Le Premier
ministre Yitzhak Rabin fut assassiné voici 13 ans. Toute
tentative d’évaluer l’impact de ce crime sur le cours ultérieur
du processus de paix risque de tourner au vain jeu des « Et
si ? » Par ailleurs elle touche directement au cœur du débat,
entre autres entre historiens, sur l’influence des individus sur
le cours de l’Histoire.
Peut-être la meilleure manière
de considérer l’héritage de Rabin consiste-t-elle à examiner les
aspects et éléments de son approche du processus de paix encore
valides ou « opérationnels » aujourd’hui. Rabin, après tout, ne
fut pas l’initiateur des négociations avec la Jordanie, la Syrie
et les Palestiniens. Cet honneur revient à son peu enthousiaste
prédécesseur Yitzhak Shamir, dans le cadre de la conférence de
Madrid d’abord, des conversations de Washington ensuite. En à
peine trois ans de mandat comme Premier ministre, Rabin
produisit le cadre d’Oslo de conversations directes avec l’OLP
(plutôt qu’indirectes, comme à Washington) et, côté syrien,
celui de la « garantie » territoriale [sur le plateau du Golan].
Les deux concepts restent éminemment actuels, quelque 15 ans
plus tard. Ce n’est pas la moindre de ses prouesses.
Dès le milieu des années 1970,
Rabin envisageait la séparation du territoire. Durant son
premier mandat comme Premier ministre, il prédit que les colons
« auraient peut-être besoin de visas » pour visiter la
Cisjordanie. Davantage que sur une conception diplomatique, il
ancrait son point de vue dans un souci de sécurité pour Israël.
Rabin lança également l’idée d’une barrière de sécurité entre
Israéliens et Palestiniens.
Mais Rabin fut aussi le premier
leader israélien à parler franchement à la nation de ses
relations avec le peuple palestinien. Comme le professeur Zeev
Sternhell le releva voici quelques jours, la révolution
rabinienne se fondait sur « l’idée que la Guerre d’Indépendance
[de 1948] était finie une fois pour toutes, que, maintenant,
deux peuples vivent sur ce pays, et que chacun possèdent des
droits sur lui. » Ce concept, si central pour une résolution
définitive du conflit, survécut également à l’assassinat de
Rabin. De même sa déclaration répétée selon laquelle il était
grand temps pour les Israéliens de comprendre que le monde n’est
pas contre nous, mais est au contraire prêt à collaborer avec
nous. Relevons à cet égard la disposition d’une série de leaders
israéliens à rechercher des alliés, des médiateurs et des agents
pacificateurs régionaux et internationaux dans nos conflits avec
l’Iran et avec des acteurs non-gouvernementaux comme le
Hezbollah.
Peut-être l’aspect le plus
significatif de l’héritage de Rabin est-il celui que nous
considérons le plus comme allant de soi : la paix avec la
Jordanie. Au moment de signer la Déclaration de Principe d’Oslo,
Rabin se tourna vers le Roi Hussein de Jordanie. Ce mouvement
n’était en rien fortuit. Rabin reconnaissait par là que la paix
avec le Royaume hachémite garantissait bien davantage sa
sécurité à Israël sur son flanc Est et dans ses relations avec
les Palestiniens que n’importe quel accord signé par les
Palestiniens eux-mêmes. Aujourd’hui, avec la montée en puissance
du Hamas et la menace grandissante provenant d’Iran, cette
résolution reste plus pertinente que jamais.
D’autre part, la disposition à
faire confiance au leader de l’OLP Yasser Arafat et à travailler
avec lui ne survécut pas à Rabin. Après sa mort, les relations
d’Israël avec le leader palestinien se dégradèrent sans cesse
jusqu’à ce qu’Arafat - isolé par Ariel Sharon, rejeté sur un
plan international et discrédité aux yeux de l’opinion
israélienne pour son irrépressible recours à la violence et son
besoin d’affaiblir Israël - décède en de troubles circonstances.
Je me souviens du 13 septembre
1993, jour de signature des Accords d’Oslo sur le gazon de la
Maison Blanche. Je demandai à Aharon Yariv, alors directeur du
Centre Jaffee et général retraité qui avait servi sous les
ordres de Rabin comme chef du renseignement durant la Guerre des
Six Jours, s’il avait l’intention de regarder la cérémonie à la
télévision. « Je ne pourrais pas, » me dépondit-il « je sais ce
qu’il en coûte à Yitzhak de serrer la main d’Arafat et je ne
supporterai pas de voir cela. »
Le monde entier se souvient de
la douleur sur le visage de Rabin au moment de cette dramatique
poignée de main. Et si il avait refusé ? Nous en porterions-nous
mieux ou plus mal aujourd’hui ? Et si ? Et si ?
En fin de compte, 13 ans plus
tard, l’assassinat de Rabin continue à symboliser la montée en
Israël de la droite politique messianique et violente. Ils sont
toujours parmi nous. Ils persistent à menacer tout ce qui est
cher au cœur des Israéliens raisonnables et favorables à la
paix. Ici règne une zone sombre où les successeurs de Rabin ont
misérablement échoué.
Yossi Alpher est codirecteur de bitterlemons.org
et bitterlemons-international.org. Il est ancien directeur du « Jaffee
Center for Strategic Studies » et ancien conseiller principal du
Premier Ehud Barak.
Source :
http://www.bitterlemons.org