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Cela peut arriver ici !
Uri Avnery

27 septembre 2008

En 1961, j’ai écrit un livre intitulé “La swastika” [...], dans lequel j’essayais de percer le code des racines du nazisme. Á la fin du livre, je posais la question : peut-il arriver ici ? Ma réponse catégorique était : oui, certainement.

 

EN ALLEMAND, le nom Sternhell signifie brillant comme les étoiles. Le nom convient : les positions du professeur Ze’ev Sternhell résistent nettement à l’obscurité du ciel. Il met en garde contre le fascisme israélien. Cette semaine, des fascistes israéliens ont posé une bombe artisanale à l’entrée de son appartement et il a été légèrement blessé.

 

Le choix de la victime paraît surprenant au premier abord. Mais les auteurs savaient ce qu’ils faisaient.

Ils ne se sont pas attaqué aux militants qui manifestent chaque semaine contre le mur de séparation à Bi’lin et Na’alin. Ils ne se sont pas non plus attaqué aux gens de gauche qui se mobilisent chaque année – cette année aussi – pour aider les Palestiniens à cueillir leurs olives dans le voisinage des colonies les plus dangereuses.

Ils ne se sont pas attaqué aux "femmes en noir" qui manifestent chaque vendredi, ou aux femmes de "Machsom Watch" qui observent ce qui se passe aux points de contrôle de l’armée. Ils se sont attaqué à une personne dont toute l’activité se déroule dans le domaine universitaire.

 

Les luttes sur le terrain sont essentielles. Mais leur objectif principal est de toucher l’opinion publique. C’est le principal champ de bataille, et l’homme de lettres y a un rôle important à jouer.

 

Sur ce champ de bataille, deux visions s’affrontent, deux visions aussi éloignées que l’est de l’ouest. D’un côté : un Israël lumineux, moderne, laïque, libéral [1] et démocratique, vivant en paix et en partenariat avec la Palestine comme un élément à part entière de la région. De l’autre côté : un Israël fanatique, religieux, fasciste, séparé de la région et de l’humanité civilisée, un peuple "qui a sa demeure à part et qui n’est pas compté parmi les nations" (Nombres 23, 9), où "l’épée dévorera toujours" (2 Samuel 2, 26)

Ze’ev Sternhell est l’un des esprits éminents de la vision lumineuse. Ses positions sont brillantes comme les étoiles, déterminées et fortes. Ce n’est pas une cible surprenante de la part de poseurs de bombes néo-nazis qui se nourrissent de chimères.

 

LE CHAMP d’expertise universitaire de Sternhell est l’origine du fascisme, une question qui m’a occupé toute ma vie. Les raisons de notre intérêt sont semblables : le nazisme a laissé une impression indélébile sur notre enfance et notre destinée. Enfant, j’ai été témoin de la montée du nazisme en Allemagne. Enfant, Sternhell en a été le témoin en Pologne lorsque, après la mort de son père, il perdit sa mère et sa sœur dans l’Holocauste.

 

"Chat échaudé craint l’eau froide" dit le proverbe. Ceux qui ont éprouvé l’explosion du nazisme dans leur vie d’enfant sont sensibles au plus léger symptôme de manifestation de cette maladie. En 1961, j’ai écrit un livre intitulé “La swastika” (il n’existe qu’en hébreu), dans lequel j’essayais de percer le code des racines du nazisme. Á la fin du livre, je posais la question : peut-il arriver ici ? Ma réponse catégorique était : oui, certainement.

 

Á cause de cela, je suis sensible à chaque signal d’alarme dans notre société. En tant que journaliste et directeur de magazine, j’ai dirigé les projecteurs sur tous les signaux de ce genre. Comme militant politique, je les ai combattu à la Knesset et dans la rue.

Sternhell, en ce qui le concerne, à la suite d’une carrière militaire, est un pur universitaire. Il fait appel aux outils universitaires : recherche, enseignement et publications. Il s’efforce de produire des définitions exactes, sans rechercher la popularité et sans éviter la provocation. Dans l’un de ses articles il y quelques années, il affirmait que la réaction violente des Palestiniens aux colonies était tout à fait normale. Cela lui attira la colère durable des colons et de l’extrême droite, qui s’efforça de l’empêcher de recevoir le Prix d’Israël, la plus haute distinction en Israël.

 

Maintenant, ce sont les bombes artisanales qui ont la parole.

 

QUI A POSÉ la bombe ? Un individu isolé ? Un groupe ? Un nouveau mouvement clandestin ? Les terroristes de colonies ? Il revient à la police et au Shin-Bet de le découvrir.

 

Pour l’opinion publique, la question est beaucoup plus simple : on voit clairement dans quelles plates-bandes croissent ces mauvaises herbes vénéneuses, quelle idéologie leur sert d’engrais et qui la répand.

 

Le fascisme israélien est vivant et il frappe. Il croit dans les plates-bandes qui ont produit les divers groupes clandestins nationalistes-religieux dans le passé : le groupe qui a tenté de faire sauter les sanctuaires musulmans sur le Mont du Temple, le groupe clandestin qui a tenté d’assassiner les maires palestiniens, le gang "Kach", l’exécuteur du massacre d’Hébron, Baruch Goldstein, l’assassin du militant de la paix Émile Gruenzweig, l’assassin de Yitzhak Rabin et tous les groupes clandestins qui ont été découverts avant que leurs actes ne les fassent connaître du public.

 

Ces actes ne peuvent être simplement attribués à des individus ou à des "groupes de dévoyés". Il y a une frange fasciste bien claire à la marge de la société politique d’Israël. Son idéologie est nationaliste-religieuse et ses leaders spirituels sont des "Rabbis" qui formulent sa vision du monde et sa mise en pratique. Ces idolâtres juifs ne travaillent pas dans le secret. Au contraire, ils proposent leurs marchandises sur le marché public.

Ce secteur est concentré dans les colonies "idéologiques". Cela ne veut pas dire que tous les colons sont des fascistes. Ils sont concentrés dans certaines colonies bien connues. Par hasard ou non, toutes ces colonies sont situées au cœur de la Cisjordanie, au delà du mur de séparation. Les premières d’entre elles ont été installées, dans le secteur d’Hébron, avec l’aide du leader "de gauche" Ygal Allon, et dans le secteur de Naplouse par le leader "de gauche" Shimon Peres.

 

AU COURS DES derniers mois, il y a eu une augmentation sensible du nombre des incidents où des colons ont attaqué des Palestiniens, des soldats, des policiers et des "gens de gauche".

 

Ces actions sont commises ouvertement, pour terroriser et décourager. Des colons se livrent à des violences dans des villages palestiniens dont ils convoitent les terres ou pour se venger. Ce sont là des "pogroms" au sens classique du terme : des violences exercées par une foule armée intoxiquée par sa haine à l’égard de gens sans défense pendant que l’armée et la police se contentent de regarder. Les "Pogromchiks" détruisent, blessent et tuent. Ces temps-ci, cela se produit de plus en plus souvent.

 

Dans le petit nombre de cas où l’armée ou la police interviennent, elles ne s’en prennent pas aux colons, mais aux militants de la paix israéliens qui viennent aider les fermiers palestiniens attaqués. Les porte-paroles des services de sécurité et les commentateurs essaient de se montrer objectifs et parlent d’"émeutiers de droite et de gauche". C’est un traitement faussement équilibré qui appartient lui-même à l’arsenal des manœuvres fascistes.

 

Les pogroms des colons sont violents par nature, tant au plan des idées que des actes, alors que les militants de la paix sont non-violents par principe. S’il y a violence,elle est le fait de l’armée et de la police des frontières, prenant prétexte du fait que les jeunes du secteur ont lancé des pierres. Ce qui n’est pas dit, c’est que les soldats et les membres de la police des frontières poursuivent les manifestants palestiniens dans les rues de leurs villages.

 

L’"effronterie" des voyous d’extrême droite – ou "militants de droite" comme les medias tiennent à les appeler courtoisement – s’accroît de jour en jour. Ils font ce qu’ils veulent, sachant parfaitement qu’aucun mal ne peut leur arriver. La police n’intervient pas puisque de toute façon la justice ne prendra aucune sanction significative.

 

QUICONQUE connaît l’histoire du nazisme est familier du rôle honteux joué par les tribunaux et les autres institutions chargées d’appliquer la loi dans la république allemande vis à vis de ceux qui enfreignaient les lois en déclarant que leur objectif était de mettre fin au système démocratique. Les juges imposaient des sanctions ridiculement faibles aux émeutiers nazis qu’ils considéraient comme des "patriotes dévoyés", alors qu’ils traitaient les émeutiers communistes d’agents de l’étranger et de traîtres.

 

Maintenant nous voyons le phénomène se dérouler ici. Les colons qui enfreignent la loi se voient infliger des peines symboliques alors que les Palestiniens accusés de fautes moindres subissent des peines sévères. Aujourd’hui, même un colon qui lance son chien sur un commandant de compagnie reste en liberté tout comme un colon qui rompt les os d’un chef de bataillon.

 

Le système de justice interne de l’armée est tout simplement monstrueux : l’officier qui a retenu une femme en travail à un point de contrôle, entraînant la mort de l’enfant, a été puni de deux semaines de détention. L’officier qui a ordonné à un soldat de tirer dans la jambe d’un Palestinien menotté a été "muté", ce qui signifie que ce criminel de guerre peut servir dans une autre unité.

 

EST-CE-QUE l’augmentation du nombre et de la gravité de tels incidents témoigne d’une puissance croissante du fascisme israélien ? Á première vue, on pourrait en avoir l’impression.

Cependant, à y regarder de plus près, je pense que c’est l’inverse qui est vrai.

 

Les colons fanatiques savent qu’ils ont perdu le soutien de l’opinion publique en Israël et que l’Israélien moyen les considère comme de dangereux voyous. Leurs actions telles qu’on les voit à la télévision suscitent le dégoût et même l’horreur. La vision de "la totalité de l’Éretz Israël" n’a pas seulement perdu de l’altitude – elle s’est écrasée sur le terrain de la réalité. Les zélotes agissent à partir de sentiments de faiblesse et de frustration.

 

Autant les nazis haïssaient la République allemande, autant ces fanatiques commencent à haïr l’Etat d’Israël. Et avec de bonnes raisons. Ils voient qu’ils n’ont aucune place dans le consensus qui prend corps autour du concept de "Deux états pour deux peuples", qu’il soit accepté pour des raisons négatives telles que la crainte démographique ou le fardeau de l’occupation, ou pour des raisons positives telles que l’espoir de paix et de prospérité après le retrait des territoires occupés.

 

La discussion sur la question des frontières se poursuit, mais la majorité voit dans le mur de séparation la future frontière. ( Comme nous l’avons montré clairement depuis le début, le mur n’a pas été construit en réalité pour se protéger des attentats suicides, comme on le prétendait, mais comme future frontière entre les deux Etats.)

 

Les milieux dirigeants d’Israël souhaitent annexer les terres situées entre le mur et la ligne verte et sont disposés à donner en contrepartie aux Palestiniens des terres israéliennes. Comment les colons voient-ils cela ?

 

La plupart des colons vivent dans des colonies proches de la ligne verte, qui, dans cette perspective seront rattachées à Israël. Ce sont , et ce n’est pas un hasard, des colons au "style de vie" non idéologique, qui étaient à la recherche d’appartements à bon marché et d’une "qualité de vie" à proximité de Tel-Aviv ou de Jérusalem. Ces colons seront vraisemblablement d’accord à la fin pour toute paix qui leur permettra de rester en Israël.

 

La grande majorité des colons extrémistes, ceux qui se réclament d’un idéologie religieuse-fasciste, vivent dans de petites colonies à l’est du mur qui devront être démantelées quand on aboutira à la paix. Il s’agit d’une petite minorité, même parmi les colons, soutenue par une minorité radicale à l’extrême droite. C’est là que le fascisme israélien violent se développe.

 

IL FUT UNE ÉPOQUE où il semblait qu’une Ligne Rouge courait parallèlement à la Ligne Verte – que le terrorisme nationaliste-religieux frapperait "seulement" les Palestiniens, pas les Israéliens. Même le rabin Meir Kahane, un fasciste né, disait cela.

 

L’illusion s’est brisée avec le meurtre de Yitzhak Rabin. Le fascisme israélien est apparu semblable à tout autre fascisme classique qui hurle contre "l’ennemi étranger" mais dirige son terrorisme contre "l’ennemi de l’intérieur". La bombe artisanale à l’entrée de la maison de Sternhell doit activer tous les voyants rouges, au moment où elle fait suite à l’assassinat d’Émile Gruenzweig et aux menaces contre la vie d’autres militants de la paix en vue.

 

La bataille décisive, la bataille pour Israël, entre dans une nouvelle phase - beaucoup plus violente, beaucoup plus dangereuse. Mais, plus que tout danger pour les personnes, c’est le danger pour la société israélienne dans son ensemble qui est le plus sérieux. Particulièrement si elle ne mobilise pas toutes ses ressources – gouvernement, police, services de sécurité, la loi, les tribunaux, les medias et le système éducatif – pour une bataille totale contre ce danger.

 

Je ne pense pas que le fascisme l’emportera dans notre société. Je crois à la force de la démocratie israélienne. Mais, si l’on me pousse dans mes retranchements et si on me demande : "Est-ce que cela peut arriver ici ?" Je suis obligé de répondre "Oui, c’est possible."

 

[1] NDT : libéral est à prendre ici dans son sens politique anglo-saxon : à gauche.

 

Article écrit le 27 septembre 2008, publié en hébreu et en anglais le 28 septembre sur le site de Gush Shalom.
Traduit de l’anglais "It Can Happen Here !" pour l’AFPS : FL



Source : AFPS
http://www.france-palestine.org/...


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