À qui profite la révolution au
Kirghizistan ? 4/4
Washington et l'avenir du
Kirghizistan:
la sécurisation d'un pivot géostratégique
F. William Engdahl
Le centre de
transit états-unien de Manas (Kirghizistan) est officiellement
destiné
à soutenir l’effort de guerre en Afghanistan.
Mercredi 4 août 2010
Dans la quatrième et dernière
partie de son étude, F. William Engdahl explique l’importance
géopolitique capitale pour les États-Unis des événements ayant
ensanglanté le Kirghizistan. Pour Washington, l’Asie Centrale
est une position-clef dans sa stratégie de domination globale
qui repose sur la militarisation de toute la région. Cet
objectif est servi par la tactique éprouvée de la
guerre de basse intensité :
elle permet l’expansion permanente de la présence de l’OTAN sous
le prétexte de la « guerre contre le terrorisme », financée par
la très profitable production d’héroïne. En Asie Centrale, comme
le suggère William Engdahl, l’empire états-unien joue sa survie.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, l’un des
objectifs stratégiques de premier ordre pour le Pentagone et les
services secrets états-uniens est de s’infiltrer profondément
dans les anciens pays communistes d’Asie centrale. Le Pentagone
s’est évertué à accroître la présence états-unienne dans la
région et est parvenu à attirer quatre des cinq pays d’Asie
centrale au sein du Partenariat pour la Paix de l’OTAN en 1994.
« La manière dont les
États-Unis gèrent l’Eurasie est une question sensible.
Une puissance se rendant maîtresse de l’Eurasie contrôlerait
deux des trois régions les plus développées
et les plus dynamiques au monde d’un point de vue économique. »,
Zbigniew Brzezinski, Le Grand Échiquier, (The Grand Chessboard,
p. 31).
Les opérations tactiques états-uniennes visant à s’assurer
une présence stratégique en Asie centrale ont été engagées bien
avant la chute de l’URSS, notamment l’entraînement de militants
islamistes radicaux — dont Oussama Ben Laden et d’autres
Moudjahidin afghans formés par la CIA. Le soutien états-unien à
ces groupes était destiné à déstabiliser davantage l’URSS
elle-même. En effet, dans les années 1980, la CIA organisa
l’armement des Moudjahidin ; l’opération, au nom de code
Opération Cyclone [1],
avait pour objectif l’épuisement des forces soviétiques déjà
affaiblies et surdéployées [2].
Cette opération reste encore aujourd’hui la plus importante et
la plus coûteuse jamais menée par la CIA. Le journaliste
pakistanais et ancien combattant Ahmed Rashid donnait sa
description des relations étroites entre les Moudjahidin et la
CIA pendant la période au cours de laquelle l’agence entraînait
Oussama Ben Laden :
« Entre 1982 et 1992, quelques 35 000 musulmans radicaux
venus de quarante pays musulmans rejoignirent les rangs afghans,
encouragés par la CIA et les services secrets pakistanais
(l’ISI, pour Inter-Services Intelligence : Direction pour le
renseignement inter-services), qui désiraient transformer le
djihad afghan en une guerre globale de tous les pays musulmans
contre l’Union soviétique. Des dizaines de milliers d’autres
partirent étudier dans les madrasas pakistanaises. En fin de
compte, on peut considérer que plus de cent mille musulmans
islamistes ont subi une influence directe du djihad mené en
Afghanistan » [3].
Le modèle CIA-Moudjahidin se révéla si efficace en
Afghanistan contre l’Armée rouge qu’il fut appliqué aux réseaux
de Moudjahidin djihadistes infiltrés en Tchétchénie dans les
années 1990. En comptant avec la présence d’une population
sunnite aux fortes revendications indépendantistes et de celle
de pipelines datant de l’ère soviétique, essentiels pour les
échanges actuels, le second conflit tchétchène déstabilisa
encore davantage l’État russe pendant sa période trouble sous
Boris Eltsine [4].
Le projet à long terme du Pentagone pour l’Asie
centrale
En 2003 Ariel Cohen — un expert russe, consultant pour le
Pentagone au sein du think tank financé par l’industrie de la
défense, la
Fondation Heritage [5]
— témoignait devant le Sénat des États-Unis : « Depuis
l’échec de 2001 les États-Unis programment l’envoi de forces
aéronavales et de forces spéciales en Asie centrale… » [6].
Ariel Cohen confirmait qu’en réalité, les activités du
Pentagone dans les pays de l’ancien bloc communiste d’Asie
centrale, dont le Kirghizistan et l’Ouzbékistan, avaient
commencé bien avant que la guerre contre le terrorisme ne soit
lancée suite aux attentats du 11 septembre 2001. Il affirmait en
outre devant le Sénat : « Le Général Anthony Zinni, alors
chef de l’US Central Command, en charge de la zone d’Asie
centrale, a commencé à établir des contacts dès le milieu des
années 1990. S’exprimant en coulisses, certains officiels du
Pentagone affirmaient que, même si les États-Unis ne cherchaient
pas installer une base militaire permanente, la question de la
présence états-unienne restait ouverte. » [7].
Cohen, spécialiste de l’Asie et de la Russie, poursuivait
ainsi ses révélations sur le véritable scénario des activités
états-uniennes en Asie centrale : « Les décideurs et les
officiels ont élaboré plusieurs alternatives pour organiser la
rationalisation de la présence états-unienne de l’époque et à
venir. Ils en résumèrent le plan d’ensemble dans ces grandes
lignes : protéger les ressources énergétiques et le réseau
d’acheminement par pipelines ; étouffer l’insurrection des
fondamentalistes musulmans en Asie centrale ; empêcher une
hégémonie chinoise et/ou russe sur la zone ; faciliter la
démocratisation et les réformes capitalistes ; et enfin,
planifier l’implantation états-unienne en privilégiant
l’utilisation de zones de réapprovisionnement en Asie centrale
comme bases de soutien à l’effort de guerre en Afghanistan. De
plus, l’Asie centrale était envisagée comme une rampe de
lancement pour des opérations futures en Irak et en Iran. » [8].
En bref, l’agenda du Pentagone pour l’Asie centrale s’étend
sur le long terme et repose sur une stratégie progressive
d’occupation et de militarisation de la région entière. Tout à
l’avantage du Pentagone, l’instabilité et le sentiment
anti-états-unien provoqués par l’occupation états-unienne et par
les bombardements meurtriers pour les populations civiles
pakistanaise et afghane ont également fourni un excellent
prétexte à l’intensification de la militarisation états-unienne
en Asie centrale. Tout cela est réalisé sous le couvert de
missions de « maintien de la paix », sous l’égide de la FIAS
(Force internationale d’assistance et de sécurité).
Les troubles et l’instabilité générés par les opérations
militaires états-uniennes, et occidentales en général, servent
ainsi à justifier la présence des « forces de maintien de la
paix ». C’est ce petit secret bien embarrassant qui se cache
derrière la terminologie Opérations de maintien de la paix,
que l’OTAN agisse directement comme en Afghanistan et au Kosovo
ou que ce soit l’ONU qui entre en action, comme en Haïti depuis
2004 ou au Soudan depuis 2007 (deux pays aux riches ressources
pétrolifères) ou comme en République démocratique du Congo
(riche en minerais) depuis 1999.
Cohen rendait compte de son analyse voilà presque sept ans,
en octobre 2003, au bout de six mois d’une occupation
états-unienne en Irak qui s’annonçait permanente. Les Japonais
et les Allemands peuvent témoigner de la difficulté à se
débarrasser de la présence militaire états-unienne une fois
qu’elle s’est installée. La stratégie états-unienne en Asie
centrale n’a rien à voir, semble-t-il, avec la récente
résurgence des Talibans. Tout est prévu depuis longtemps. La
stratégie états-unienne s’inscrit dans ce que le Pentagone nomme
« Full Spectrum Dominance » (domination états-unienne
globale et totale), c’est-à-dire le contrôle total des terres,
des mers et des airs.
En avril 2009, le général David Petraeus, chef de l’US
Central Command (chargé non seulement de l’Afghanistan et du
Pakistan mais aussi du Kirghizistan, de l’Ouzbékistan, du
Tadjikistan et des autres anciens pays communistes) déclarait
devant le Sénat états-unien : « Bien que l’Asie centrale ait
reçu relativement moins d’attention que les autres sous-régions
relevant de l’US Central Command, les États-Unis gardent la
ferme volonté d’établir des relations de coopération durables
avec les pays d’Asie centrale et avec les autres grandes
puissances de la région pour restaurer la sécurité dans la
zone. » [9].
Petraeus présentait ensuite les véritables points sur
lesquels se focalise l’intérêt réel du Pentagone et de la Maison
Blanche : « Située entre la Russie, la Chine et
l’Asie du Sud-est, l’Asie centrale occupe une position de pivot
stratégique sur le continent eurasiatique. Cela en fait
une zone de transit majeure pour les échanges régionaux et
internationaux et pour l’approvisionnement des forces de
coalition présentes en Afghanistan. » [10].
[Les caractères gras sont ajoutés par l’auteur]
Les propos de Petraeus ne sont qu’une version allégée des
intérêts stratégiques réels de Washington et du Pentagone dans
la région. L’Asie centrale est aujourd’hui au cœur de la
stratégie globale du Pentagone — tout comme elle l’était pour la
Grande-Bretagne un siècle plus tôt. Il en va ainsi de l’Asie
centrale et de l’empire — l’empire états-unien, celui du
« nouveau siècle américain » ; l’empire, ou comme le proclamait
triomphalement George H. Bush dans les années 1990 au lendemain
de l’éclatement de l’Union soviétique, le Nouvel ordre mondial.
Lorsqu’il décrivait l’Asie centrale comme un pivot en Eurasie
pour les intérêts états-uniens, Petraeus reprenait de manière
tout à fait révélatrice les termes choisis par le Britannique
Sir Halford Mackinder, le père de la géopolitique. À l’instar
des Britanniques cent ans auparavant, le commandement militaire
états-unien se tient bien au fait des articulations
géostratégiques de la région [11].
On ne peut comprendre les intérêts états-uniens au
Kirghizistan qu’en les resituant dans le contexte de ce Grand
Jeu, perpétué par le Pentagone dans sa stratégie
géopolitique eurasiatique visant à militariser la zone qui
constitue ce pivot, le heartland (île mondiale), selon la
terminologie de Mackinder.
Inoculer un cancer en Asie centrale
Il est clair que la phase actuelle de cette guerre
non-déclarée et inégale de la part des États-Unis repose sur une
stratégie soigneusement orchestrée. Cette stratégie vise à
générer des conflits et des insurrections dans toute l’Asie
centrale — une zone de guerre dont le cœur se trouve en
Afghanistan et irait déborder sur le Pakistan et l’Iran, puis
sur le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, perturbant
au final la Russie et, via la province du Xinjiang frontalière
du Kirghizistan, la Chine.
La tactique adoptée pour étendre la militarisation soutenue
par les États-Unis consiste à attiser les insurrections tribales
locales en perpétrant délibérément des atrocités de tout ordre,
notamment sur les civils, à terroriser les populations locales
et à encourager les actes de résistance désespérés — bref, une
stratégie de crimes de guerre délibérés, assumée officiellement.
Cette stratégie n’est pas conçue pour éviter au Pentagone
d’exposer ses troupes en première ligne, ce à quoi il ne
rechigne pas ; elle ne s’explique pas non plus par une meilleure
précision des frappes aériennes effectuées par des drones
télécommandés, par rapport à des bombardements humains. Elle
consiste, de manière tout à fait délibérée, à alimenter les
insurrections et à provoquer les ripostes armées aux atrocités
et autres actions illégales et inhumaines commises par les
États-Unis et l’OTAN. En s’inscrivant dans la logique de la
guerre contre le terrorisme, cette stratégie justifie à l’avance
la poursuite de l’expansion de la présence de l’OTAN. Avec une
telle stratégie, ils alimentent une guerre qui ne peut jamais
être gagnée, et, par voie de conséquence, qui fournit une excuse
à la présence permanente des États-Unis et de l’OTAN.
Aujourd’hui il devient évident pour de nombreux analystes
perspicaces que la guerre contre le terrorisme n’est qu’une
farce. Une farce au dessein néanmoins diabolique, un moyen pour
Washington de justifier la militarisation des zones
conflictuelles, étape par étape, à mesure que le Pentagone étend
sa zone d’influence sur tout le globe, selon sa stratégie de « Full
Spectrum Dominance ».
Avec son offensive propagandiste initiée le 11 septembre
2001, l’islam radical djihadiste a remplacé avec succès l’ennemi
rouge soviétique dans l’esprit de la plupart des États-Uniens.
Grâce à cette tromperie idéologique cynique et très élaborée,
ces États-Uniens sont convaincus d’envoyer leurs enfants mourir
pour une noble cause, celle de la « victoire sur le
terrorisme ».
Depuis la prise de fonction de l’administration Obama en
janvier 2009, la guerre menée par les États-Unis s’est propagée
au-delà des frontières afghanes sur le territoire pakistanais,
centimètre après centimètre, village après village, cadavre
après cadavre, sans autre réaction de la part du Président
pakistanais Asif Ali Zardari qu’une faible protestation
publique.
Le Président pakistanais
Asif Ali Zardari ; en arrière-plan, le portrait de sa femme,
Benazir Bhutto, assassinée en 2007.
Zardari est le mari de Benazir Bhutto, assassinée en 2007.
Selon une enquête du Sénat des États-Unis, Zardari a bénéficié
personnellement dans les années 1990 de fonds publics s’élevant
à 1,5 milliards de dollars en tant que ministre du Développement
alors que sa femme était Premier ministre ; cela lui valut le
surnom de « Monsieur 10 % », en référence à la rétribution qu’il
exigeait pour faciliter la signature de contrats de
développement. Il aurait fait sortir ces fonds illégalement du
territoire et les aurait placés sur des comptes privés de la
Citibank dissimulés en Suisse et à Dubaï. Sans surprise, les
autorités états-uniennes de l’époque avaient bloqué l’enquête [12].
À présent, Zardari semble résigné à accepter la présence
militaire états-unienne dans son pays. Peut-être parce que les
États-Unis sont en mesure de le faire chanter en menaçant de
révéler les détails de ses affaires passées avec la Citibank [13].
On attribue à Zalmay Khalilzad, un néo-conservateur
américano-afghan ayant contribué à organiser la guerre en
Afghanistan sous l’administration Bush, le choix de son vieil
ami Hamid Karzai pour occuper le poste de président en
Afghanistan, une marionnette entre les mains de Washington [14].
Khalilzad joua également un rôle central dans le soutien
états-unien à Zardari lors des élections présidentielles de
2008, lorsque Musharaff apparut de moins en moins fiable aux
yeux de certains à Washington. [15].
En tant que président, Zardari a réussi à retarder les
mesures visant à instaurer une agence nationale de lutte
antiterroriste [16].,
une attitude qui convient tout à fait à l’agenda du Pentagone.
Près de dix ans après le début de la guerre contre le
terrorisme, dans laquelle le Pakistan occupe une grande place,
le pays souffre toujours de l’absence d’une stratégie
antiterroriste efficace. Zardari a récemment lancé à Dennis
Blair, [l’ancien, N.D.T.] directeur du renseignement national
auprès de Barack Obama, un « appel à l’aide. » [17].
Avec l’extension de la guerre sur le territoire pakistanais
grâce, entre autres, aux drones de la CIA bombardant les
populations civiles, sous couvert de lutte contre les Talibans,
les États-Unis ont procédé à une subtile manœuvre linguistique
en popularisant le terme Afpak pour désigner la zone de
conflits. Un acronyme dont l’emploi sous-entend l’acceptation du
fait que le conflit déclaré s’est étendu avec succès au
Pakistan.
La prochaine phase de l’extension de la guerre en Eurasie
fait intervenir le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le
Tadjikistan. La vallée de Ferghana, s’étendant sur ces trois
pays, constitue le pivot autour duquel éclateront les conflits
et à partir duquel les États-Unis et l’OTAN s’attribueront le
contrôle de toute l’Asie centrale. C’est pourquoi l’enjeu
stratégique de la présence états-unienne dans la région est
capital.
L’extension de la guerre via le NDN (Réseau de
distribution du Nord)
Dans l’optique de cette stratégie, il est primordial pour les
États-Unis de conclure des accords avec les gouvernements
respectifs du Kirghizistan et de l’Ouzbékistan au sujet du
réseau septentrional d’approvisionnement vers l’Afghanistan.
Cette nouvelle route a été baptisée Réseau de distribution du
Nord (pour NDN, Northern Distribution Network), une dénomination
anodine qui cache de toutes autres réalités.
Dans cette zone du heartland eurasien hautement
stratégique, le NDN est indispensable au processus d’extension
de la présence militaire des États-Unis et de l’OTAN, des forces
militaires désignées par l’euphémisme « Force internationale
d’assistance et de sécurité » (FIAS). Et la présence des
États-Unis au Kirghizistan est indispensable au développement du
NDN.
Le Réseau de distribution du Nord implique toute une série
d’agencements logistiques pour relier les ports de la mer
Baltique et de la mer Caspienne à l’Afghanistan, via la Russie,
l’Asie centrale et le Caucase.
Outre le vaste réseau du NDN, les États-Unis commencent à
envisager le développement de réseaux de transit traversant
l’Iran et la Chine, dans le but d’ouvrir une brèche à la
logistique du Pentagone, intrusion préliminaire à bien d’autres
dans ces pays au régime hostile à Washington.
Le Réseau de distribution du Nord est un rêve trop beau pour
être vrai : un ensemble de mécanismes, ne coûtant que quelques
millions de dollars de taxes sur le transport, mais qui permet
de pénétrer profondément dans tout le continent eurasien. Les
flux de matériels de guerre et de troupes utilisant ce réseau en
plein essor promettent d’être denses. Avec le renforcement de la
présence états-unienne en Afghanistan depuis la politique du
surge de Barack Obama, les prévisions de la demande en
approvisionnement non-militaire pour les années 2010 et 2011
affichent une progression située entre 200 et 300 % par rapport
à 2008 [18].
Richard Holbrooke (à
gauche), l’envoyé spécial états-unien pour l’Afghanistan
et le Pakistan avec Hamid Karzaï, le président de l’Afghanistan.
Richard Holbrooke, l’envoyé spécial états-unien pour
l’Afghanistan et le Pakistan, s’est rendu dans chaque pays-clef
d’Asie centrale en février dernier afin de raffermir les liens
avec les pays traversés par le NDN, dont le Kazakhstan,
l’Ouzbékistan et le Kirghizistan [19].
Au cours de sa visite au Kirghizistan, Holbrooke aurait
vraisemblablement tenté d’obtenir une rencontre secrète sur la
base aérienne de Manas avec des membres du Mouvement islamique
d’Ouzbékistan, une organisation officiellement déclarée
« organisation étrangère terroriste » en 2002 par le Département
d’État dans lequel Holbrooke officiait [20].
Il semble que cette rencontre devait porter sur les
opérations visant à déclencher le sabotage par la guérilla des
installations du nouveau gazoduc reliant le Turkménistan,
l’Ouzbékistan, le Kirghizistan et la Chine (TUKC) [21].
Si c’est la vérité, cela confirmerait que l’objectif
géopolitique réel du positionnement des forces états-uniennes
sur la base de Manas et chez les voisins du Kirghizistan est de
perturber les flux énergétiques essentiels à la Chine et à toute
l’Eurasie, sous couvert d’attaques terroristes. Il s’agit du
coup classique des opérations sous faux drapeau, dans lesquelles
les vrais commanditaires se cachent derrière de faux
commanditaires [22].
Paul Quinn-Judge, directeur en Asie centrale de l’ONG
International Crisis Group, a déclaré récemment dans Time
que les flux croissants d’approvisionnement militaire par les
voies de communication au Kirghizistan et en Asie centrale
provoqueront des attaques sur les convois par des groupes
insurgés, tels que le Mouvement islamique d’Ouzbékistan et
l’Union du djihad islamique. Il ajoutait : « Le problème qui
se pose avec le Réseau de distribution du Nord est évident : la
zone de conflits est susceptible de s’étendre à toute l’Asie
centrale. » [23]
.
Il est significatif qu’en mars 2009 Barack Obama ait annoncé
une aide de 5,5 millions de dollars au gouvernement Bakiev pour
la construction d’un centre d’entraînement antiterroriste dans
le sud du Kirghizistan. Cela constituerait la seconde
implantation directe majeure dans le pays, et aussi une base de
départ idéale pour exporter la guerre.
Le fait que la politique étrangère secrète du Pentagone et de
la CIA consiste en partie à utiliser des militants islamistes
est avéré. Les militaires qui entraînent les terroristes
entraînent aussi les antiterroristes. Ceci pourrait
apparaître comme une politique étrangement contradictoire, or ce
serait oublier l’essence même des tactiques de guerre
états-uniennes et britanniques appliquées activement depuis le
début des années 1950.
Guerre de basse intensité et maintien de la paix
Cette stratégie particulière avait été nommée « guerre
de basse intensité » (Low Intensity Warfare) par
l’officier britannique Frank Kitson. Il développa et peaufina sa
méthode visant à reprendre le dessus dans des zones assujetties,
comme en Malaisie et au Kenya pendant la révolte des Mau Mau et
les luttes pour l’indépendance, puis plus tard en Irlande du
Nord.
Ce concept de guerre de basse intensité, tel que l’a défini
Kitson [24],
inclut l’usage de la tromperie, l’infiltration d’agents doubles
et d’agents provocateurs et même des actions de transfuges
infiltrés dans les mouvements populaires légitimes, comme cela
s’est passé avec les mouvements anticolonialistes après 1945.
Cette tactique est également appelée gang / antigang.
L’idée de fond est que l’agence de renseignement ou la force
d’occupation armée concernée — que ce soit l’armée britannique
au Kenya ou la CIA en Afghanistan — contrôle dans les faits les
opérations menées par les deux camps d’un conflit intérieur,
créant ainsi de petites guerres civiles ou entre gangs. Le but
recherché réside dans la division de l’ensemble des mouvements
légitimes et dans l’excuse ainsi fournie pour l’acheminement de
renforts militaires supplémentaires, comme le font les
États-Unis avec la Force internationale d’assistance et de
sécurité (FIAS), une mission à la dénomination trompeuse [25].
Dans son cours de l’US Air War College sur l’intervention
militaire états-unienne depuis la guerre du Viêt-Nam, Grant
Hammond fait clairement référence à la guerre de basse
intensité, autrement dit « les opérations de maintien de la
paix », en la qualifiant de « guerre qui ne dit pas son nom » [26].
En effet, d’après de nombreux rapports établis en Irak après
l’invasion états-unienne en Afghanistan en 2003, les forces
spéciales britanniques et états-uniennes auraient armé
secrètement les soi-disant terroristes contre les gouvernements
d’Irak et d’Afghanistan qui reçoivent le soutien des États-Unis.
Cela signifie bien armer les Talibans tout en consacrant des
millions de dollars à l’armement des combattants antiterroristes
locaux [27].
Si c’est la vérité, ce serait la consécration de la méthode
avancée par Kitson.
Au sein des forces spéciales qui arment les insurgés, et
c’est plus grave, se trouvent également des mercenaires privés
ou des hommes appartenant à des sociétés militaires privées,
telles que Blackwater (récemment rebaptisée
Xe après la révélation de son implication flagrante dans le
meurtre de civils en Irak).
De l’entraînement de la police…
C’est au cœur de cette stratégie d’extension de la guerre de
basse intensité à toute l’Asie centrale depuis l’Afghanistan que
se trouve le nouveau programme « d’entraînement » de la police
afghane, dont le but officiel est de rétablir l’ordre. Selon un
sondage récent, moins de 20 % de la population des provinces de
l’est et du sud de l’Afghanistan fait confiance à la police
entraînée par les États-Unis. Un chauffeur de taxi faisait cette
remarque : « Les Talibans, on s’en fiche ; c’est la police
qui nous inquiète » [28].
Jeremy Kuzmarov, un historien états-unien très prolifique sur
le sujet de l’armée des États-Unis, a analysé en détail et sur
plus de cent ans le schéma délibérément adopté par les
États-Unis dans le cadre de l’entraînement des polices
nationales. Pour lui, ces entraînements, a priori anodins
et routiniers, sont le moyen le plus efficace pour les
États-Unis d’assurer aux régimes clientélistes un appareil
sécuritaire intérieur fidèle, ce qui leur permet d’affermir leur
pouvoir et de réprimer l’opposition politique. Il explique :
« Avec l’extension de la guerre en Afghanistan et au
Pakistan, l’administration Obama a mis l’accent sur les
programmes d’entraînement des forces de police. Le but affiché
est d’assurer la sécurité de la population de telle sorte que
les forces locales soient en mesure de prendre graduellement la
relève dans le processus de pacification. Le même procédé fut
utilisé par les États-Unis en Irak. Dans les deux cas, les
hommes entraînés par les États-Unis se sont rendus coupables de
violences religieuses, d’exécutions sommaires et d’actes de
torture. En même temps les armes et les équipements que les
États-Unis leur fournissent se retrouvent fréquemment entre les
mains des insurgés, dont un grand nombre est infiltré dans les
forces armées officielles. Tout ceci a contribué à faire durer
ces deux conflits. » [29].
Le dernier point est le plus essentiel : la répression
constitue l’arme fondamentale de la guerre de basse intensité
(et inégale) que mènent les États-Unis, en plus d’être un levier
pour l’exercice du pouvoir. En Afghanistan, la répression sert à
renforcer le conflit et la résistance intérieure jusqu’à ce que
la présence militaire états-unienne devienne intolérable à la
population. En retour, l’essor de la résistance sert à justifier
une telle extension de la guerre ; c’est le surge
d’Obama. C’est un processus qui s’autoalimente, un objectif que
visent les États-Unis depuis la fin de l’ère soviétique.
Selon Kuzmarov, la police afghane, méprisée et crainte, est
manipulée par les chefs de guerre tribaux payés par la CIA. Les
opérations habituelles consistent à attaquer des checkpoints au
hasard, abattre des manifestants désarmés, déposséder les petits
agriculteurs de leurs terres, terroriser les populations civiles
en procédant à une guerre de nettoyage par l’attaque
systématique des habitations lors de raids menés par les
États-uniens et la police afghane qu’ils entraînent. Kurmazov
poursuit : « Ce genre d’exactions correspond aux schémas
observés par le passé ; elles sont le fruit d’antagonismes
ethniques et d’une polarisation sociale aggravés par la présence
états-unienne et par la mobilisation des forces de police à des
fins politiques et militaires. » [30].
Ceci rappelle l’Opération
Phénix des États-Unis au Viêt-Nam.
Une initiative douteuse : l’Initiative de défense de
la communauté (Community Defense Initiative)
Au cours des derniers mois, le chef de l’US Command en
Afghanistan, Robert McChrystal, est parvenu à consacrer 1,3
milliards de dollars au financement de ces milices
« anti-Talibans » dans quatorze zones du pays. Ce programme
top-secret est si confidentiel que McChrystal refuse d’en
dévoiler les détails à ses alliés de l’OTAN, bien qu’il soit
également le commandant en chef des opérations de la FIAS en
Afghanistan. Mais qui saurait distinguer qui est Taliban de qui
est anti-Taliban au sein de ces gangs armés par les États-Unis
qui attaquent les forces de l’OTAN ? L’organe de presse du
Pentagone et ses journalistes affiliés pourront, à n’en pas
douter, nous donner la réponse [31].
Ce programme d’initiative de défense de la communauté n’a pas
été baptisé par cet innocent euphémisme par hasard. Il serait
pris en charge par le tout nouveau « Groupe de forces
spéciales » (Special Forces Group) qui s’en remet directement à
McChrystal, en tant que chef de l’US Command en Afghanistan.
Malgré le fait que McChrystal soit le chef de la mission de
l’OTAN en Afghanistan (la très officielle FIAS), les autres
membres sont tenus à l’écart des opérations qui concernent
précisément la question de l’armement des milices locales par
l’Initiative de défense de la communauté. Ceci est tout à fait
révélateur [32].
Peut-être que ces cachoteries envers les alliés de l’OTAN
s’expliquent en partie par leur opposition ferme à un tel
approvisionnement d’armes au bénéfice de milices locales.
McChrystal aurait externalisé l’organisation des opérations
des milices locales. C’est Arif Noorzai qui en prend la
responsabilité ; il s’agit d’un homme politique très controversé
de la province du Helmland, la première région productrice
d’opium au monde. Personne ne fait confiance à Arif Noorzai,
pour le dire sans détour. Ces financements et ces
approvisionnements d’armes semblent s’inscrire pleinement dans
la stratégie du surge menée par Petraeus.
Le 19 mai, les services de presse du Pentagone annonçaient
que des « insurgés » avaient mené un lourd assaut contre la
forteresse de la base militaire de Baghram en Afghanistan, à
l’aide de roquettes, de grenades et autres armes légères. On a
dénombré sept soldats états-uniens blessés et de nombreux
insurgés tués. Le jour précédent, un groupe de kamikazes avait
attaqué un convoi militaire états-unien à Kaboul, tuant dix-huit
personnes dont cinq soldats états-uniens. Les officiels de
Pentagone déclaraient que les Talibans avaient revendiqué
l’attaque [33]
.
Nous avons ici décrit les faits tels qu’ils sont visibles en
surface. Ce qui n’est absolument pas clair est la nature de ces
« insurgés » ; font-ils partie des milliers de civils recrutés
par Arif Noorzai au nom de la si peu encadrée Initiative de
défense de la communauté, ou bien s’agit-il d’Afghans qui
résistent réellement aux assauts et aux atrocités perpétrés par
les États-Unis ? Les raisons de la revendication de ces attaques
par les Talibans sont également obscures ; il pourrait s’agir
d’une manœuvre d’opportunisme politique de leur part, une ruse
pour apparaître plus forts qu’ils ne le sont réellement aux yeux
des autres Afghans.
C’est une pratique bien connue du Pentagone d’employer des
sociétés militaires privées en Afghanistan et ailleurs pour
exécuter les ordres auxquels les forces armées états-uniennes
soumises à la loi ne peuvent obéir : c’est la privatisation de
la guerre, si l’on veut. Récemment le New York Times a
révélé l’utilisation secrète et illégale par le Pentagone de
sociétés militaires privées par l’intermédiaire de la Lockheed
Corporation — des regroupements aux diverses appellations,
telles que : Alternatives d’influence stratégique ou Société
américaine de sécurité internationale — pour mener des
opérations secrètes à l’est de l’Afghanistan et au-delà de la
frontière avec le Pakistan. Ce réseau, qui emploie des
mercenaires états-uniens, afghans, et pakistanais serait
supervisé par un ancien ponte de la CIA et expert
antiterroriste, Duane « Dewey » Clarridge, qui joua un rôle
important dans les opérations de trafic de drogue avec les
groupes armés des Contras au Nicaragua dans les années 1980 [34]
Armer les milices afghanes, déployer des unités de
mercenaires privés d’origine afghane ou pakistanaise
non-soumises aux règles de la Convention de Genève ou aux lois
afghanes et dirigées par des vétérans des services secrets
états-uniens, c’est ainsi que se compose la recette qui peut
mener à l’embrasement de nouvelles zones de conflits. Les
archives du commandement états-unien en Irak, et même en
Afghanistan aujourd’hui, laissent à penser que leur intention
est réellement d’utiliser la guerre de basse intensité comme une
stratégie d’extension de la guerre, sous le couvert de la
« Mission de maintien de la Paix » de l’OTAN.
La solution réside dans le Réseau de distribution du
Nord
À l’heure actuelle, les États engagés dans le Réseau de
distribution du Nord sont la Lettonie, Nation-membre de l’OTAN
et ancien pays communiste, l’Azerbaïdjan producteur de pétrole
et soumis aux États-Unis, l’État fantoche de Géorgie, le
Kazakhstan, la Russie, le Tadjikistan, et l’Ouzbékistan. Dans un
exercice de style linguistique digne d’un roman d’Orwell, le
Pentagone a rebaptisé les bases militaires utilisées dans les
conflits en centres de transit. Elles restent malgré tout des
bases militaires états-uniennes, nonobstant ce changement de
terme.
Le rôle de la Russie dans le Réseau de distribution du Nord
est complexe. Moscou a facilité la construction d’une ligne de
chemins de fer qui représente la voie de communication
principale au sein du NDN ; il s’étend de la Lettonie jusqu’à la
frontière entre l’Ouzbékistan et l’Afghanistan. Le gouvernement
Poutine a également travaillé de concert avec l’administration
Obama à ce propos ; les Russes ont accepté le survol de leur
territoire par des cargaisons de matériaux létaux. Les
entreprises russes, qui se débattaient dans les remous financier
de la crise mondiale pour se maintenir à flot, ont subitement
bénéficié de contrats logistiques avec le Pentagone, et ainsi
engrangé des dizaines de millions de dollars dont elles avaient
grandement besoin. Pourtant, au même moment, Moscou tentait de
convaincre le gouvernement kirghize de Bakiev de retirer aux
États-Unis leurs droits d’accès à la base de Manas [35].
Sur ce point, Moscou a échoué.
De plus, le Réseau de distribution du Nord fournit à
Washington une marge de manœuvre de plus en plus importante par
rapport aux économies sous-développées et instables d’Asie
centrale. Les accords d’acheminement lient économiquement les
transporteurs locaux aux États-Unis. Ces transporteurs voient
leurs liens avec la Russie s’affaiblir dans de nombreux cas, ou
bien des groupes d’intérêts se créer en Russie pour prolonger la
coopération avec l’OTAN. Il est facile de concevoir le potentiel
que porte le Réseau de distribution du Nord pour créer dans la
région un pôle économique antagoniste à l’Organisation du traité
de coopération de Shanghai. Les entreprises russes récoltent à
elles seules plus d’un milliard de dollars par an dans les
contrats indispensables au Pentagone pour acheminer
l’approvisionnement militaire en passant par la Russie et le
Réseau de distribution du Nord [36].
Si les États-Unis parvenaient à militariser l’Asie centrale à
partir de l’Afghanistan, ils feraient échec et mat ; en
effet, ils seraient alors en mesure d’empêcher un certain nombre
d’États de s’opposer au programme de Full Spectrum Dominance
du Pentagone. La capacité des Nations d’Amérique de Sud (du
Venezuela à la Bolivie et de Cuba au Brésil) à suivre une ligne
politique et économique indépendante du diktat de Washington
serait balayée. La capacité de la Chine à construire une zone
économique stable en Asie, protégée du danger de la chute du
dollar, disparaîtrait. En Russie éclateraient de violents
troubles à mesure que les conflits tribaux, ethniques et
religieux s’étendraient aux États de l’ancien bloc communiste, à
l’image d’une nouvelle guerre de Trente Ans. Aussi l’enjeu pour
Washington dans les événements du Kirghizistan qui semblent si
lointains est-il d’une importance géopolitique capitale.
Le NDN et le « centre antiterroriste » de Batken
Dans ce contexte, le nouveau centre d’entraînement
antiterroriste de Batken au Kirghizistan revêt une importance
capitale pour la Grande Stratégie que mèneront à l’avenir les
États-Unis au cœur de l’Asie centrale. Ce centre d’entraînement
a été construit à l’initiative de l’administration Obama dans le
but de former des unités de forces spéciales, baptisées
Scorpion, à « mener des opérations de lutte contre la
drogue et le terrorisme » Cette base d’entraînement
constitue un point d’ancrage pour contrôler toute la région
eurasiatique, de la Russie en passant par le Kazakhstan et
jusqu’à la Chine.
Batken est l’axe ou le pivot autour duquel s’articuleront les
opérations états-uniennes en Asie centrale.
Le 17 mars 2010, le ministre de la Défense du Kirghizistan du
gouvernement de Bakiev, aujourd’hui déchu, faisait une
déclaration au sujet du centre d’entraînement dans la province
de Batken (Batken Oblast). Il considérait que sa construction
émanait « d’un projet issu des relations bilatérales entre
le Kirghizistan et les États-Unis, et que son but [était] de
lutter contre le terrorisme international, l’extrémisme
religieux, le crime organisé international et le trafic de
drogue. » Selon le ministre, le projet n’est « dirigé
contre aucun pays-tiers » et n’entre « en conflit avec
aucune des obligations du Kirghizistan envers l’Organisation du
traité de sécurité collective et les autres organisations
internationales. » [37].
Des sources anonymes au sein du ministère de la Défense du
Kirghizistan prévoient que les soldats « antiterroristes »
kirghizes entraînés par les États-Unis soient impliqués dans
d’éventuels « conflits locaux » — et plus précisément dans des
conflits avec l’Ouzbékistan. Ceci devrait fournir un excellent
prétexte pour étendre le conflit orchestré par les États-Unis à
la vallée de Ferghana, une zone hautement stratégique.
Le ministre de la Défense kirghize ajoutait que la
construction du camp d’entraînement états-unien dans la province
de Batken n’était « qu’un des nombreux projets menés
conjointement par le Kirghizistan et les États-Unis » dans le
domaine militaire, et qu’elle s’inscrivait dans « les relations
de coopération entre les deux États sur les questions militaires
définies par le programme du Pentagone de financement militaire
à l’étranger (Foreign Military Financing, FMF) depuis 1996. » [38].
Certains spécialistes de stratégie militaire en Chine et en
Russie, avec lesquels l’auteur s’est entretenu en privé,
considèrent que l’entraînement de soldats nationaux par les
États-Unis satisfait certaines intentions de l’US Central
Command : d’abord, l’expansion de la présence militaire des
États-Unis et de l’OTAN sur les axes de communication
stratégiques de l’Asie centrale, ensuite un positionnement des
forces permettant de peser sur l’évolution des négociations
politiques et énergétiques en Eurasie, de la Russie à la Chine.
Zbigniew Brzezinski, le conseiller à la sécurité nationale
du Président des États-Unis Jimmy Carter, considère l’Eurasie
comme la seule zone regroupant des pays capables de défier
l’hégémonie états-unienne.
Brzezinski est un protégé de David Rockefeller et un disciple
du géopoliticien britannique Macfinder. En 1997, il écrivait ces
lignes :
« Les États-Unis sont aujourd’hui la seule superpuissance
mondiale, et c’est en Eurasie que tout se joue dans le monde.
Ainsi, la distribution des pouvoirs sur le continent eurasien
sera d’une importance décisive pour la suprématie états-unienne
et pour son héritage historique… Tant que les signes venus
d’Europe et d’Asie sont encourageants, chacune des politiques
états-uniennes, pour être couronnée de succès, doit se focaliser
sur l’Eurasie et considérer le continent comme un tout. Les
politiques menées doivent avant tout être guidées par un plan
global de stratégie géopolitique… Pour cela, la priorité revient
à la pratique de la ruse et de la manipulation pour empêcher
l’émergence d’une coalition hostile qui pourrait tenter de
supplanter la primauté états-unienne. » [39]
Dans son livre le plus révélateur de sa pensée, Brzezinski
ajoute :
« La tâche la plus urgente est de s’assurer qu’aucune
nation ou regroupement de nations ne s’arroge la capacité à
chasser les États-Unis d’Eurasie ou à amoindrir de façon notoire
son rôle d’arbitre dans la région. » [40].
À la lumière de ce courant de pensée, quelques faits
s’éclairent différemment :
En
janvier 2009, le chef de l’US Central Command, le général David
Petraeus, annonçait que des accords sur les voies de
communications avaient été signés avec la Russie, le Kazakhstan
et l’Ouzbékistan.
En
mars 2009, le gouvernement ouzbek autorisait le transfert de
soldats états-uniens vers l’Afghanistan dans des appareils de la
Luftwaffe, à partir de la base militaire allemande de Termez.
En
mai 2009, les États-Unis créaient un centre nodal
d’approvisionnement sur l’aéroport de Navoi en Ouzbékistan, dont
les opérations de transit sont assurées par une entreprise
sud-coréenne.
En
juin 2009, le contrat d’exploitation de la base aérienne de
Manas était prolongé, alors que le Kirghizistan avait
auparavant, et à plusieurs reprises, annoncé que les États-Unis
seraient forcés de partir au mois d’août 2009.
Enfin,
en juillet 2009, il était révélé au public que l’US Air Force
menait une modeste opération de réapprovisionnement en matériel
et en carburant depuis un lieu inconnu situé au Turkménistan [41].
Les stratèges du Pentagone s’attelèrent au projet du Réseau
de distribution du Nord dès le début de l’année 2006, alors que
peu d’informations filtraient à propos de l’insurrection des
Talibans et que l’offensive militaire perdait de la vitesse. On
constate aisément qu’à mesure que la présence états-unienne en
Afghanistan prenait de l’ampleur, les opérations menées par les
milices insurgées s’intensifiaient elles aussi. Nous l’avons
déjà remarqué, et cette corrélation ne relève pas du hasard.
Graduellement, étape par étape, les autorités états-uniennes se
sont appliquées à conclure des accords pour les droits de
transit, avec des États aussi essentiels que la Russie et
d’autres pays frontaliers de l’Afghanistan.
De manière générale, les accords bilatéraux passèrent
inaperçus. Ils prirent leur forme définitive au milieu de
l’année 2008, dans ce que le Pentagone nomme aujourd’hui le
Réseau de distribution du Nord. Un rapide coup d’œil aux images
satellites de Google Maps ou de la National Oceanic and
Atmospheric Administration (NOAA) rend parfaitement explicite
l’importance du NDN.
Un chargement militaire en transit via le NDN peut prendre
son départ depuis l’un des deux « hubs de l’ouest », en Lettonie
ou en Géorgie. Partant d’une de ces deux zones sécurisées, il
rejoint l’Afghanistan par train, camion, ferry à travers la
Russie et ses anciens pays satellites : par le Kazakhstan et
soit par le Kirghizistan et le Tadjikistan, soit par
l’Ouzbékistan. Les déclarations officielles justifient ce projet
de voies de communication par le besoin de disposer de voies
d’accès sécurisées vers l’Afghanistan, en évitant tout passage
par le Pakistan [42].
C’est un destin tout à fait ironique pour Riga, la capitale
lettone, d’être devenue le point de départ de la plus importante
voie du NDN. Ce port de la mer Baltique au climat doux tout au
long de l’année sert aujourd’hui à transférer les chargements
des cargos affrétés par les États-Unis dans les trains russes.
Après la Russie, le réseau ferré se prolonge en direction du sud
et traverse le Kazakhstan et l’Ouzbékistan en longeant les côtes
de la mer Caspienne ; il se termine dans le nord de
l’Afghanistan. Ces chemins de fer russes furent construits par
l’URSS pour soutenir l’effort de sa guerre d’Afghanistan dans
les années 1980 ; aujourd’hui, animée par sa volonté de
coopération avec les États-Unis et l’OTAN, la Russie met ce
réseau ferré à leur disposition afin qu’ils puissent mener leur
campagne d’Afghanistan [43].
Un autre parcours via le NDN part de Géorgie, évite la Russie
en passant par le port de Ponti sur la mer Noire et se prolonge
vers Bakou en Azerbaïdjan ; là-bas les cargaisons militaires
sont chargées sur des ferrys qui traversent la mer Caspienne et
rejoignent le Kazakhstan. Des camions prennent le relais pour
livrer les chargements en Ouzbékistan ou en Afghanistan. Ce
parcours est emprunté par un tiers du flux total en transit via
le NDN. La troisième voie du NDN évite tout passage par
l’Ouzbékistan ; elle part du Kazakhstan, traverse le
Kirghizistan et le Tadjikistan pour déboucher en Afghanistan [44].
Ce contexte géographique est déterminant ; il est tout à fait
clair que le Kirghizistan sera à l’avenir le théâtre des
nouveaux conflits que prépare le Pentagone à l’aulne de sa
stratégie eurasiatique ; le pays est, selon les mots du général
Petraeus, le pivot de cette stratégie. C’est ainsi que le décrit
Peter Chamberlain, spécialiste de l’Asie centrale :
« Le brusque réajustement commun des intérêts des Talibans
et du Pakistan (formalisé par les arrestations en série de
Talibans) est une tentative des États-Unis et de l’OTAN de
justifier l’ouverture de ce nouveau front dans la guerre contre
le terrorisme en donnant la priorité à la sécurisation du Réseau
de distribution du Nord. Le réseau prépare le terrain à
l’implantation planifiée des pipelines qui exploiteront les
alléchantes ressources minières énergétiques qui ne demandent
qu’à être extraites des riches sous-sols du bassin de la mer
Caspienne. Ce récent réajustement, centré sur l’intérieur du
territoire eurasien, n’a été possible que grâce aux arrangements
des États-Unis avec Islamabad afin de tirer avantage des
relations cordiales qu’entretient le Pakistan avec les Talibans,
plutôt que de s’y opposer. » [45].
L’opium dans la guerre en Asie centrale
C’est l’opium qui donne incontestablement sa cohérence à la
stratégie états-unienne de guerre de basse intensité.
Comme c’était le cas pour les entreprises de commerce
britanniques et états-uniennes pendant les guerres de l’opium
contre la Chine à partir des années 1840, l’opium joue encore
aujourd’hui un rôle central dans la stratégie de mise sous
contrôle de l’Asie centrale.
Wayne Madsen, un journaliste qui mène des enquêtes sur
Washington et s’exprime sur son site Internet Wayne Madsen
Report (WMR), décrit le rôle du trafic d’opium lors de
l’invasion états-unienne en 2001 et pendant l’occupation du
territoire : « Selon des informations dont a fait part un
vétéran de la Delta Force au WMR, lorsque les unités d’élite des
forces militaires furent envoyées en Afghanistan après les
attentats du 11-Septembre, le premier ordre qu’elles reçurent de
la CIA fut de protéger les plantations de pavot. Des sources du
WMR au sein du FBI confirment que le trafic en Afghanistan a
remplacé celui que dirigeait Khun Sa, le roi de l’opium du
Triangle d’or en Birmanie, et que le pays est aujourd’hui la
source principale de l’opium et de l’héroïne dont dispose la CIA
pour ses opérations de narcotrafic. » [46].
Depuis plusieurs décennies, la CIA et le Pentagone entraînent
et infiltrent des agents se posant comme terroristes islamistes
en Asie centrale, en particulier dans les régions avoisinant la
vallée de Ferghana, riche en uranium, sur les territoires de
l’Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Kirghizistan. L’un des
acteurs principaux de cette mascarade est une organisation dont
la création fut financée par la CIA, le Mouvement islamique
d’Ouzbékistan (Islamic Movement of Uzbekistan, IMU). Le
Mouvement islamique d’Ouzbékistan, également actif au-delà de la
frontière ouzbek avec le Kirghizistan et dans toute la vallée de
Ferghana, gère désormais ses propres fonds qui proviennent du
lucratif trafic d’opium.
Selon Interpol, le Mouvement islamique d’Ouzbékistan serait
fortement impliqué dans le trafic de l’héroïne produite en
Afghanistan, qui circule au Kirghizistan, en Ouzbékistan et dans
toute l’Asie centrale. Dans une audition devant le Congrès
états-unien, Ralf Mutschke, un expert de la lutte contre le
narcotrafic pour Interpol déclarait : « En dépit de son
programme politique et idéologique, la nature de ce mouvement
n’est pas uniquement celle d’une organisation terroriste ; il
s’agit davantage d’une organisation hybride dans laquelle la
priorité est plus volontiers donnée aux intérêts illégaux qu’aux
objectifs politiques. Les dirigeants du Mouvement islamique
d’Ouzbékistan ont tout intérêt à faire perdurer les troubles et
l’instabilité dans la région afin de sécuriser les voies de
communication qu’ils exploitent pour le trafic de drogue.
» [47].
Spécialiste de l’Asie centrale, Peter Chamberlain démontre
que le Mouvement islamique d’Ouzbékistan est un réseau de trafic
de drogue créé selon le bon vouloir de la CIA :
« Il y a toutes les raisons de penser que le Mouvement
islamique d’Ouzbékistan est une création de la CIA. Citons
l’analyse incontestable de la question que Steve Coll a publiée
dans son ouvrage Ghost Wars : “Le directeur de la CIA,
William Casey, par une décision qui outrepassait ses fonctions,
décida d’intensifier les opérations de propagande visant la
déstabilisation de l’Union soviétique à l’intérieur même de ses
frontières. C’est à cette fin que la CIA a promû l’Islam en
Ouzbékistan ; d’abord, en chargeant un Ouzbek exilé en Allemagne
de traduire le Coran en ouzbek, puis en enjoignant les services
secrets pakistanais d’en distribuer 5 000 copies… Depuis le
début, avant même l’invasion soviétique, la révolution afghane
était planifiée par une coalition de pays menée par la CIA. De
même, l’Islam wahhabite — une forme politique de la religion
musulmane, enseignée aux combattants dans les madrasas locales à
partir des textes dits musulmans, made in USA à
l’Université du Nebraska — est une déviance de l’Islam qui
intègre des techniques de modifications comportementales.” » [48].
Chamberlain va plus loin :
« S’il est véridique que la CIA a fourni les livres
propageant la pensée djihadiste dans les madrasas que
fréquentaient les soldats du Mouvement islamique d’Ouzbékistan,
alors tout ce qui est mis en œuvre par ce mouvement émane de la
CIA… Les missions militaires et la lutte contre le trafic de
drogue organisées par les États-Unis pour mener la chasse aux
terroristes et aux trafiquants de drogue du Mouvement islamique
d’Ouzbékistan permettent de couvrir les activités des agents des
Forces spéciales en quête de pouvoir d’influence au niveau
local, pour anticiper les développements à venir, ou un éventuel
arrêt des opérations… Le programme de l’OTAN de Partenariat pour
la Paix a permis l’arrivée de milliers de formateurs
états-uniens et de l’OTAN ; ils ont été affectés dans des bases
qui leur permettront de lancer des opérations d’action directe.
Le Partenariat pour la Paix permet également le transfert d’un
énorme surplus d’équipements militaires vers des populations de
consommateurs potentiels habitant des zones pétrolifères ; ainsi
plante-t-on le décor pour de futurs jeux de guerre de coalition. » [49].
En juin 2009, Richard Holbrooke annonçait que la campagne
états-unienne d’éradication du trafic d’opium en Afghanistan
serait abandonnée au profit de ce que le Pentagone appelle une
campagne d’interdiction. Dans un commentaire recueilli
par Associated Press, Holbrooke affirmait que Washington
délaisserait progressivement les opérations d’éradication de
l’opium en Afghanistan [50].
Selon un article du New York Times, Ahmed Wali Karzaï,
le frère de Hamid Karzaï, le président afghan soutenu par les
États-Unis, travaillerait pour la CIA depuis huit ans ; Wali
serait également le baron de la drogue de la province de
Helmand. Entre autres choses, la CIA rémunérerait Ahmed Wali
Karzai pour qu’il recrute « une force paramilitaire afghane
qui puisse opérer sous commandement de la CIA dans la ville de
Kandahar et aux alentours, la région natale des Karzaï. » [51]
L’influence de la CIA sur le trafic de drogue en Afghanistan
est tout à fait similaire à celle que l’agence a exercé sur le
trafic d’opium en Asie du Sud-est pendant la guerre du Viêt-Nam,
ce qui est très alarmant. La conclusion à en tirer est
évidente : dans ces deux conflits, les trafics ne servaient pas
à parachever des objectifs d’ordre militaire, mais se trouvaient
plutôt au cœur de la stratégie globale de Washington.
Ahmed Wali aurait utilisé l’argent de la drogue pour financer
des actes de répression gouvernementale violente, comme
l’intimidation des opposants lors des élections frauduleuses de
2009. En 2007, Hamid Karzaï nommait au poste de chef des
services anticorruption Izzatullah Wasifi, alors que celui-ci
avait passé quatre ans dans les prisons du Nevada pour avoir
tenté de vendre de la drogue à un officier de police en civil [52].
Il semble que la philosophie de cette méthode s’énonce ainsi :
« Rien ne vaut un trafiquant de drogue pour attraper un autre
trafiquant de drogue. »
La région de Karzaï, le Helmand, regroupe une grande partie
des zones de culture d’opium en Afghanistan. C’est la zone du
monde où se concentre la plus forte production de pavot, à
hauteur de 40 % du volume total présent sur le marché illégal
mondial ; ces chiffres sont ceux de John W. McCoy, un chercheur
états-unien qui a décrit le rôle des services secrets
états-uniens dans les trafics de drogue en Asie depuis la guerre
du Viêt-Nam à partir de la fin des années 1960. Dans la province
de Helmand, quelques 103 000 hectares d’opium étaient cultivés
en 2008, ce qui représente les deux-tiers de toute la production
afghane.
McCoy remarque que, alors que la CIA soutenait les guérillas
afghanes menées par les Moudjahidin contre l’Union soviétique
dans les années 1980, elle utilisait l’argent de la drogue —
engrangé grâce à l’opium produit par les Moudjahidin — pour
financer une guerre secrète, une guerre rendue populaire par le
film hollywoodien La Guerre selon Charlie Wilson (Charlie
Wilson’s War). McCoy souligne qu’au cours des années 1980 «
la guerre secrète de la CIA a servi de catalyseur à la
transformation des régions frontalières entre l’Afghanistan et
le Pakistan en une gigantesque zone de production d’héroïne, la
plus importante au monde. »
Sur le thème de la défaite des Talibans après les
représailles du 11-Septembre, McCoy poursuit l’état des lieux du
trafic de drogue en Afghanistan :
« La CIA est parvenue à mobiliser les anciens chefs de
guerre activement impliqués dans le trafic d’héroïne et à se
saisir des villes de tout l’est de l’Afghanistan. En d’autres
termes, l’agence et ses alliés locaux ont créé les conditions
idéales pour renverser l’interdiction faite par les Talibans de
cultiver le pavot et ainsi faire renaître le trafic. Quelques
semaines seulement après la chute des Talibans, les autorités
faisaient état de l’augmentation spectaculaire de la culture de
l’opium dans les terres intérieures des provinces de Helmand et
de Nangarhar. » [53].
Il est établi qu’avant que les militaires états-uniens ne
poussent les Talibans à l’exil à la fin de l’année 2001, la
production d’opium avait été considérablement réduite sous
l’administration talibane. Il est également établi —l’Office des
Nations unies contre la drogue et le crime l’a lui-même signalé
— que, depuis que les forces de l’OTAN dirigées par les
États-Unis occupent l’Afghanistan, les récoltes de pavot ont non
seulement retrouvé leur ancien niveau de production, mais ont
dépassé les plus forts niveaux de rendement atteints dans
l’histoire du pays [54] ;
s’ajoute à cette augmentation celle tout aussi spectaculaire des
volumes de production d’opium.
En 2000, les Talibans avaient mis un point d’arrêt à la
culture du pavot. Selon l’Office des Nations unies contre la
drogue et le crime, depuis que les États-Unis ont pris le
contrôle militaire du pays, les récoltes d’opium en Afghanistan
sont passées de 185 tonnes pour une surface inférieure à 8 000
hectares en 2001 à 8 200 tonnes sur plus de 193 000 hectares en
2007. Cela représente une multiplication par quarante-quatre des
récoltes totales pendant huit années d’occupation états-unienne
en Afghanistan [55].
En 2008, les États-Unis et l’OTAN noyaient la presse de
commentaires à propos de la baisse de la surface totale des
champs de pavot de 19 % par rapport à l’année précédente,
passant sous silence l’augmentation de 15 % du rendement ; des
données qui maintenaient l’Afghanistan à la place de premier
producteur, loin devant les autres, de l‘opium destiné au trafic
d’héroïne [56].
Au cours des cinq dernières années, la production d’opium en
Afghanistan a fourni 50 % de son PIB au pays et plus de 93 % des
substances nécessaires à l’ensemble de la production mondiale
d’héroïne [57].
Il serait pourtant faux de croire que, depuis l’occupation
militaire états-unienne en 2001, la croissance de l’économie
afghane ait été freinée. Le PIB a prodigieusement augmenté de
66 %, grâce au florissant système de production, quasi
industriel, d’opium tenu par les États-Unis et protégé par le
régime de Karzaï, protégé de Washington [58].
Le chef des services fédéraux de lutte contre la drogue russe
a estimé la valeur de l’opium actuellement cultivé en
Afghanistan à 65 milliards de dollars. Seulement 500 millions de
dollars de cette somme considérable reviennent aux cultivateurs
afghans et 300 millions sont versés aux guérillas talibanes ;
« la mafia de la drogue » reçoit le reste, soit environ 64
milliards de dollars [59].
En mars 2010, lors d’une réunion du Conseil OTAN-Russie, le
chef du FSKN (le Service fédéral russe de lutte antidrogue),
Victor Ivanov, a déclaré que : « le pavot afghan a été la
cause de la mort par overdose d’un million de personnes au cours
de la dernière décennie, ce sont les chiffres des Nations-Unies.
N’y a-t-il pas ici une menace sur la paix et la sécurité
mondiales ? » [60]
L’OTAN a catégoriquement refusé de répondre à la demande
russe de détruire toutes les plantations d’opium en Afghanistan.
Pour quelle raison ? L’OTAN (entendez l’US Central Command)
affirme que leur destruction priverait le pays de « son
unique source de richesse », une formule qui résume à elle
seule l’absurdité criminelle de la mission de l’OTAN en
Afghanistan.
Lors d’une réunion plus récente du Conseil OTAN-Russie,
Ivanov a demandé à l’OTAN que leur soi-disant mission de «
normalisation de la situation en Afghanistan » intègre un
plan « d’éradication de la production de stupéfiants » [61].
James Appathurai, le porte-parole de l’OTAN, a confié sa « compréhension
» des préoccupations russes [62] ;
les estimations de la consommation de drogues en Russie sont
alarmantes : 200 000 personnes seraient dépendantes à l’héroïne
ou à la morphine et des dizaines de milliers d’entre elles
décéderaient chaque année des suites de leur addiction. En
effet, depuis l’occupation états-unienne en Afghanistan et le
regain du trafic, la Russie est devenue la principale
destination de la drogue afghane, et le pays en subit de graves
conséquences sociales et économiques.
Appathurai a également déclaré que le problème de la drogue
en Afghanistan devait être traité avec précaution afin d’éviter
que la population locale ne « se hérisse ». Appathurai
poursuivait ainsi ses propos, une perle rare du double langage
de l’OTAN : « Nous partageons l’avis qu’il faut nous occuper
de ce problème. Mais nos points de vue divergent légèrement.
Nous ne pouvons prendre la responsabilité de couper sa seule
source de revenus à la population de l’un des pays les plus
pauvres du monde, sans être capables de proposer une solution de
remplacement. C’est tout simplement impossible. » [63].
L’armée états-unienne exporte-t-elle de l’opium ?
Le pavot pourrait devenir le liant idéal des guerres
états-uniennes en Asie centrale. Il peut financer les groupes
insurrectionnels, comme le Mouvement islamique d’Ouzbékistan.
Jusqu’à 10 % de la population afghane vit de l’argent de la
drogue — parmi lesquels le frère du président, voire peut-être
le président lui-même.
Comme l’ont découvert les Britanniques pendant les guerres de
l’opium en Chine, le pavot génère également l’addiction des
populations eurasiatiques issues des tribus et des groupes
ethniques minoritaires ; la passivité, la criminalité et le
chaos que la drogue engendre sont d’excellents moyens de
corrompre un pays de l’intérieur, et justifient par la suite
l’intensification de la présence des forces de « maintien de la
paix ».
Profiter des flux migratoires du Kirghizistan vers le
Xinjiang et les autres provinces chinoises pour inonder la Chine
d’opium serait une stratégie incontournable que le Pentagone
aurait tout intérêt à « encourager » patiemment. À l’heure
actuelle, la Russie est déjà dévastée par le fléau de l’héroïne
afghane à bas prix, qui crée de très nombreuses addictions, une
augmentation de la criminalité et un esprit d’insubordination.
Pourtant, ce que nous disent Richard Holbrooke et divers
stratèges de l’US Central Command, c’est que les tribus
afghanes, ouzbeks ou tadjiks font transiter la drogue à dos de
mulet, par les dangereux cols qui mènent en Russie ou ailleurs.
La vérité semble bien différente. En réalité, l’opium serait
transporté par ce qu’il y a de plus moderne en matière de
transport militaire.
C’est l’aspect le plus explosif de cette douce insouciance
des États-Unis vis-à-vis des champs de pavot en Afghanistan.
L’opium et l’héroïne conditionnée seraient transportés par
convois militaires états-uniens, depuis des sites tels que celui
de Manas au Kirghizistan. Les chargements seraient dissimulés et
soumis au secret-défense.
Richard Holbrooke s’est récemment rendu au centre de
transit de Manas,
vraisemblablement pour organiser le sabotage des gazoducs du
réseau TUKC
(Turkménistan – Ouzbékistan - Kirghizistan – Chine) en service
depuis peu.
Une telle utilisation des équipements militaires, si elle est
prouvée, démontrerait que les États-Unis peuvent agir « sans
limites » et que personne ne peut s’approcher de leurs
chargements ni en vérifier le contenu. C’est la répétition à
grande échelle de l’acheminement d’héroïne par avion qu’avait
organisé la CIA au Viêt-Nam dans les années 1960 [64].
Cette accusation est lancée par un agent efficace des
services secrets de la région, le général Hamid Gul, l’ancien
chef des services secrets pakistanais (l’ISI) ; il était le chef
du renseignement militaire pendant la guerre d’Afghanistan dans
les années 1980.
En août 2009, Hamid Gul déclarait sans ménagement : «
Ahmed Wali Karzaï est le plus gros baron de la drogue en
Afghanistan. » Il a affirmé que les barons de la drogue
faisaient également du trafic d’armes, un « marché florissant »
en Afghanistan. « Mais ce qu’il y a de plus dérangeant à mes
yeux, c’est que l’aviation - l’aviation états-unienne - est
aussi impliquée. Vous l’avez dit très justement : la drogue est
acheminée vers le nord par les Républiques d’Asie centrale et
par la Russie ; elle rejoint ensuite l’Europe et le reste du
monde. Mais un certain volume de drogue suit un chemin direct.
Il est acheminé par avion militaire. » [65].
Gul était à la tête de l’ISI de 1987 à 1989, au cours de la
phase la plus intense de l’insurrection des Moudjahidin ;
pendant cette période, il travailla étroitement avec la CIA.
Depuis, il est interdit de séjour aux États-Unis et au
Royaume-Uni, parce que, selon lui, il est trop prolixe au sujet
des plans réels que conçoivent ces deux pays pour l’Asie
centrale. Pour lui, ces plans prévoient la destruction
systématique du Pakistan en tant que Nation. [66].
Selon le discours à charge de Gul, l’opium et l’héroïne en
provenance d’Afghanistan seraient transportés secrètement dans
des avions militaires états-uniens, à partir de la base
militaire de Manas, et passeraient par les différentes voies du
Réseau de distribution du Nord. Cette analyse a été confirmée
par des sources afghanes et tadjiks, par des membres de l’armée
états-unienne s’exprimant en off, et par des rapports russes [67].
La base de Manas joue un rôle déterminant, auquel s’adjoint
la base d’entraînement « antidrogue et antiterroriste » de
Batken dans le sud-ouest du Kirghizistan, tout près de la vallée
de Ferghana. Cette combinaison s’ajuste parfaitement avec la
nouvelle politique états-unienne d’interdiction sélective du
pavot afghan que Holbrooke a déclaré privilégier à une
éradication totale. Cette nouvelle politique du Pentagone permet
à 93 % de l’opium mondial de circuler en évitant tout
« éradicateur » états-unien, d’être transformé en héroïne et
revendu en Chine, en Ouzbékistan, en Russie et ailleurs encore,
comme dans une nouvelle guerre de l’opium.
Les grands médias d’information aux États-Unis accusent les
Talibans d’être à la tête du trafic d’opium. Pourtant, d’après
l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, les
Éléments anti-gouvernementaux (AGE), qui comprennent des
Talibans mais aussi des militants issus d’autres mouvances, ne
profitent que de 2 % du montant total de l’argent de la drogue,
un montant évalué à 3,4 milliards de dollars. Ce chiffre est
même confirmé aux États-Unis par la CIA et par la DIA (Agence du
renseignement pour la défense), qui estiment que les Talibans
gagnent « seulement » 70 millions de dollars par an dans le
trafic de drogue. Le plus gros de la production d’héroïne et
d’opium non-transformé est aux mains des chefs de guerre liés au
système Karzaï.
La stratégie à venir des États-Unis pour gérer le
« problème » de la drogue en Afghanistan est soigneusement
étudiée. Des trafiquants de drogue, dont les liens avec les
« insurgés » sont connus, sont répertoriés dans des listes de
personnes à éliminer (à abattre). Ces listes sont exemptes des
noms de la plupart des barons de la drogue qui engendrent
pourtant près de 98 % des revenus issus du pavot et qui
travaillent avec la famille et le régime Karzaï, un cercle de
toxicomanes corrompus notoires.
En effet, comme un analyste l’a relevé, l’armée des
États-Unis « offrira son aide aux barons de la drogue alliés
aux forces d’occupation ou au gouvernement afghan pour accaparer
davantage le marché et le trafic de drogue. » [68].
Craig Murray, ambassadeur du Royaume-Uni en Ouzbékistan en
poste jusqu’en 2004, affirme que, sous l’autorité du Général
Rashid Dostum — qui a été nommé en 2009 une nouvelle fois
ministre de la Défense afghan par Karzaï — des convois
militaires acheminaient de la drogue au-delà de la frontière
afghane [69].
Selon Craig Murray, Dostum est un personnage-clef dans le
trafic d’opium en Afghanistan, qu’il dirige depuis sa terre
natale, près de Mazâr-e Charîf. Il a été rappelé d’exil par
Karzaï, avec l’approbation des États-Unis, pour l’organisation
des élections présidentielles, lors desquelles il a pu attribuer
100 % des votes des plus importants districts à Karzaï. Pour
« lutter » de manière ostensible contre les Talibans, le
Pentagone propose à présent de fournir de grandes quantités
d’armes à la milice privée (antidrogue) que commande Dostum,
malgré son poste officiel de chef de l’armée et en dépit du fait
que Washington connaisse tout de ses activités de trafic
d’héroïne [70].
Le propre frère du Président Karzaï, Ahmed Wali Karzaï, qui,
selon le New York Times [71],
figure dans la liste des collaborateurs de la CIA, a été accusé
d’être lui-même un puissant baron de la drogue, ce qui dresse un
cadre peu reluisant autour du gouvernement atlantiste de Karzaï [72].
Murray poursuit et affirme que l’Afghanistan « n’exporte
plus d’opium mais de l’héroïne. L’opium est transformé en
héroïne à l’échelle industrielle, pas dans des arrière-cuisines
mais dans des usines. Des millions de litres de produits
chimiques nécessaires aux opérations de transformation sont
importés par camion-citerne. Ces camions et les super
poids-lourds chargés d’opium rejoignent les usines en empruntant
les routes rénovées par les États-Unis, celles qu’utilisent les
troupes de l’OTAN… La quatrième partie dans le business de
l’héroïne regroupe les dignitaires du gouvernement afghan. Quand
les États-Unis ont attaqué l’Afghanistan, l’armée bombardait le
territoire alors même que la CIA payait, armait et équipait les
seigneurs de guerres et les barons de la drogue, alors en perte
de pouvoir. » [73].
Conclusion
Lorsque l’on regarde avec attention une carte de l’Asie
centrale, il est clair que l’Afghanistan occupe une place
centrale dans la stratégie états-unienne pour déstabiliser et
militariser la région. C’est une position idéale pour menacer
simultanément la Chine, la Russie, l’Iran et les pays voisins,
en particulier les membres de l’Organisation du traité de
coopération de Shanghai.
La prolifération de la drogue et la lutte antidrogue, les
actes de terrorisme et les opérations antiterroristes, la
brutalité délibérée de la police locale et la main mise sur les
pipelines eurasiatiques existants ou à venir sont autant
d’ingrédients composant la recette explosive des missions de
l’OTAN sous tutelle états-unienne projetées hors d’Afghanistan.
Le Kirghizistan joue désormais un rôle de pivot stratégique
dans l’extension de la guerre dans toute l’Asie centrale. Moscou
le sait. Pékin le sait. Ce qui se décide, dans le Grand Jeu
au Kirghizistan et en Asie centrale, n’est rien moins que la
dernière chance de survie de la stratégie de Full Spectrum
Dominance pour l’hégémonie militaire globale des États-Unis.
Comme dans les années 1960 et 1970 au Viêt-Nam, il est de
plus en plus évident que la « guerre contre le terrorisme » en
Afghanistan a été délibérément conçue par Washington pour être
une autre « guerre sans vainqueur ».
L’échec de la guerre en Afghanistan est programmé pour
justifier une recrudescence de la présence militaire au
Kirghizistan, en Ouzbékistan, au Tadjikistan, dans la vallée de
Ferghana et de là, dans toute l’Asie centrale. Avant que la
révolte populaire kirghize ne pousse le gang de Bakiev à l’exil
en mars dernier, Washington était en bonne voie d’étendre la
guerre grâce à des accords passés avec Bakiev pour construire
plusieurs camps d’entraînement antiterroriste dans le pays. Avec
de telles bases à disposition, le contrôle du continent
eurasien, depuis le Xinjiang jusqu’au Kazakhstan et à la Russie,
ne serait plus qu’une question de temps, car, déjà à l’heure
actuelle, l’essor des routes empruntées par le trafic de drogue
prépare le terrain.
Cette fois, à la différence de ce qu’il s’est passé au début
des années 1970, l’enjeu est majeur pour l’hégémonie
états-unienne. Le rôle que joueront le gouvernement provisoire
du Kirghizistan, Moscou, Pékin ainsi que l’Iran et l’Ouzbékistan
sera décisif dans cette région, où se concentrent les conflits
les plus intenses du globe.
[1]
Edouardo Real,
Zbigniew Brzezinski : Defeated by his Success, 30
janvier 2008.
[2]
Rashid,
The Taliban : Exporting Extremism, Foreign Affairs,
New York Council on Foreign Relations, novembre-décembre 1999,
p.31.
[3]
Ibid.
[4]
Lorenzo Vidino,
How Chechnya Became a Breeding Ground for Terror,
Middle East Quarterly, été 2005, Philadelphie
[5]
Le rapport 2006 de la Fondation Heritage, Washington D.C.,
inclut les géants de l’armement McDonnell Douglas et Boeing
ainsi que les pétroliers Chevron et ExxonMobil parmi les sources
de financement. Voir
Source Watch : Heritage Foundation
[6]
Ariel Cohen,
Radical Islam and US Interests in Central Asia,
Audition par la sous-commission sur le Moyen-Orient et l’Asie
centrale, commission des relations internationales, Chambre des
représentants, 29 octobre 2003.
[7]
Ibid.
[8]
Ibid.
[9]
General David H. Petraeus, US Army, Commandant de l’US Central
Command,
Statement to Senate Armed Services Committee on the
Afghanistan-Pakistan Strategic Posture Review and the Posture of
US Central Command, 1er avril 2009.
[10]
Ibid.
[11]
Halford J. Mackinder,
The Geographical Pivot of History, Londres, Royal
Geographic Society, 1904. La région pivot de Mackinder fut
ensuite plus ou moins englobée par l’Union Soviétique, ce qui
comprenait l’Asie centrale, plus l’Afghanistan.
[12]
« Pakistan :
Asif Ali Zardari est toujours inculpé en Suisse », Réseau
Voltaire, 22 août 2008.
[13]
Sous-commission permanente du Sénat états-unien pour les
enquêtes,
Minority Staff Report for Permanent Subcommittee on
Investigations Hearing on Private Banking and Money Laundering :
A Case Study of Opportunities and Vulnerabilities ; (2) Asif Ali
Zardari Case History, Washington D.C., 9 november 1999.
[14]
« Khalilzad
revient en Irak », Réseau Voltaire, 21 juin 2010.
[15]
Helene Cooper, Mark Mazzetti, « U.N. Envoy’s Ties to Pakistani
Are Questioned », The New York Times, 25 août 2008.
[16]
Syed Ifran Raza,
Minister criticized over anti-terror authority,
Dawn, Karachi, 12 décembre 2009.
[17]
Zardari calls for counter-terror strategy, Dawn,
Karachi, 16 mars 2010.
[18]
Thomas M. Sanderson et Andrew C. Kutchins,
The Northern Distribution Network and Afghanistan : Geopolitical
Challenges and Opportunities, Washington, CSIS, A Report
of the CSIS Transnational Threats Project and the Russia and
Eurasia Program, janvier 2010.
[19]
US not to use Uzbek base, says Holbrooke, Dawn,
Astana, 21 février 2010.
[20]
Richard Boucher, Re-designation of the Islamic Movement of
Uzbekistan as a Foreign Terrorist Organization, Washington
D.C., 25 septembre 2002, Département d’État des États-Unis.
[21]
Wayne Madsen, cité par Peter Chamberlain,
America’s ‘Islamists’ Go Where Oilmen Fear to Tread,
News Central Asia, 24 mars 2010.
[22]
Ibid.
[23]
Mark Thompson,
Moving Troops to Afghanistan Harder Than Getting Them,
Time, New York, 14 octobre 2009.
[24]
Frank E. Kitson,
Low Intensity Operations : Subversion, Insurgency and
Peacekeeping, Londres, 1971, Faber and Faber.
[25]
C.M. Olsson et E.P. Guittet,
Counter Insurgency, Low Intensity Conflict and Peace
Operations : A Genealogy of the Transformations of Warfare,
5 mars 2005, article présenté lors de la réunion annuelle de
l‘Association d’études internationales.
[26]
Grant T. Hammond,
Low-intensity Conflict : War by another name, Londres,
Small Wars and Insurgencies, Vol.1, N°3, décembre 1990, pp.
226-238.
[27]
Jon Boone,
US pours millions into anti-Taliban militias in Afghanistan,
22 novembre 2009, The Guardian, Londres.
[28]
Jeremy Kuzmarov,
American Police Training and Political Violence : From the
Philippines Conquest to the Killing Fields of Afghanistan and
Iraq, The Asia-Pacific Journal, 11-1-10, 15 mars
2010.
[29]
Ibid.
[30]
Ibid.
[31]
Ibid.
[32]
Ibid.
[33]
Rahim Faiez,
US : Insurgents attack Bagram Air Field, Associated
Press, 19 mai 2010.
[34]
Mark Mazzetti,
US Is Still Using Private Spy Ring, Despite Doubts,
The New York Times, 15 mai 2010.
[35]
Ibid.
[36]
Ibid.
[37]
Central Asia News,
Kyrgyz Defense Ministry : The training center in Batken is not
oriented against third countries, Ferghana.ru, 18 mars
2010
[38]
Ibid.
[39]
Zbigniew Brzezinski,
Le grand échiquier : l’Amérique et le reste du monde,
New York, Basic Books, 1998, pp. 194-198.
[40]
Ibid.
[41]
Cornelius Graubner,
Implications of the Northern Distribution Network in Central
Asia, Central Asia-Caucasus Institute, Johns Hopkins
University, 1er septembre 2009.
[42]
Bill Marmon,
New Supply ‘Front’ for Afghan War Runs Across Russia, Georgia
and the ‘Stans, 21 mars 2010.
[43]
Ibid.
[44]
Ibid.
[45]
Peter Chamberlain,
America’s ‘Islamists’ Go Where Oilmen Fear to Tread,
News Central Asia, 24 mars 2010.
[46]
Wayne Madsen,
CIA Involvement With Drug Trade Resulted In Death Threats
Against US Senator.
[47]
Ralf Mutschke, Threat Posed by the Convergence of Organized
Crime, Drug Trafficking, and Terrorism, audition devant la
sous-commission sur le crime de la commission judiciaire,
Chambre des représentants des État-Unis, 106è congrès, 2è
session, US Government Printing Office, Washington D.C.,
13 décembre 2000.
[48]
Peter Chamberlain, op. cit.
[49]
Ibid.
[50]
Richard Holbrooke, cité dans
US to shift approach to Afghanistan drug trade The focus will
move from opium eradication to fighting trafficking and
promoting alternate crops, citation de l’envoyé spécial US
Richard Holbrooke, Associated Press, 28 juin 2009
[51]
Dexter Filkins, Mark Mazetti et James Risen,
Brother of Afghan Leader Said to be Paid by CIA, The
New York Times, 27 octobre 2009. « Hamed
Wali Karzai chargé de négocier avec les Talibans »,
Réseau Voltaire, 14 mai 2010.
[52]
Jeremy Kuzmarov, op. cit.
[53]
Ibid.
[54]
United Nations office on Drugs and Crime,
World Drug Report : 2009
[55]
Ibid.
[56]
Ibid.
[57]
Alfred W. McCoy, op. cit.
[58]
Craig Murray,
Britain is protecting the biggest heroin crop of all time,
Londres, Daily Mail, 21 juillet 2007.
[59]
Ibid.
[60]
Andrei Fedyashin,
Russia and NATO divided over Afghan opium, 25 mars 2010,
RIA Novosti. « Pavot :
la Russie met en cause la responsabilité de l’OTAN »,
Réseau Voltaire, 3 mars 2010.
[61]
RIA Novosti,
Russian official mocks NATO concern for Afghan poppy growers,
Moscou, 25 mars 2010.
[62]
Ibid.
[63]
Ibid.
[64]
Jeremy R. Hammond,
Ex-ISI Chief Says Purpose of New Afghan Intelligence Agency RAMA
Is ‘to destabilize Pakistan’, Foreign Policy Journal,
12 août 2009.
[65]
Ibid
[66]
Ibid.
[67]
Diverses conversations privées avec l’auteur au cours des mois
d’avril et mai 2010.
[68]
Ibid.
[69]
Voir également sur ce sujet
« Craig Murray : « Les États-Unis contrôlent le trafic de
l’héroïne afghane », Voltairenet, 17 Novembre 2005
[70]
Craig Murray,
On Missiles and Missile Defense, 23 septembre 2009.
[71]
Dexter Filkins, Mark Mazzetti, James Risen,
Brother of Afghan Leader Said to Be Paid by CIA, The
New York Times, 27 octobre 2009.
[72]
Craig Murray,
US Supported Afghan Government Warlords Control World Heroin
Trade, 13 août 2009.
[73]
Craig Murray,
Britain is protecting the biggest heroin crop of all time,
Londres, Daily Mail, 21 juillet 2007.
1ère
partie :
Le Kirghizistan, un pivot géopolitique
2nde
partie :
La Chine et l’avenir géopolitique du Kirghizistan
3è partie :
La Russie et l’avenir du Kirghizistan
Traduction
Nathalie Krieg
Sommaire du
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