augmentation du budget de la sécurité intérieure, en prévision
de la période à venir
Zuhaïr Andraws
in Al-Quds al-Arabiyy, vol. 22, n° 6733, 4 février 2011
Un analyste israélien : la
société juive est atteinte par le racisme : au lieu de se
réjouir de l’insurrection égyptienne, elle redoute une nouvelle
attitude de l’Egypte vis-à-vis de l’Intifada palestinienne
Nazareth – Les événements tempétueux qui
traversent l’Egypte dominent l’agenda politique et sécuritaire
de l’Etat hébreu. Les médias israéliens tant audiovisuels
qu’écrits suivent les développements égyptiens de très près et
mettent l’accent sur la crainte israélienne d’un départ du
président Husny Moubarak et sur les conséquences que ce départ
pourrait avoir sur les relations entre Le Caire et Tel-Aviv, et
en particulier sur l’accord de paix signé entre les deux pays en
1979, connu sous le nom d’accord de Camp David.
C’est dans ce contexte que le site ouèbe du
quotidien Yediot Ahronot a relevé hier (jeudi 3 février) que le
gouvernement israélien était le seul parmi tous les
gouvernements du monde à espérer, en particulier au cours de
conversations privées, que le régime de Hosny Moubarak tienne
bon face au déferlement de la colère populaire sur le pays. Ce
site a attiré l’attention de ses lecteurs sur le fait que le
Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a changé
d’orientation après que Moubarak eut annoncé qu’il ne se
représenterait pas en vue d’un nouveau mandat présidentiel et
qu’il eut changé quelque peu de ton. Mais Netanyahu a fait
allusion au fait que le gouvernement israélien augmentera de
manière très sérieuse le budget des services de sécurité en
raison des évolutions en cours en Egypte.
Les sources politiques de Tel-Aviv ont
ajouté que Netanyahu a mis en garde, dans un discours prononcé
devant la Knesset, contre le fait que l’instabilité et les
manifestations de protestation antigouvernementale sur
l’ensemble du territoire égyptien entraîneront l’ébranlement de
la stabilité régionale pour des années, pour reprendre ses
termes. Le Premier ministre israélien a poursuivi en disant
qu’il y aura un conflit, en Egypte, entre ceux qui soutiennent
la démocratie et les partisans d’un Islam radical, ajoutant
qu’il est probable qu’il n’y aura pas d’accord entre ces deux
composantes, et ce, durant des années, qu’il en résultera une
instabilité et un manque de vision susceptibles de durer très
longtemps. Netanyahu a qualifié les événements qui se sont
produits hier en Egypte de ‘dramatiques’, ajoutant que la
démocratie est chère aux Israéliens lorsqu’elle est authentique
et qu’il est évident que les Egyptiens aspirent à une démocratie
qui ne soit pas une menace pour la paix, bien au contraire.
L’histoire contemporaine nous a enseigné qu’à chaque fois que
les bases de la démocratie étaient plus solides, les bases de la
paix l’étaient aussi.
Il a également déclaré que l’Iran attend
que le crépuscule tombe sur l’Egypte, ajoutant que l’Iran n’est
absolument pas intéressé à la liberté du peuple égyptien, de la
même manière qu’il se moque bien de la liberté du peuple
iranien. Par ailleurs, les médias en hébreu ont fait état des
propos du ministre israélien de l’Intérieur Ehud Barak, qui a
déclaré que le président égyptien Hosny Moubarak était fini et
que l’Egypte allait connaître une situation entièrement
nouvelle, face à laquelle Tel-Aviv avait d’ores et déjà commencé
à prévoir ce qu’il ferait au lendemain de la chute de Moubarak,
dans l’incrédulité, la tristesse et le ressentiment envers les
Etats-Unis qui l’ont, selon ses dires, laissé tomber. Les grands
chapitres de ces prévisions comprenaient l’occupation du point
de passage de Rafah et le changement de la doctrine de l’armée
israélienne, ainsi que le renforcement des relations d’Israël
avec les Etats-Unis.
L’information en hébreu a insisté sur le
fait que l’Etat juif attend de tout nouveau gouvernement
égyptien qu’il respecte le traité de paix et qu’il attend de la
communauté internationale qu’elle maintienne dans ce domaine une
position correspondant à la position israélienne. Netanyahu a
déclaré à la presse que si c’est le scénario optimiste qui se
réalise, l’espoir d’ancrer la démocratie et la stabilité en
Egypte pourra devenir une réalité, ce pays ne représentant plus,
dès lors, un danger pour la paix. Mais il s’est repris, ajoutant
qu’il existe un autre scénario, dans lequel l’Iran veut faire de
l’Egypte un Gaza-bis, qu’il ferait retourner au Moyen Age.
De
son côté, le député à la Knesset, ex-ministre israélien de
l’Intérieur (travailliste) Benyamin Ben Eliezer a critiqué
l’attitude de l’administration américaine vis-à-vis de Moubarak,
disant que les Américains ont causé une catastrophe au
Moyen-Orient en le laissant tomber, ajoutant que Moubarak avait
reçu un choc du fait de cet abandon américain. Ben Eliezer, dont
on sait qu’il est un ami intime du président égyptien, a fait
allusion au fait qu’en Egypte et dans les pays arabes, Moubarak
a été accusé de collaboration avec les Américains et avec les
sionistes, et que par conséquent celui-ci était le seul
dirigeant (ami d’Israël, ndt) restant à l’heure actuelle et
qu’il (Ben Eliezer) considérait que les gens de l’administration
américaine actuelle ne comprennent pas les conséquences de leur
attitude pour le Moyen-Orient dans son ensemble, ajoutant que le
monde vivait une journée de deuil : « J’ai vu en Moubarak un
dirigeant brisé, lors de son dernier discours. Moubarak est un
excellent ami d’Israël et son départ serait pour nous une
terrible perte. Si je pouvais m’adresser au peuple égyptien, je
lui demanderais d’accorder à leur président un délai lui
permettant d’achever sa mandature dans la dignité ».
Par ailleurs, le ministre de la Sécurité
intérieure israélien a mis en garde contre les pressions
américaines en ces termes : « Si des élections démocratiques se
déroulaient en Egypte, je ne serais nullement surpris par
l’obtention de la moitié des sièges du Parlement égyptien par
les Frères musulmans ». Dans la même veine, l’ancien
vice-ministre de la Défense Ephraïm Snéh a déclaré que l’Egypte
ne poursuivra pas la politique de Moubarak vis-à-vis d’Israël
après la révolution populaire qui est en train de s’y produire,
expliquant dans un article du quotidien Yediot Ahronot que la
montée des composantes oppositionnelles égyptiennes hostiles à
l’Etat hébreu auront des conséquences négatives pour les
relations bilatérales avec l’Egypte et que, pire encore, la
position égyptienne vis-à-vis du Hamas changera et que cesseront
les avancées en matière de normalisation et que la vision de
menace stratégique que Le Caire aura de Tel-Aviv ne fera que se
renforcer.
Snéh, un faucon travailliste, pense qu’il
incombe à Israël de prévoir ce qu’il se passera au lendemain de
la crise égyptienne en cours et de se dépêcher de réimposer son
emprise sur l’axe de Rafah, sur la frontière entre l’Egypte et
la bande de Gaza, afin d’éviter que ne le Hamas ne continue à se
renforcer militairement à Gaza, ce renforcement étant d’ores et
déjà « insupportable pour les Israéliens ». Snéh a exigé de
l’armée israélienne qu’il change de doctrine stratégique,
l’actuelle étant dominé par l’idéologie sécuritaire depuis
trente ans, dans un contexte de sortie de l’Egypte du camp
hostile à Israël, faisant allusion à la nécessité de recruter à
nouveau les forces de réserve qu’Israël a cessé de recruter
depuis la signature du traité de paix avec l’Egypte.
Il a ajouté : l’armée israélienne doit se
doter d’ordres de bataille et d’équipements sophistiqués. En ce
qui concerne ce qu’il est convenu d’appeler l’axe des modérés,
il a appelé au
renforcement des forces demeurées dans cet axe, à savoir
l’Autorité palestinienne, la Jordanie et Israël car, « au cas où
le Hezbollah occuperait (sic) le Liban, l’Egypte se dirigerait
vers l’inconnu et les Etats-Unis se retireraient d’Irak, Israël
serait en butte à l’isolement international, dans un contexte
régional où il aurait besoin de ses amis », a-t-il dit en
substance.
Dans ce contexte d’angoisse israélienne au
sujet de la chute du régime égyptien, le quotidien Ha’Aretz a
indiqué que la révolution en cours en Egypte suscite un désarroi
évident en Israël et que les propos de Netanyahu sur ses efforts
vivant à maintenir la stabilité et la sécurité dans la région ne
sont qu’une confirmation, s’il en était besoin, du fait que la
politique extérieure d’Israël ne souhaite aucun changement, en
particulier dès lors qu’un tel changement s’accompagnerait de la
perte d’un allié important. Le centre national des recherches
sécuritaires israélien a réalisé une première étude d’évaluation
au sujet des conséquences des événements égyptiens pour l’Etat
hébreu, dont la conclusion est les expériences tunisienne et
égyptienne risquent de se répéter dans d’autres pays arabes
connaissant des circonstances analogues. Cette étude a exhorté
Tel-Aviv à tout faire afin de préserver l’accord de paix avec
l’Egypte.
Cette étude affirme que le fait que
l’Egypte devienne un Etat faible préoccupé de ses questions
internes aura une conséquence négative pour l’axe des modérés au
Moyen-Orient et ne fera que renforcer l’axe des extrémistes qui
appelle à l’élimination d’Israël. Cela signifie qu’il faut
absolument œuvrer à ce que l’Etat hébreu se prépare très
sérieusement à affronter ces changements.
En relation avec ce qui précède, sous le
titre « Edward Saïd avait raison », l’analyste militaire du
quotidien Ha-Aretz (en hébreu) Enshel Piper écrivait hier :
« Nous sommes tous des malades de l’orientalisme. Si ce n’est
pas du racisme, ça : face au peuple égyptien qui s’est révolté
contre la tyrannie, la répression, la faim et la pauvreté,
exigeant des élections démocratiques comme tous les autres
peuples, nous avons peur, nous redoutons le changement, au lieu
de nous réjouir de ce vent de changement. La seule cause qui
nous pousse à cela, écrit l’analyste israélien, c’est le fait
que le peuple égyptien appartient à la nation arabe. Il est
frappant que les forces de gauche, en Israël, continuent à
tresser des couronnes de fleurs à Hosny Moubarak pour son
hospitalité, au moment où son peuple a déclaré qu’il voulait se
débarrasser de lui.
L’’analyste conclut ainsi : « Apparemment, nous redoutons le
jour où le peuple palestinien se révoltera et où les foules
palestiniennes se presseront aux portes des colonies
israéliennes en exigeant leur Etat indépendant. Que fera alors
l’armée israélienne ? Telle est la question qui empêche l’élite
au pouvoir en Israël de dormir, de la même façon qu’elle empêche
de dormir l’élite au pouvoir sur les bords du Nil… ».
Traduit de l’arabe par Marcel Charbonnier
Les traductions de Marcel Charbonnier
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