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Analyse
Mossad, permis de tuer
La grande
hypocrisie occidentale
Xavière Jardez

Mahmoud al-Mabhouh - Photo CPI
Mercredi 10 mars 2010
L’assassinat du dirigeant palestinien Mahmoud al-Mabhouh, qui
avait déjà échappé à trois tentatives d’assassinat auparavant,
le 20 janvier, à Dubaï, porte indubitablement le sceau du
Mossad - corroboré par la quasi certitude de l’Israélien
moyen - malgré les dénégations d’Israël, notamment celles
de Netanyahou. Or, selon les règles du Mossad, de son vrai nom,
Institut d’espionnage et d’Opérations spéciales, établies
par Meir Amit, premier directeur de l’agence d’intelligence,
« ... toute exécution doit être avalisée par le Premier
ministre en exercice. Toute exécution est ainsi soutenue par
l’Etat, l’ultime sanction judiciaire de la loi. L’exécutant
n’est donc pas différent du bourreau nommé par l’Etat ou de tout
autre exécuteur désigné par la loi ». Aucun exécutant, ou
assassin, ne peut ainsi opérer sans que ne lui soit produit ce
document signé, le permis de tuer. Et il semblerait
qu’il y ait eu une réunion entre Netanyahou et le chef du
Mossad, Meir Dagan début janvier, selon le Sunday Times.
Il est certain que dans les chaumières et la presse en Israël,
les applaudissements ont crépité. Certains journaux occidentaux
n’ont pas caché leur admiration devant le brio de l’opération,
le coup d’éclat, même si la discrétion qui devait être le maître
mot de l’opération a été éventée avec le passage en boucle des
images des assassins sur les télévisions du monde. Car il ne
fait aucun doute que cet assassinat est tout simplement un
CRIME, de quelque qualification qu’on lui donne. Israël a
violé, une fois de plus d’entre toutes les fois, l’article 6 de
la Convention Internationale sur les Droits civils et
politiques, qui définit le droit à la vie, « en
poursuivant une politique d’assassinats de Palestiniens qu’il
décrit comme terroristes sans chercher en premier à les arrêter
pour les juger » (Tribunal Russell, Barcelone 2010).
« Il y a
plus d’aspects et d’acteurs internationaux
à l’œuvre dans cette affaire qu’il n’y paraît à première vue »
Pour Bruce Riedel, ancien de la CIA, « C’est en toute
probabilité une opération du Mossad. Tout en porte la signature-
les passeports, européens, la rapidité avec laquelle l’équipe a
disparu du pays, tout cela s’ajoute pour en donner une image
plutôt convaincante ». « Ce que les autorités de Dubaï
découvrent n’est pas seulement une opération isolée mais
probablement l’entière agence du Mossad. Dubaï serait l’endroit
idéal pour entreprendre, non seulement une opération isolée,
mais des opérations à long terme contre l’Iran ». Pour
Michael Ross, agent du Mossad à la retraite, « il serait
naïf de penser qu’Israël n’a pas un doigt dans l’affaire »
a-t-il dit à la BBC et d’ajouter : « Je pense
qu’il y a plus d’aspects et d’acteurs internationaux à l’œuvre
dans cette affaire qu’il n’y paraît à première vue ».
L’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Australie et l’Irlande,
tous ont poussé des cris d’orfraie à l’idée que les assassins
avaient utilisé leurs passeports – bizarrement pas ceux des
Etats-Unis ! -, d’abord supposés faux, puis reconnus vrais car
ils appartenaient à des Européens possédant aussi la nationalité
israélienne, dont le nombre s’élève à 350 000. Ils ont protesté
de leur ignorance mais de multiples indications suggèrent
qu’ils ont, ainsi que leurs service de sécurité, eu vent du
complot plus qu’ils ne le prétendent.
Des allégations que le Mossad avait prévenu la Grande Bretagne
ont fait surface dans le journal britannique Daily Mail qui
précise que « le Foreign Office et le MI 6 ont été informés
de l’opération avant qu’elle n’ait lieu ». La source est
« un membre du service israélien d’intelligence en exercice.
Il a dit que le gouvernement britannique a été informé… Il n’y
aucune participation britannique et (le gouvernement) ignorait
le nom de la cible. On leur a dit que les exécutants voyageaient
avec des passeports britanniques ». Selon une autre source
proche du quotidien The Independent, les services de
sécurité de Dubaï ont fourni, six jours avant l’opération, à
« un diplomate britannique » (le consul ?) les détails sur
ces passeports britanniques et n’ont reçu aucune réponse….
Le Canada avait, lors de la tentative d’assassinat de Khaled
Meshaal, en 1997, protesté violemment contre l’utilisation par
les assassins venus d’Israël de documents canadiens. Israël
avait promis de ne plus rien faire de semblable, comme il avait
fait la même promesse à Margaret Thatcher en 1987 avec la
découverte de 8 passeports oubliés par le Mossad dans une cabine
téléphonique en RFA, et à la Nouvelle-Zélande en 2005 après
l’emprisonnement de deux de ses agents. Ian Wilcocks, l’ancien
ambassadeur d’Australie en Israël dit avoir averti, dans les
années 1990, les officiels du ministère des Affaires étrangères
israélien de ne plus fabriquer de faux passeports pour des
opérations secrètes.
Il semble donc que l’appropriation par Israël de documents
étrangers soit une pratique courante, ancienne, tolérée par les
pays européens, associée à sa pratique de l’exécution
extrajudiciaire de ses adversaires. Les manifestations de colère
ou de surprise, que toutes deux engendrent ne sont là que pour
la forme. Il n’y aura donc pas de contrecoup diplomatique pour
Israël. On est loin des tollés qui avaient suivi les
« fatwas » prononcées à l’encontre de personnalités, dont
Salman Roushdi, par Khomeiny ou autres clercs. Mais Israël,
c’est Israël.
Qui plus est, la Grande Bretagne vient de décider, au lendemain
de ce scandale, de modifier la législation en matière de crimes
de guerre afin que les criminels recherchés - ils sont six- pour
l’agression sur Gaza dite « Plomb endurci » tels Tzipi
Livni, Shaul Moffaz, Ehud Barak, ne puissent plus être
inquiétés lors de leur séjour en Grande-Bretagne. Comment
pourrait-il en être autrement si l’on sait que Tony Blair et
Gordon Brown, depuis 2007, sont les patrons du National
Jewish Fund qui finance l’installation de colonies sur les
terres spoliées aux Palestiniens.
Mais cette complicité avec le terrorisme d’Etat d’Israël,
passive ou active, va bien plus loin. La salle de commandement
de l’opération se trouvait en Autriche, ce qui signifie que les
assassins n’ont pas eu de contacts les uns avec les autres, donc
ne pouvaient être repérés. Les cartes de crédit ont été émises
par Payoneer, une banque de New York, opérant aussi à
Tel-Aviv, à travers la banque Metabank basée dans
l’Etat de l’Iowa. Un examen approfondi des liens de Payoneer
révèle que Yuval Tal, cadre exécutif, est un ancien membre des
forces d’opérations spéciales de l’armée israélienne et le
financeur de Taglit Birthrights qui organise des
voyages gratuits en Israël de jeunes juifs. Payoneer a
reçu son capital-risques de Carmel Ventures, située à
Herzilya, en Israël, Greylock Partners, avec parmi ses
associés, Moshe Mor, un ancien capitaine de l’intelligence
militaire israélienne, et Crossbar Capital, dont le
fondateur a géré une entreprise hors d’Israël. Metabank
a une histoire d’ennuis financiers et les cartes de crédit sont
sa principale source de revenus. Il était facile, pour ceux qui
le voulaient, de se procurer des cartes de crédit en ligne. Si
rien, à l’heure actuelle, ne prouve le l’implication de ces
établissements, ces indices méritent d’être étudiés…
La communauté
sayanin
Cependant, souligne Gordon Thomas, fin connaisseur du Mossad,
rien ne pourrait se faire si le Mossad ne bénéficiait pas du
soutien inconditionnel de la communauté juive dans le cadre d’un
système appelé sayanim, qui veut dire « aider ».
Des dizaines d’aides sont soigneusement recrutés et fournissent
la logistique aux agents du Mossad sans poser de questions :
une banque fournira des fonds jour et nuit, une agence de
location de voiture, un véhicule, un docteur, une assistance
médicale ou un poison. C’est ainsi qu’un docteur sayan
a fourni les ingrédients de la décoction que devait boire Yasser
Arafat, ce que son docteur personnel a confirmé : « l’empoisonnement
est très probable dans ce cas ». Lors de
l’assassinat par le Mossad de Gerald Bull, scientifique canadien
et meilleur expert en balistique de renommée mondiale qui avait
refusé de mettre ses compétences au service d’Israël mais les
avait offerts à Saddam Hussein, la communauté sayanim
avait lancé une guerre psychologique à l’adresse des médias
européennes disant que Saddam en était à l’origine… Il en fut de
même lors de l’assassinat de Fathi Shkaki, chef du Jihad
Islamique à Malte en 1995 où les deux tueurs reçurent d’un
sayan un passeport britannique et une moto utile à
l’opération
Qu’est-ce qui pousse certains pays à sacrifier sur l’autel du
terrorisme israélien les bases qui fondent un Etat : la
souveraineté, l’état de droit et la sécurité personnelle et
nationale. Si la politique israélienne communément admise de
violations de souveraineté des autres pays pour tuer ou enlever
ses adversaires devient la règle, ce sera le règne de la loi de
la jungle. Tout un chacun pourra craindre d’être la cible
d’équipes de tueurs étrangers, que rien ne viendra retenir. Les
assassinats extrajudiciaires d’Israël tourne en dérision la
notion de souveraineté. L’élimination d’opposants par des
polices secrètes, hors des frontières, était une pratique
récurrente de la Gestapo, du GPU de Staline,
de Pinochet. Elle est maintenant celle des « Forces
Spéciales » des Etats-Unis et de la division occulte de la
CIA. Tolérer ces pratiques signifie la fin de l’état de droit,
les polices secrètes jouant, comme en Israël, le rôle de juge,
jurés, procureur et exécuteur, sans connaître de freins de
nature légale ou judiciaire. Comment, demain, un pays
pourra-t-il protéger ceux qui, sur son territoire, s’aventurent
à critiquer Israël ?
Dubaï ne veut être une tête de pont occidentale dans le détroit
d’Ormuz
Derrière l’assassinat de Mahmoud al-Mabhouh se profilent des
événements bien plus graves : en entraînant le Hamas
dans des représailles (contre Netanyahou,
vraisemblablement), Israël ouvrirait le champ à des
attaques contre l’Iran. Les Etats-Unis lorgnent depuis Bush sur
les Emirats Arabes Unis et comment s’y prendre pour y déployer
des troupes en cas de conflit armé avec la République Islamique.
Aucune stratégie militaire n’a de chance de succès si on
n’établit pas de prime abord une tête de pont à travers l’étroit
chenal du détroit d’Ormuz pour empêcher sa fermeture par
l’Iran.
L’extension du conflit palestinien, ou encore l’élargissement de
la zone de « guerre contre le terrorisme » à
Dubaï a peu de chances d’aboutir. La célérité avec laquelle les
forces de sécurité de l’émirat ont enquêté, rassemblé les
preuves, les indices, donné un maximum de publicité à leurs
révélations prouve que Dubaï refuse que sa qualité de centre
financier et économique, et que ses intérêts soient pollués par
des actions terroristes israéliennes. Il en va de sa réputation,
de sa survie et de sa prospérité, même si la crise l’a frappé.
Disons pour conclure, que la prétendue « incompétence »
des agents du Mossad, relevée par les critiques en Israël, -
être photographiés par les multiples caméras de
vidéosurveillance - ne traduit que l’arrogance et le
racisme des Israéliens à l’encontre des Arabes, qu’ils fussent
Palestiniens ou autres. Pour eux, l’habileté, l’intelligence, le
professionnalisme ne peuvent qu’être israéliens, les autres
n’étant que de pauvres bédouins devenus riches…
Sources :
Gordon Thomas, auteur de
Gideon’s Spies
Mossad’s Murderous Reach: The Larger Political
Issues,
par James Petras :
http://www.informationclearinghouse.info/article24832.htm
More details emerge on assassination of Hamas leader in Dubai,
par Ann Talbot:
www.wsws.org/article
2010/mars2010/duba-m0.shtml
Israël remains silent over Mossad role scandal,
par Fran O’Sullivan :
http://www.nzherald.co.nz/israeli-spy-case/news/article.cfm?c_id=606&objectid=10332870
Israël « admit » to NZ spy mission :
http://www.nzherald.co.nz/israeli-spy-case/news/article.cfm?c_id=606&objectid=10352280
Mossad murder,
par John Cherian
http://www.flonnet.com/stories/20100326270604900.htm
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 10 mars 2010 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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