Si les actuelles négociations de paix israélo-palestiniennes
échouent - à l'heure où j'écris ces lignes, les Palestiniens les
ont suspendues pour protester contre la riposte militaire
d'Israël aux tirs de roquettes depuis Gaza - les leaders de
Ramallah possèdent, semble-t-il, diverses options. Ils peuvent
lancer une troisième Intifada en Cisjordanie. Ils peuvent
demander à la communauté internationale d'imposer à Israël une
solution à un seul Etat binational. Et ils peuvent proclamer
l'indépendance.
Le Président palestinien Yasser
Arafat envisagea cette dernière option durant les moments les
plus difficiles du processus de paix d’Oslo. Il la rejeta. La
voici qui ressuscite par la voix du membre de l’Exécutif de
l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) Yasser Abed
Rabbo, ainsi que celles d’autres personnalités palestiniennes.
Leur inspiration vient du Kosovo. Ils préconisent de déclarer
l’indépendance dans les frontières du 4 juin 1967. Elle ferait
levier pour galvaniser les soutiens arabe et international.
Les différences entre le modèle
kosovar et une déclaration unilatérale d’indépendance
palestinienne sont nombreuses. Elles sont aussi substantielles.
Isolons-en trois, les plus évidentes. Primo, le leadership
palestinien installé à Ramallah ne contrôle pas la Bande de
Gaza, ni de grandes parts de la Cisjordanie. A la veille de
l’indépendance, les Kosovars, eux, maîtrisaient la totalité de
leur territoire avec l’aide d’une force internationale. Secundo,
le leadership israélien est favorable à une solution à deux
Etats fondée sur les lignes du 4 juin 1967, là où la Serbie
considère avec insistance le Kosovo comme partie intégrante
d’elle-même. Et tertio, l’OLP a déjà par le passé déclaré son
indépendance, en 1988. Elle jouit d’une représentation
diplomatique auprès des nations du monde, même si cet acte n’a
produit pour la cause d’un authentique Etat palestinien que des
effets limités.
Dans ces circonstances, un élan
palestinien vers une (nouvelle) déclaration d’indépendance
risque d’être perçu surtout comme désespéré et pathétique plutôt
que comme héroïque et triomphant. Abed Rabbo le reconnaît
lui-même. Son adoption de l’idée vise largement à stimuler les
négociations à deux Etats, actuellement improductives. Elle vise
aussi à couper l’herbe sous le pied à certains de ses compagnons
qui réclament la solution d’un Etat unique bi-national.
Néanmoins, la déclaration kosovare d’indépendance soulève
quelques questions intéressantes et pertinentes pour le cas
israélo-palestinien.
L’une est le fait que, du point
de vue serbe, il s’agit d’une solution imposée. Comme
avertissait le ministre serbe des Affaires étrangères Vuk
Jeremic (International Herald Tribune - 28.02.2008) :
« Reconnaître la déclaration unilatérale d’indépendance du
Kosovo rend légitime la doctrine des solutions imposées pour
résoudre les conflits inter-ethniques. » Inutile de le préciser,
c’est l’abominable comportement de la Serbie à l’encontre des
Kosovars, des années durant, qui a conduit les Occidentaux à
imposer cette solution. De son côté, Israël a constamment évité
toute situation similaire dans son conflit avec les
Palestiniens. Mais certains Arabes, certains Israéliens et
d’autres insistent pour faire valoir que la seule solution
praticable à notre conflit serait une solution imposée. Le
modèle kosovar leur fournira des arguments.
Le rôle de l’Union européenne
(UE) constitue un second domaine pertinent issu du modèle
kosovar. En effet, l’UE tente de saisir simultanément et le
Kosovo et la Serbie. Elle leur fait valoir les énormes avantages
qu’il y a pour chacun à résoudre leur conflit dans un contexte
d’intégration européenne. Car celle-ci offre prospérité
économique et réduction du sens des frontières nationales,
joints à un apaisement des conflits inter-ethniques. Ici aussi,
des Arabes et des Israéliens envisagent la solution au conflit
israélo-palestinien sous un tel angle. Ils relèvent que, en
dépit de ses embarras avec la Turquie, l’UE est impatiente
d’absorber le Kosovo musulman. Ce précédent pourrait accélérer
l’adhésion de pays non-chrétiens supplémentaires.
Dans les circonstances
présentes, une solution du conflit israélo-palestinien au sein
de l’UE apparaît farfelue. Mais la Ligue arabe a d’ores et déjà
adopté la notion de solution régionale. C’est l’initiative de
paix arabe. Des voix se sont récemment élevées pour menacer de
l’annuler. On espère que la Ligue tirera encouragement du modèle
kosovar pour poursuivre son plan de manière plus active.
Enfin, le drame du Kosovo n’est
pas clos. La ligne de partage imposée à la Serbie est
inacceptable pour ce pays, largement à cause de sa mémoire
historique, celle de la bataille de Kosovo perdue par les Serbes
face aux Ottomans en 1448. Le site de cette bataille est un
petit secteur du Kosovo, contigu de la Serbie et fortement
peuplé de Serbes. Avant la proclamation d’indépendance, Serbes
et Kosovars on refusé de discuter d’une partition du Kosovo qui
satisfasse le récit national serbe. En débattre maintenant
pourrait être une manière de sortir de l’impasse créée par le
fait accompli.
En d’autres termes, une solution
unilatérale qui laisse une des parties aussi désespérée que le
sont les Serbes peut seulement apparaître comme le prélude de
négociations et de compromis ultérieurs. Et ceci sonne comme un
message très parlant aux oreilles israéliennes et
palestiniennes.