L’évacuation forcée d’un bâtiment litigieux, à Hébron voici dix
jours, de quelques centaines de jeunes colons incontrôlés
n’était malheureusement pas de la part de l’establishment
israélien le signe d’un tournant quant à sa tolérance envers le
projet de colonisation en Cisjordanie. Les circonstances de
cette évacuation étaient trop particulières. Il n’existe non
plus aucun leader israélien en exercice assez courageux pour
surmonter sa peur des colons et reconnaître les dégâts qu’ils
occasionnent. Un leader qui ose une campagne résolue pour les
empêcher de détricoter le statut d’Israël comme Etat
démocratique et juif. Car les colons, apparemment, cherchent
coûte que coûte à saborder toute chance de solution à deux
Etats.
En vérité, à Hébron, la police,
les garde-frontière et l’armée ont prouvé l’amélioration de
leurs capacités à investir, avec un minimum de dommages
matériels et corporels, un immeuble litigieux et à en expulser
ses jeunes squatters violents, messianiques et incontrôlables,
pour la plupart issus de l’indisciplinée « jeunesse des
sommets [1]. »
C’était la première action de ce type depuis le fiasco de la
destruction de sept édifices dans l’avant-poste illégal d’Amona,
voici plus de deux ans. L’opération occasionna des blessés
graves, provoquant une réaction violente des colons. Elle
dissuada le gouvernement Olmert de tenter d’autres évacuations
d’avant-postes. Hébron rétablit la confiance dans la capacité
des services de sécurité à procéder à de telles expulsions. Il
est pathétique toutefois d’avoir à féliciter les forces de
l’ordre pour une opération aussi élémentaire.
Tout comme nous ne devrions pas
exagérer les louanges envers l’establishment politique. Après
tout, la campagne électorale en cours facilite la vie au
ministre de la Défense Ehud Barak. Il a réussi à présenter
l’opération Hébron comme une heureuse surprise des points de vue
politique et opérationnel. Or Israël possède un gouvernement en
affaires courantes. Sur un plan constitutionnel, il ne peut être
démis pour aucun de ses actes. Barak aurait ordonné l’évacuation
en temps ordinaire, le Shas aurait probablement fait chuter la
coalition. Donc son show viril contre une frange de la
population où il ne compte vraisemblablement aucun électeur doit
être pris avec un grain de sel.
Mais il y a pire. Où se trouvait
le fort contingent de forces de l’ordre israéliennes déployé à
Hébron quand les colons extrémistes répliquèrent à l’évacuation
en saccageant les quartiers arabes de la ville, de loin sa
partie la plus importante, incendiant maisons et véhicules,
tirant et caillassant [2] ?
Il était de notoriété publique que les colons extrémistes
avaient « fixé un tarif » pour tout acte de l’Etat dirigé contre
eux. Les violences et les déprédations de mosquées et de
cimetières musulmans avaient débuté dès avant l’évacuation. On
leur permit de se poursuivre un jour ou deux après, pas
seulement à Hébron, mais aussi ailleurs en Cisjordanie.
D’où, tant les colons
extrémistes que les forces de sécurité peuvent chacun prétendre
avoir « marqué des points. » D’autre part, le courant
majoritaire des colons en a perdu lui, des points, - ces
dizaines de milliers de résidents de Cisjordanie qui grognent
contre les déchaînements de la jeunesse des sommets et de leur
petit millier de colons alliés, mais n’ont jamais levé un doigt
contre eux ni contre leur idéologie messianique -, tout comme le
nombre toujours croissant des Israéliens dégoûtés par
l’entreprise d’implantations dans son ensemble.
Mais Hébron a fait un seul vrai
perdant : le gouvernement modéré de l’Autorité palestinienne
(AP) et les forces de sécurité qu’il a, avec l’assistance
américaine, européenne et jordanienne, entraînées et déployées
sur toute la Cisjordanie. Tandis que les Juifs sillonnaient et
saccageaient les rues qu’il patrouille d’habitude, le bataillon
de Hébron de ces forces fut contraint à rester passif pour ne
pas violer son mandat en affrontant des citoyens israéliens.
Les performances de ces forces à
Jénine, Naplouse et Hébron avaient jusqu’ici recueilli les
louanges généralisées des Arabes, des Israéliens et de tierces
parties. Ils considèrent leur déploiement comme une mesure
majeure de confiance et un élément de construction en vue
d’éventuels accords politiques. Après les événements de Hébron,
leur succès est devenu beaucoup plus difficile à soutenir. Le
Hamas en était à l’évidence conscient quand il a repris ses
attaques de roquettes Qassam depuis Gaza contre Israël. Il
pouvait faire par là d’une pierre deux coups : montrer sa
solidarité avec les Arabes de Hébron et embarrasser les forces
de sécurité de l’AP.
Jusqu’ici, il était convenu
(entre autres dans la phase I de la Feuille de Route) que
l’édification de la sécurité palestinienne et le démantèlement
d’implantations et d’avant-postes israéliens devaient intervenir
plus ou moins simultanément. Jusqu’à dernièrement ce ne fut pas
le cas : si les forces de sécurité palestiniennes ne se sont pas
attaquées au terrorisme, elles ont au moins restauré la loi et
l’ordre dans les villes de Cisjordanie ; Israël, de son côté,
n’a démantelé aucun avant-poste significatif.
Il nous faut aujourd’hui
conclure que, tant que les colons resteront alentour, l’on ne
peut attendre des forces de l’ordre palestiniennes qu’elles
assurent une authentique sécurité, au sens de protéger les
civils palestiniens eux-mêmes. Ce constat suppose de modifier en
profondeur l’ordre des priorités dans la séparation entre
Israéliens et Palestiniens en Cisjordanie, étape vers une
solution à deux Etats. Il faut commencer par évacuer les colons.
Sinon, aux yeux du peuple palestinien, l’entreprise tout entière
d’édification de la sécurité palestinienne pourrait perdre
beaucoup de sa crédibilité.
Toutefois, pour évacuer les
colons d’abord, ou pour que cette mesure soit seulement durable,
un ou deux facteurs s’imposent. Soit un leader israélien
émergera, avec assez de courage et de soutien politique pour ne
pas redouter un nouvel « Altalena » - un autre conflit avec des
Juifs extrémistes au risque de répandre du sang juif, comme fit
David Ben Gourion en 1948 en coulant devant la plage de Tel-Aviv
un navire de l’Irgoun chargé d’armes. Soit les partisans d’une
force internationale pour réaliser une solution à deux Etats
devront définir les missions de cette force de sorte à y inclure
l’expulsion de colons qu’Israël a installés... mais se montre
incapable de faire déguerpir.
[1]
Mouvement radical de jeunes colons messianiques. Ils installent
des avant-postes sauvages, en général des caravanes, sur les
sommets de collines (d’où leur nom) en terres palestiniennes.
Ils créent de la sorte des faits accomplis, grignotant petit à
petit la Cisjordanie au détriment de ses propriétaires
palestiniens. NdT.
[2]
Voir dans Kol Shalom - A.ISSACHAROFF Pogrom, pas d’autre mot
pour désigner les actes des colons à Hébron - Haaretz -
04.12.2008.
Source :
http://www.bitterlemons.org
Traduction Kol Shalom
Publié le
24 décembre 2008 avec l'aimable autorisation de Kol Shalom.