Les relations judéo-arabes en
Israël sont extrêmement problématiques. Par une multitude de
biais, elles renvoient aux problèmes plus larges des relations
israélo-arabes, et de manière spécifique, au conflit
israélo-palestinien. A côté des questions politiques épineuses,
nous sommes aussi confrontés aux problèmes quotidiens de
coexistence arabo-juive « sur le terrain. » Il existe en Israël
des villes juives, des villes arabes et quantité de villes
mixtes, chacune avec son histoire et son caractère démographique
propre.
Au début du mois, quand des
émeutes ravagèrent Acre, antique port au Nord de Haïfa, l’état
instable des relations arabo-juives dans les villes mixtes
focalisa l’attention du grand public. Chacun s’accorde sur les
origines des émeutes. Elles éclatèrent quand un automobiliste
arabe pénétra avec son véhicule dans un quartier majoritairement
juif, à Yom Kippour, le Jour du grand Pardon, où tout trafic
s’arrête pour 24 heures. A partir de là, les avis divergent sur
la motivation spécifique ou le « scénario » des événements. Du
reste, ces détails importent peu. Les relations arabo-juives à
Acre devaient être exécrables dès avant Yom Kippour pour que,
suite à un malheureux incident isolé, des dizaines de personnes
soient blessées, des maisons incendiées et des familles entières
évacuées.
Deux facteurs évidents et
immédiats viennent à l’esprit, sous-jacents aux événements
d’Acre. L’un est arabe, l’autre juif. D’un côté, depuis plus de
deux ans, l’opinion arabe intellectuelle et politique en Israël
a, dans sa majorité, adopté les revendications d’un Etat
binational à part entière. Il accorderait aux Arabes droit de
veto sur la nature juive et les symboles d’Israël.
Que les Arabes d’Israël exigent
et méritent des droits nationaux égaux et des opportunités
économiques et éducatives va de soi. Mais leurs revendications
s’avancent aujourd’hui bien au-delà. Plus dérangeant que tout,
on peut interpréter celles de l’Etat binational comme alignant
leurs auteurs sur ceux qui, dans les mondes arabe et musulman,
refusent l’existence d’un peuple juif tout court, et encore
plus, ses racines légitimes au Moyen-Orient. Et, de ceci, les
années de négligence par la majorité juive envers les besoins
socio-économiques légitimes des Arabes ne peuvent être tenues
pour responsables.
Ces positions, adoptées par
d’éminents leaders des citoyens arabes d’Israël, rejettent en
réalité le principe d’un Etat juif démocratique, au cœur de la
solution d’Oslo de deux Etats pour deux peuples. Elles
inscrivent la communauté arabe israélienne comme partie
intégrante du problème palestinien. Elles envoient le message
que le processus d’Oslo consistant à discuter l’indépendance
politique palestinienne en Cisjordanie et à Gaza a radicalisé
les vues arabes israéliennes. Et cela alors que les Palestiniens
citoyens d’Israël furent un moment considérés comme un pont
potentiel entre Israéliens et Palestiniens.
Mais, en parallèle, l’échec
d’Oslo a également radicalisé les Juifs israéliens de droite,
lesquels nourrissaient de toutes manières des prédispositions
hostiles à la population arabe d’Israël. A Acre, à Jérusalem Est
et à Pek’in en Haute Galilée, des Juifs fondamentalement opposés
à la coexistence cherchent à s’établir au milieu de
concentrations de population arabes et même druzes, afin de les
évincer. Ce processus étendrait la confrontation arabo-juive de
Cisjordanie à l’intérieur d’Israël tout entier. Il servirait le
but politique des colons consistant, pour empêcher l’émergence
d’un Etat palestinien, à gommer la Ligne verte délimitant Israël
et la Cisjordanie.
Mais même les acteurs israéliens
modérés contribuent à creuser l’écart arabo-juif. La barrière /
le mur qui de manière si insensée isole les Arabes de Jérusalem
Est de leurs compagnons de Cisjordanie radicalise les premiers.
Témoin la série d’attaques suicides lancées à Jérusalem Ouest
par des Palestiniens frustrés provenant de villages
périphériques de Jérusalem Est. Entre-temps, le refus
gouvernemental israélien de créer des villes nouvelles arabes ou
une université arabe exacerbe les pressions générées par un
espace vital arabe en Israël de plus en plus surpeuplé.
Peut-être, avec une solution
viable à deux Etats au conflit israélo-palestinien, Arabes et
Juifs en Israël deviendront-ils capables d’envisager calmement
s’ils souhaitent cohabiter dans des villes mixtes ou vivre
séparés. Apparemment seule la solution du conflit permettra aux
Israéliens d’aborder sérieusement le difficile problème de la
nature juive de leur Etat. Une question qui doit être résolue
avant de pouvoir traiter de manière substantielle le statut en
Israël des non Juifs.
D’ici là, trois dynamiques
politico-démographiques persisteront à fonctionner et à
s’entrechoquer. Dans tous les cas, les Arabes israéliens
refuseront de se laisser expulser de leurs demeures
traditionnelles par des Juifs extrémistes. D’un autre côté, des
facteurs économiques contraindront des Arabes, auxquels sont
refusés de légitimes opportunités de développement, à émigrer
vers des villes et quartiers juifs, dans l’espoir simple et
justifié d’y améliorer leur sort. Finalement, des tensions
exploseront périodiquement entre Arabes et Juifs, attisées par
des extrémistes nationalistes et racistes des deux bords, et
alimentées par le conflit israélo-palestinien.
A court terme, voilà de bien peu
réjouissantes perspectives.
Yossi Alpher est codirecteur de bitterlemons.org
et bitterlemons-international.org. Il est ancien directeur du « Jaffee
Center for Strategic Studies » et ancien conseiller principal du
Premier Ehud Barak.
Source :
http://www.bitterlemons.org