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Ha'aretz
Le
vol de terres n'émeut pas la société israélienne
Uzi Benziman
[Benziman
revient sur le rapport de Shalom Arshav (La Paix Maintenant) qui
montrait que 40% des terres sur lesquelles sont bâties les
colonies appartiennent à des personnes physiques palestiniennes.
Rapport qui a fait peu de vagues en Israël]
http://www.haaretz.com/hasen/spages/803269.html
Ha'aretz, 20 décembre 2006
Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant
Il y a un mois, Ha'aretz publiait en première page un reportage
à sensation. Notre journaliste Nadav Shragaï y détaillait les résultats
d'un rapport de Shalom Arshav (1) qui montrait que près de 40%
des terres sur lesquelles sont établies les colonies de
Cisjordanie appartiennent à des personnes physiques
palestiniennes. Ce rapport se fondait sur des chiffres officiels,
auxquels Shalom Arshav a pu avoir accès.
Ha'aretz a été le seul média israélien à couvrir
convenablement ce rapport. Le quotidien Maariv en a publié un résumé
en page 6, la radio nationale l'a annoncé dans ses news de la
mi-journée, et l'information est restée sur les différents
sites des journaux pendant 24 heures environ. Les autres médias,
y compris Yediot Aharonot, les chaînes de télévision et la
radio de l'armée, l'ont totalement ignoré.
Les médias n'ont pas été les seuls à minimiser l'importance
des résultats de ce rapport et à éviter de discuter de ses
implications (sauf Ha'aretz, qui a publié plusieurs analyses).
Ceux qui ont été mis en cause par ce rapport ont également
adopté la tactique du profil bas. Le gouvernement n'a publié
aucune réaction officielle, l'Administration civile a simplement
déclaré, entre autres, que "une première lecture du
rapport montre qu'il souffre de graves inexactitudes", et le
Conseil représentatif des colons a prétendu que le rapport ne
contenait rien de nouveau, et que Shalom Arshav était prêt
à utiliser tous les moyens pour combattre la colonisation juive.
Contrairement au profil bas adopté par l'Etat et les médias israéliens,
le rapport a fait l'objet d'une grande attention à l'étranger.
Le New York Times en a fait sa une, d'autres grands journaux ont
fait de même, et Dror Etkes et Hagit Ofran, les auteurs de ce
rapport, ont été interviewés sur plusieurs chaînes de télévision
et de radio dans le monde entier. Ils estiment que leur rapport a
été couvert par plusieurs centaines de médias.
Dror Etkes a été aussi interviewé par la radio israélienne (Kol
Israel) en même temps que Benny Kashriel, maire de la colonie
de Maaleh Adoumim, mais uniquement parce que le correspondant de
cette radio à Washington, Yaron Dekel, avait fait état du bruit
qu'avait fait ce rapport aux Etats-Unis.
Plus intéressante que sa couverture par les médias israéliens
est l'impression qu'a produite ce rapport sur l'opinion publique
israélienne. Au lendemain de l'annonce modeste de ses résultats,
le rapport a totalement
disparu du débat public, sauf pour une déclaration du Conseil
des colons qui mettait en cause sa fiabilité. Les partis de
gauche n'en ont pas parlé, la Knesset n'a pas délibéré, la
presse ne s'en est pas occupée, le gouvernement l'a ignoré, et
personne n'a demandé au premier ministre ou aux ministres de la
justice et de la défense de s'expliquer.
Car ce que les enquêteurs de Shalom Arshav ont révélé, c'est
que des organismes d'Etat ont volé des terres à des Palestiniens
qui vivent en Cisjordanie. Le rapport montre que des organismes d'Etat
ont violé la loi, ignoré les décisions de la Cour suprême, et
se sont conduits de façon malhonnête et contraire à l'éthique.
Pour Shalom Arshav, 130 colonies ont été établies, totalement
ou partiellement, sur des terres privées. Celles-ci
sont des terres que l'Etat reconnaît comme étant des terres privées,
et non des terres privées déclarées terres d'Etat (2). Cela a
impliqué une violation systématique et flagrante par des agences
d'Etat des droits à la
propriété de milliers de Palestiniens. C'est ce même mode opératoire,
clandestin et apparemment criminel, qu'a détaillé la procureure
Talia Sasson dans son rapport sur la création des colonies
sauvages (3).
La conscience d'Israël est lourde. Les scandales succèdent aux
scandales, et les injustices d'aujourd'hui font disparaître de
notre conscience les injustices d'hier. Le coeur de la société
israélienne est si dur à l'égard
des Palestiniens des territoires qu'elle ne s'émeut pas
lorsqu'elle est confrontée à une injustice qui refuse aux
individus leur droit à la propriété.
La méchanceté, la tromperie et l'agression qui ont caractérisé
la manière dont l'Etat s'est emparé de ces terres qui
appartiennent à des individus, fussent-ils des Palestiniens,
devraient révolter toute personne honnête, même un colon. Car
ces méthodes n'ont rien à voir avec le débat idéologique sur
la colonisation. Ce qui est en jeu, c'est qu'on a refusé à des
individus leurs droits les plus élémentaires. Les colonies
auraient pu être établies seulement sur des terres d'Etat. Mais
une société qui n'est pas choquée par la mort de Palestiniens
innocents ne sera pas émue davantage par la vue d'une terre volée
à un individu palestinien.
(1) Voir une traduction de ce rapport : http://www.lapaixmaintenant.org/article1451
(2) cette distinction entre "terres privées" et
"terres d'Etat" est étudiée dans le rapport cité en
note 1.
(3) Sur le rapport Sasson, voir (entre autres) l'enquête d'Akiva
Eldar : "Avant-postes illégaux : le poisson pourrit d¹abord
par la tête" http://www.lapaixmaintenant.org/article1006
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