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The Electronic Intifada
Les bantoustans et la déclaration unilatérale de fondation d'un
Etat palestinien
Virginia Tilley
Par sa proposition de proclamation unilatérale
d’un ‘Etat palestinien’, la direction palestinienne installée à
Ramallah mène le mouvement palestinien d’indépendance
dans une impasse
(photo de Thaer Ganaim/MaanImages).
Jeudi 19 novembre 2009
http://electronicintifada.net/v2/article10901.shtml
Passée d’une
simple rumeur à un murmure croissant, la proposition brandie par
la direction de l’Autorité palestinienne (PA) de Ramallah
consistant à déclarer unilatéralement un Etat palestinien a pris
soudain une place centrale dans le tableau général. L’Union
européenne, les Etats-Unis et d’autres pays l’ont rejetée, la
jugeant « prématurée ». Mais les adhésions ne manquent pas qui
proviennent de tous les azimuts : des journalistes, des
universitaires, des militants d’organisations non
gouvernementales, ainsi que certains dirigeants de la droite
israélienne (j’y reviendrai plus en détail). Le catalyseur
semble avoir été une expression ultime de dégoût et d’épuisement
pur et simple devant un « processus de paix » fallacieux et
l’argumentation (de l'Autorité palestinienne) consiste à dire,
en gros : puisque nous ne parvenons pas à obtenir un Etat au
moyen de négociations, alors nous allons tout simplement
déclarer (notre) Etat unilatéralement… après quoi, nous
laisserons Israël se débrouiller avec les conséquences que cela
aura.
Mais il n’est
pas exagéré d’avancer que cette idée (même si elle est sans
doute bien intentionnée, de la part de certains) soulève le
danger le plus manifeste auquel le mouvement national
palestinien ait jamais été confronté depuis sa création, car
elle risque d’enfermer les aspirations palestiniennes dans un
cul-de-sac politique duquel elles ne ressortiraient sans doute
jamais. L’ironie, c’est bien le fait qu’à travers cette
gesticulation, l’AP est en train de se saisir – même si elle
déclare qu’il s’agit de son droit – précisément de la même
formule sans issue que l’African National Congress (sud-africain) (ANC) a combattue avec
tellement d’acharnement durant des décennies, parce que sa
direction la considérait, à juste titre, désastreuse. On peut la
résumer d’un seul mot – un seul :
bantoustan.
Le fait que les
bantoustans sud-africains restent aussi profondément de l’hébreu
pour le mouvement national palestinien est en train de s’avérer
de plus en plus néfaste. La plupart des (rares) Palestiniens à
avoir entendu parler des bantoustans imaginent ceux-ci comme des
enclaves territoriales dans lesquelles les Noirs sud-africains
auraient été contraints à résider, mais où ils auraient été
privés de droits politiques et où ils auraient vécu
misérablement. Cette vision partiale a été reflétée par les
commentaires récents de Mustafa Barghouthi au Watan Media Center
de Ramallah, lorsqu’il a mis en garde contre le fait qu’Israël
avait l’intention de confiner les Palestiniens dans des
« bantoustans », après quoi il avait argué en faveur d’une
déclaration unilatérale d’un Etat palestinien à l’intérieur des
frontières de 1967 – alors même que des « Etats » purement
nominaux dépourvu d’authentique souveraineté, c’était
précisément ce pour quoi les bantoustans avaient été inventés !
Les bantoustans
de l’Afrique du Sud de l’apartheid n’étaient pas simplement des
enclaves territoriales scellées destinées à recevoir les Noirs.
Non : c’était le summum de la formule « géniale » grâce à
laquelle le régime d’apartheid escomptait survivre : à savoir
des Etats indépendants pour les Sud-Africains noirs, qui – comme
les stratèges blancs de l’apartheid l’avaient bien compris et
s'étaient empressés de le faire remarquer – ne cesseraient
jamais de s’opposer au déni permanent de leurs droits égaux et
de leur expression politique en Afrique du Sud, déni et
suppression de leur expression que la pérennisation de la
suprématie blanche requérait. Comme prévu par les architectes de
l’apartheid, les bantoustans étaient faits pour correspondre, en
gros, à certains territoires historiquement associés à tel ou
tel « peuple » noir, afin qu’ils pussent plus facilement être
qualifiés de « foyers nationaux ». Cette expression officielle
trahissait leur finalité idéologique : servir de territoires
nationaux et, en bout de course, d’Etats indépendants aux
divers « peuples » noirs africains (c’était le régime
sud-africain qui avait la maîtrise de leur définition,
of course) et assurer
un avenir heureux à
la suprématie blanche à l’intérieur du foyer national « blanc »
(comprendre : tout le reste de l’Afrique du Sud). Ainsi,
l’objectif de transférer de force des millions de Noirs dans ces
Homelands fut commenté
comme si cela avait été une mesure progressiste : l’on était
censé s’acheminer vers onze Etats vivant pacifiquement
côte-à-côte (cela ne vous rappelle rien ?) L’idée, c’était avant
tout de garantir une « autonomie » aux Homelands, le temps
nécessaire qu’ils acquissent une compétence institutionnelle,
puis de récompenser ce processus en déclarant/garantissant leur
souveraineté autonome…
Pour le régime
d’apartheid, le défi consistait dès lors à persuader les élites
« autonomes » noires d’accepter des Etats indépendants dans ces
fictions territoriales et d’absoudre, ce faisant, à jamais le
gouvernement blanc de toute responsabilité en matière de droits
politiques des Noirs. A cette fin, le régime d’apartheid
sélectionna et sema des « dirigeants » sélectionnés selon son
goût dans les Homelands où ils germèrent immédiatement,
produisant une magnifique récolte d’élites d’opérette
(constituées des habituels carriéristes et seconds couteaux),
qui s’installa solidement, fournissant de lucratives niches de
privilèges financiers et des réseaux de contrôle, que le
gouvernement sud-africain blanc cultiva d’une manière fort
avisée (cela devrait vous rappeler quelque chose aussi, non ?).
Peu importait
que les territoires réels de ces Homelands fussent fragmentés en
une myriade de morceaux et qu’ils manquassent des ressources
essentielles qui auraient pu leur éviter de devenir des viviers
de main-d’œuvre corvéable à merci. De fait, la fragmentation
territoriale des Homelands, bien que catastrophiquement
handicapante, ne préoccupait en rien le
« génial »
apartheid. Dès lors que toutes ces « nations » vivaient dans la
sécurité en tant qu’Etats indépendants, les idéologues de
l’apartheid assuraient au monde entier que les tensions allaient
s’apaiser, que le commerce et le développement allaient s’avérer
florissants, que les Noirs seraient libérés et heureux et que la
suprématie blanche, par conséquent, deviendrait pérenne et
garantie.
Le hic, dans ce
plan, c’était la difficulté d’obtenir des élites noires des
Homelands, bien que totalement cooptées, qu’elles déclarassent
leur Etat indépendant à l’intérieur de territoires soi-disant
« nationaux » qui étaient manifestement dépourvus de toute
souveraineté réelle sur leurs frontières, leurs ressources
naturelles, leur commerce, leur sécurité, leur politique
étrangère et leur eau – tiens, ça m’rappelle un truc, mais quoi,
déjà ? Seules, quatre élites de Homelands le firent, au moyen de
combinaisons de pots-de-vin, de menaces et autres
« incitations ». Cela mis à part, les Noirs sud-africains n’ont
pas marché dans la combine et l’ANC et le monde entier ont
rejeté cette mascarade catégoriquement (le seul Etat à avoir
reconnu les Homelands fut un pays compagnon de route de
l’apartheid, un certain Israël…) Mais les Homelands étaient bien
au service d’un objectif : ils visaient à déformer et à diviser
la politique noire, ils créaient des divisions internes
redoutables et la lutte décisive que menèrent contre eux l’ANC
et d’autres formations causa des milliers de victimes. Les
dernières batailles, féroces, du combat contre l’apartheid se
déroulèrent dans les Homelands, laissant derrière elles un legs
d’amertume jusqu’à aujourd’hui.
D’où il
s’ensuit que l’ironie suprême, pour les Palestiniens
d’aujourd’hui, c’est le fait que la mission la plus urgente de
l’apartheid sud-africain – faire en sorte que la population
indigène déclare sa souveraineté étatique dans des enclaves
dépourvues de souveraineté – ait fini par échouer, du fait d’une
révolte noire massive, qu’elle ait entraîné l’apartheid avec
elle dans sa chute, ce que nonobstant, la direction
palestinienne soit aujourd’hui non seulement en train d’aller
droit dans le même piège, mais de le revendiquer !
Les raisons de
la direction de l'AP à ramallah de la volonté de tomber dans ce
piège sont nébuleuses. Cela pourrait peut-être aider les «
négociations de paix », si elles étaient redéfinies comme des
négociations entre deux Etats, en cessant de porter sur les
pré-conditions de création d’un Etat ? Le fait de déclarer
l’Etat (palestinien) pourrait requalifier l’occupation
israélienne en invasion et légitimer la résistance, tout en
donnant lieu à une intervention différente, plus efficace, de
l’Onu ? Peut-être cela conférerait-il aux Palestiniens un levier
politique plus important sur la scène internationale – ou tout
au moins, peut-être cela prolongerait-il l’existence de
l’Autorité palestinienne pour une minable petite année
supplémentaire ?
Le fait que ces
visions oiseuses ne soient pas promptement dissipées par une
minute d’attention à l’expérience sud-africaine des bantoustans
peut résulter en partie de deux différences fondamentales qui
rendent la comparaison malaisée, car Israël a, de fait, réussi à
éviter deux erreurs funestes qui contribuèrent à couler la
stratégie des Homelands de l’Apartheid. Tout d’abord, Israël n’a
pas commis l’erreur initiale de l’Afrique du Sud consistant à
désigner des « leaders » pour gérer le Homeland palestinien
« autonome intérimaire »; en Afrique du Sud, ce péché originel
avait rendu bien trop évident le caractère de régimes de pantins
des Homelands et il avait révélé à tous l’illégitimité des
territoires noirs soi-disant « nationaux », en exposant leur
nature d’enclaves raciales totalement artificielles.
Ayant observé
les Sud-Africains
en train de se planter et ayant retiré les leçons de ses propres
échecs passés, avec les Ligues des Villages, notamment, Israël a
décidé de travailler, en lieu et place (avec les Etats-Unis) à
la mise en œuvre du processus d’Oslo, non seulement afin de
restaurer le leadership en exil de l’OLP et son dirigeant
d’alors, Yasser Arafat, dans les territoires, mais aussi
d’organiser des « élections » (sous occupation !…) afin de
garantir un vernis attrayant de légitimité à l’ « autorité
palestinienne intérimaire d’autonomie ». C’est une des pires
tragédies du scénario actuel qu’Israël ait réussi à retourner de
la sorte, si promptement, le noble engagement des Palestiniens
vis-à-vis de la démocratie contre ceux-ci – en leur persuadant
l’illusion d’un autogouvernement authentiquement démocratique,
dans ce que tout le monde sait désormais avoir été conçu de tout
temps dans le plus grand secret pour être un Homeland.
Ce n’est que
tout dernièrement qu’Israël a trouvé un moyen d’éviter la
deuxième erreur, fatale à l’Afrique du Sud, qui avait consisté à
déclarer que les Homelands noirs étaient des « Etats
indépendants » sur un territoire non-souverain. En Afrique du
Sud, cette initiative apparut aux yeux du monde clairement
raciste et elle fut universellement fustigée. Il doit être
évident pour tout le monde que si Israël était monté sur la
scène internationale et que s'il avait déclaré : « et
voilà, vous êtes aujourd’hui un Etat », les Palestiniens et tout
les autres auraient rejeté cette assertion d’un revers de manche
en la qualifiant de farce cruelle. Pourtant, le fait d’obtenir
des Palestiniens qu’ils proclamassent eux-mêmes leur
souveraineté étatique a permis à Israël d’obtenir
précisément le résultat qui fit défaut au régime d’apartheid
sud-africain : l’acceptation volontaire par les indigènes de
leur « indépendance » sur un territoire non-souverain, sans
aucune capacité politique d’en altérer les frontières
territoriales ou d’autres termes essentiels de son existence :
c’est là cette capsule empoisonnée politique que l’apartheid
sud-africain n’avait jamais réussi à faire croquer à l’ANC…
Les réactions
israéliennes ont été jusqu’ici mitigées. Le gouvernement ne
semble pas enthousiaste et il a fait part de sa
« préoccupation ». Le ministre des Affaires étrangères Avigdor
Lieberman a brandi des sanctions unilatérales (non spécifiées)
et certains représentants du gouvernement ont pris des vols à
destination de diverses capitales afin de s’assurer du rejet
international. Mais les protestations israéliennes peuvent aussi
être feintes. Une tactique pourrait consister à persuader les
patriotes palestiniens inquiets qu’une déclaration unilatérale
de l’Etat palestinien pourrait ne pas être dans l’intérêt
d’Israël, afin d’alléger ce soupçon même. Une autre consisterait
à apaiser les protestations de l’aile de droite, purement
aveugle, de l’électorat Likoud, pour laquelle l’expression
« Etat palestinien » est en elle-même idéologiquement anathème.
Une réaction, plus honnête, pourrait être l’adhésion du sage du
parti Kadima, Shaul Mofaz, un dur dont on ne saurait en rien
imaginer qu’il voit d'un bon oeil un quelconque avenir
palestinien stable et prospère. Les journalistes israéliens de
droite ajoutent eux aussi leur grain de sel, ils y vont de leurs
articles à la fois méprisants et rassurants, arguant du fait
qu’une déclaration unilatérale d’un Etat palestinien n’aura
guère d’importance, parce que cela ne changera strictement rien
(on n’est pas loin de la vérité). Ainsi, par exemple, le Premier
ministre Benjamin Netanyahu a menacé d’annexer unilatéralement
les blocs de colonies en Cisjordanie si l’Autorité palestinienne
proclame l’Etat palestinien, mais c’est précisément ce qu’Israël
s’apprêtait à faire, de toutes les manières…
Dans le camp
sioniste-progressiste, Yossi Sarid a chaudement fait sien ce
projet et Yossi Alpher l’a fait lui aussi, quoi qu’avec cautèle.
Leurs écrits suggèrent la même frustration ultime avec le
« processus de paix », mais aussi l’aveu que cela pourrait être
la seule manière de sauver le rêve, de plus en plus fragile,
selon lequel un gentil Etat juif démocratique progressiste
serait à-même de survivre en tant que tel. Cela semble aussi
quelque chose qui serait susceptible de faire plaisir aux
Palestiniens – assez, tout au moins pour qu’ils soulagent la
conscience sioniste de gauche du récit culpabilisant de leur
expulsion et de leur errance. Les progressistes blancs
bien-intentionnés de l’apartheid sud-africain – mais oui, il y
en avait, aussi… - faisaient brûler le même cierge ingénu à
l’intention du système des Homelands noirs.
D’autres
journalistes, autrement plus intelligents, y vont de leur plume
pour avaliser la proclamation unilatérale de l’Etat, en
soulevant des comparaisons étrangement mal à propos – la
Géorgie, le Kosovo, ou, du temps qu’ils y sont, Israël
itself -, y voyant autant de « preuves » que c’est là
« une idée qu’elle est bonne »…
Mais la Géorgie, le Kosovo et Israël avaient des profils
entièrement différents, dans la politique international ... des
histoires entièrement différentes de celle de la Palestine et
les tentatives tirées par les cheveux de faire ce genre de
comparaison est intellectuellement médiocre. La comparaison
évidente est ailleurs et toutes les leçons de l'Histoire
indiquent la direction opposée : pour un peuple politiquement
faible et isolé, qui n’a jamais eu d’Etat à lui et qui est
dépourvu de tout allié international, le fait de déclarer ou
d’accepter son « indépendance » sur des enclaves non-jointives
et non-souveraines, encerclées par une puissance nucléaire
hostile, ne peut que sceller son sort.
De fait,
l’examen même le plus rapide devrait instantanément révéler
qu’une déclaration unilatérale de souveraineté étatique
confirmera la situation impossible actuelle des Palestiniens, en
la rendant permanente. Comme l’a prédit Mofaz, une déclaration
unilatérale permettra la poursuite de négociations sur le
« statut définitif ». Ce qu’il s’est gardé de dire, c’est que
ces pourparlers perdront tout objet, parce que le levier
d’action des Palestiniens sera réduit à néant. Comme l’a fait
récemment observer l’historien du Moyen-Orient Juan Cole, la
dernière carte que peuvent jouer les Palestiniens – leur appel
réel à la conscience mondiale, la seule menace qu’ils puissent
opposer au statu quo israélien d’occupation et de colonisation
-, c’est le fait, précisément, qu’ils n’ont pas d’Etat. La
direction de l’AP, à Ramallah, a déjà abattu toutes ses autres
cartes. Elle a étouffé l’opposition populaire, elle a éliminé la
résistance armée, elle a remis son autorité sur des secteurs
aussi vitaux que l’eau à des « commissions mixtes » dans
lesquelles Israël dispose du droit de veto, elle a sauvagement
attaqué le Hamas, qui insistait pour que fussent menacées les
prérogatives israéliennes, et, de manière générale, elle a fait
tout ce qui était en son pouvoir pour adoucir l’humeur de
l’occupant, de préserver le patronage international dont elle
bénéficie (argent et protection) et elle a réclamé de manière
humiliante des avantages promis (encore et toujours des
pourparlers ?) qui ne sont jamais venus. Il est de plus en plus
évident pour quiconque observe ce scénario depuis l’extérieur –
et pour beaucoup de ceux qui l’observent de l’intérieur – que
cela n’a jamais cessé, depuis le début, d’être une farce. Ne
serait-ce que pour cette simple raison que les puissances
occidentales ne fonctionnent pas comme les régimes arabes :
quand
vous êtes un régime arabe et quand bien même vous faites
absolument tout ce que l'Occident requiert de vous, vous pourrez
toujours vous brosser pour obtenir ses faveurs, car toute
puissance occidentale perdrait quelque bénef à traiter davantage
avec vous, et c’est pourquoi elle se contentera de vous tourner
le dos.
Mais il y a
plus important : la comparaison sud-africaine contribue à
expliquer la raison pour laquelle les ambitieux projets de
pacification, de « meccano institutionnel » et de développement
économique, dans lesquels l’AP de Ramallah et son Premier
ministre Salam Fayyad se sont embarqués avec entrain, ne sont
pas, en réalité, des exercices de « meccano étatique ». En lieu
et place, ils singent avec une fidélité et une constance
effrayantes la politique
et les mises en scènes sud-africaines en matière de
bantoustans/Homelands. De fait, le projet de Fayyad consistant à
obtenir la stabilité politique au travers du développement
économique est le même que celui qui avait été ouvertement
formalisé dans la politique sud-africaine des Homelands sous le
slogan du « développement séparé ». A prouver que que dans des
conditions d’une telle vulnérabilité aucun gouvernement ne soit
à même d’exercer un quelconque réel pouvoir et qu’un quelconque
« développement séparé » doit être compris comme une extrême
dépendance, une extrême vulnérabilité et un extrême
dysfonctionnement, il y a la leçon sud-africaine, qui n’a pas
encore été apprise en Palestine, ce qui est très dangereux, bien
que tous les signaux soient au rouge, comme l’a à l’occasion
reconnu Fayyad lui-même, lequel exprime une frustration
croissante. Mais le fait de déclarer l’indépendance ne résoudra
pas le problème de la faiblesse palestinienne : il ne fera que
la concrétiser.
Reste que quand
le « développement séparé » échouera en Cisjordanie, comme il ne
manquera pas de le faire, Israël sera confronté à une
insurrection palestinienne. Aussi Israël a-t-il besoin
d’enfoncer un dernier coin afin d’assurer l’Etat juif avant que
cela ne se produise : déclarer un « Etat palestinien » et
réduire, ce faisant, le « problème palestinien » à une querelle
de voisinage lancinante entre égaux putatifs. Dans les coulisses
de la Knesset, les architectes politiques du parti Kadima, comme
les sionistes progressistes, doivent être en train d’attendre,
en ce moment-même, en retenant leur souffle, quand ils ne sont
pas en train d’entretenir le flot des messages subliminaux qui
sont certainement en train d’affluer à Ramallah afin
d’encourager cette initiative et de promettre l’amitié, des
conversations entre initiés et de vastes avantages. Car ils
savent tous ce qui est en jeu, à savoir ce que tout organe
d’opinion important et tout blogue d’universitaire disent,
ces derniers temps : la solution à deux Etats et morte et
enterrée et Israël va faire face de manière imminente à une
lutte anti-apartheid qui détruira inéluctablement l’Etat juif.
Aussi, une déclaration unilatérale de l’Autorité palestinienne
créant une solution à deux Etats en dépit de ses manifestes
absurdités bantoustaniques est désormais la seule façon de
préserver l’Etat juif, car c’est la seule manière de faire
dérailler le mouvement anti-apartheid qui annonce le sort fatal
d’Israël.
C’est la raison
pour laquelle il est terriblement dangereux que
l’analogie avec les bantoustans sud-africains ait été
négligée jusqu’ici et qu’elle ait été traitée comme une question
subsidiaire, voire comme une sorte d’entichement
académique exotique, par ceux qui se battent pour soulager la
faim à Gaza et pour alléger le cruel système de murailles et de
barricades afin d’apporter des soins aux mourants. L’initiative
inhabituellement sérieuse de l’Autorité palestinienne sise à
Ramallah de déclarer un Etat palestinien indépendant sur un
territoire non souverain doit assurément amener la prise de
conscience collective et inédite qu’il s’agit là d’une question
terriblement pragmatique. Il est grand temps d’apporter
davantage d’attention à ce que signifie en réalité le terme de
« bantoustan ». Le mouvement national palestinien ne peut
qu’espérer que quelqu’un, dans ses rangs, entreprenne ce projet
aussi sérieusement que l’a fait Israël, avant qu’il ne soit trop
tard.
[* Virginia Tilley, qui a enseigné les
sciences politiques et les relations internationales et qui est
spécialiste en chef au Human Sciences Research Council of
South Africa depuis
2006, est l’auteur de
The One-State Solution
(University of Michigan Press, 2005),
ainsi que de nombreux articles et essais consacrés au conflit
israélo-palestinien. Elle réside au Cap, s’exprime à titre
personnel et peut être contactée par mél :
vtilley@mweb.co.za]
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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