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La 155e victime
Uri Avnery  

 

Il faut le crier haut et fort : chacun des 154 morts israéliens dans la seconde guerre du Liban (jusqu’au cessez-le-feu) est mort pour les colons des hauteurs du Golan.

EN QUELQUES MOTS, un officier de l’armée libanaise a détruit avant-hier l’illusion qu’Israël avait obtenu quoi que ce soit dans cette guerre.

Au cours d’un défilé télévisé de l’armée libanaise, également diffusé sur la télévision israélienne, l’officier a lu un texte à ses troupes prêtes à être déployées le long de la frontière libano-israélienne.

Voici ce qu’il a dit en arabe : « Aujourd’hui, par la volonté de l’ensemble du peuple, vous allez vous déployer sur le sol du Sud blessé, à côté des forces de votre résistance et de votre peuple, qui ont étonné le monde par leur détermination et qui ont mis en pièces la réputation de l’armée que l’on disait invincible. »

En d’autres termes : « la volonté de l’ensemble du peuple » : la volonté de toutes les parties du peuple libanais, y compris la communauté chiite. « A côté des forces de la résistance » : à côté du Hezbollah. « Qui ont étonné le monde par leur détermination » : l’héroïsme des combattants du Hezbollah. « Mis en pièces la réputation de l’armée que l’on disait invincible » : l’armée israélienne.

Ainsi a parlé un commandant de l’armée libanaise dont le déploiement le long de la frontière est célébré par le gouvernement Olmert-Peretz comme une énorme victoire, parce que cette armée est supposée affronter le Hezbollah et le désarmer. Des commentateurs israéliens ont créé l’illusion que cette armée serait à la disposition des amis des Etats-Unis et d’Israël à Beyrouth, comme Fouad Siniora, Saad Hariri et Walid Jumblatt.

Ce n’est pas un hasard si cette information a été noyée dans le déluge des bavardages télévisés, comme une pierre jetée dans un puits. Après la diffusion de cette information, aucun débat n’a eu lieu. Elle a été effacée de l’esprit des gens.

Mais le ballon de l’armée libanaise ressuscitée n’est pas le seul à avoir été dégonflé. La même chose s’est produite avec le second ballon, multicolore, qui devait apparaître comme un succès israélien : le déploiement de la force internationale qui protégerait Israël du Hezbollah et empêcherait son réarmement. A mesure que les jours passent, il devient de plus en plus clair que cette force sera au mieux un méli-mélo de petites unités nationales, sans mandat clair ni capacités réelles. Le raid de commando organisé aujourd’hui par notre armée en violation flagrante du cessez-le-feu n’attirera certainement pas davantage de volontaires internationaux pour faire ce boulot.

Alors, que reste-t-il de tous les « succès » de cette guerre ? Bonne question.

APRÈS CHAQUE guerre perdue, la demande d’une enquête officielle émerge en Israël. Aujourd’hui il y a un « traumatisme », beaucoup d’amertume, un sentiment de défaite et d’occasions manquées. D’où la demande d’une commission d’enquête musclée qui coupera la tête des responsables.

C’est ce qui s’est passé après la première guerre du Liban, qui avait atteint son paroxysme avec le massacre de Sabra et Chatila. Le gouvernement avait refusé toute enquête sérieuse. Les foules qui s’étaient rassemblées dans ce qu’on appelle maintenant la « Place Rabin » (les mythiques 400.000) avaient exigé une enquête judiciaire. L’état d’esprit des gens était arrivé à l’ébullition et, à la fin, le Premier Ministre, Menahem Begin, avait dû s’exécuter.

La commission Kahane, qui a enquêté sur l’événement, a condamné un certain nombre d’hommes politiques et d’officiers pour responsabilité « indirecte » dans le massacre, bien que ses propres conclusions sur les faits auraient justifié une condamnation beaucoup plus sévère. Mais au moins Ariel Sharon a dû quitter le ministère de la Défense.

Avant cela, après le traumatisme de la guerre du Kippour, le gouvernement avait également refusé de nommer une commission d’enquête, mais la pression populaire lui avait forcé la main. Le sort du comité Agranat, qui comprenait un ancien chef d’état-major et deux officiers supérieurs, a été plutôt étrange : ce comité a mené une enquête sérieuse, fait porter toute la responsabilité sur les militaires, fait limoger le chef d’état-major, « Dado » Elazar et exonéré la direction politique de toute faute. Cela a provoqué une tempête spontanée de protestations. Par la suite, Golda Meir et Moshe Dayan - prédécesseurs d’Olmert et Peretz comme Premier ministre et ministre de la Défense - ont été obligés de démissionner.

Cette fois-ci également, la direction politique et militaire essaie de bloquer toute enquête sérieuse. Amir Peretz a même nommé un comité de blanchiment, composé de ses copains. Mais la pression populaire est en train de grandir et il y a de fortes chances qu’à la fin il n’y aura pas d’autre solution que de nommer une commission d’enquête judiciaire.

En général, on peut prévoir, selon celui qui nomme une commission d’enquête et définit sa mission, quelles seront les conclusions de celle-ci. D’après la loi israélienne, c’est le gouvernement qui décide de nommer ce type de commission et en détermine les termes de référence. (Comme membre de la Knesset, j’ai voté contre ces dispositions.) Mais la composition de la commission est fixée par le président de la Cour suprême. Si une commission est mise en place, je suppose que le président actuel de la Cour, Aharon Barak, éminent juge très respecté, se nommera lui-même pour faire ce travail.

SI VRAIMENT une telle commission est établie, sur quoi va-t-elle enquêter ?

Les hommes politiques et les généraux essaieront de cantonner l’enquête aux aspects techniques de la conduite de la guerre :
-   Pourquoi l’armée n’était-elle pas préparée à une guerre de guérilla ?
-   Pourquoi les forces terrestres n’ont-elles pas été envoyées sur le terrain dans les deux premières semaines ?
-   Le commandement militaire croyait-il vraiment que la guerre pouvait être gagnée par les seules forces aériennes ?
-   Quelle a été la qualité des services de renseignement ?
-   Pourquoi rien n’a-t-il été fait pour protéger l’arrière, alors que la menace des roquettes était connue ?
-   Pourquoi les pauvres dans le nord ont-ils été abandonnés à leur sort après que les nantis eurent quitté la zone ?
-   Pourquoi les unités de réserve n’étaient-elles pas prêtes à la guerre ?
-   Pourquoi les arsenaux d’urgence étaient-ils vides ?
-   Pourquoi le système d’approvisionnement n’a-t-il pas fonctionné ?
-   Pourquoi le chef d’état-major a-t-il destitué le chef du commandement nord en pleine guerre ?
-   Pourquoi a-t-on décidé au dernier moment de lancer une campagne qui a coûté la vie à 33 soldats israéliens ?

Le gouvernement essaiera probablement d’élargir l’enquête et de faire porter une partie de la responsabilité à ses prédécesseurs :
-   Pourquoi les gouvernements d’Ehoud Barak et d’Ariel Sharon se sont-ils contentés de regarder passivement le développement du Hezbollah ?
-   Pourquoi rien n’a-t-il été fait alors que le Hezbollah constituait un énorme stock de roquettes ?

Toutes ces questions sont sérieuses et il est certainement nécessaire de les élucider. Mais il est plus important d’enquêter sur les racines de la guerre :
-   Qu’est-ce qui a fait que le trio Olmert-Peretz-Halutz a décidé de déclencher une guerre quelques heures seulement après la capture de deux soldats ?
-   Ne nous étions-nous pas mis d’accord avec les Américains pour lancer une guerre dès qu’un prétexte crédible se présenterait ?
-   Les Américains ont-ils poussé Israël à la guerre et, ensuite lui ont-il demandé de continuer et d’aller le plus loin possible ?
-   Est-ce Condoleezza Rice qui a en fait décidé à quel moment commencer et à quel moment s’arrêter ?
-   Les Etats-Unis voulaient-ils nous embringuer dans une histoire avec la Syrie ?
-   Les Etats-Unis se sont-ils servis de nous pour leur campagne contre l’Iran ?

Cela non plus n’est pas suffisant. Il y a des questions plus profondes et plus importantes.

CETTE GUERRE n’a pas de nom. Même après 33 jours de combat et six jours de cessez-le-feu, aucun nom évident n’a été trouvé. Les médias utilisent un nom chronologique : la seconde guerre du Liban.

En l’appelant ainsi, on sépare la guerre au Liban de la guerre dans la bande de Gaza, qui a eu lieu en même temps et qui continue sans relâche après le cessez-le-feu dans le nord. Ces deux guerres ont-elles un dénominateur commun ? Sont-elles, peut-être, une seule et même guerre ?

La réponse est : oui, absolument. Et le nom approprié est : la guerre pour les colonies.

La guerre contre les Palestiniens est menée pour garder les « blocs de colonies » et annexer de grandes parties de la Cisjordanie. La guerre dans le nord a été menée en fait pour garder les colonies sur les hauteurs du Golan.

Le Hezbollah s’est développé avec le soutien de la Syrie qui contrôlait le Liban à l’époque. Hafez al-Assad voyait la restitution du Golan à la Syrie comme le but de sa vie - après tout c’est lui qui l’avait perdu au cours de la guerre de juin 1967, et qui n’a pas réussi à la reprendre dans la guerre d’octobre 1973. Il n’a pas voulu risquer une autre guerre sur la frontière israélo-syrienne qui est si proche de Damas. Par conséquent il a aidé le Hezbollah pour convaincre Israël qu’il n’aurait pas de tranquillité tant qu’il refuserait de rendre le Golan. Assad junior poursuit l’héritage paternel.

Sans la coopération de la Syrie, l’Iran n’a pas de voie directe pour fournir des armes au Hezbollah.

Nous détenons la solution : nous devons enlever les colons du nord, quel que soit le coût en vins et en eau minérale, et rendre le Golan à ses vrais propriétaires. Ehoud Barak l’a presque fait mais, comme à son habitude, il a perdu son sang-froid au dernier moment.

Il faut le crier haut et fort : chacun des 154 morts israéliens dans la seconde guerre du Liban (jusqu’au cessez-le-feu) est mort pour les colons des hauteurs du Golan.

LA 155e VICTIME israélienne de cette guerre est le « plan de convergence » - le plan pour un retrait unilatéral de certaines parties de la Cisjordanie.

Ehoud Olmert a été élu il y a quatre mois (difficile à croire ! Seulement quatre mois !) sur le programme de la Convergence, comme Amir Peretz a été élu sur le programme de réduction des dépenses militaires et de réformes sociales à long terme.

Au cours de la guerre, Olmert a encore annoncé qu’il appliquerait la « Convergence ». Mais avant-hier, il a admis que nous pourrions y renoncer.

La Convergence consistait à déplacer 60.000 colons de là où ils se trouvent, mais de laisser les presque 400.000 colons de Cisjordanie (y compris de la région de Jérusalem). Maintenant ce plan a lui aussi été enterré.

Que reste-t-il ? Pas de paix, pas de négociations, aucune solution pour le conflit historique. Seulement une totale impasse pour des années, au moins jusqu’à ce que nous nous débarrassions du duo Olmert & Peretz.

Dans tout Israël, on parle déjà du « prochain round », la guerre qui va enfin éliminer le Hezbollah et le punir d’avoir terni notre honneur. C’est devenu, du moins semble-t-il, un sujet qui va de soi. Même Haaretz le traite ainsi dans ses éditoriaux.

Dans le Sud, on ne parle pas du « prochain round », parce que le round actuel est interminable.

Pour avoir quelque valeur que ce soit, l’enquête doit mettre en évidence les vraies racines de la guerre et présenter à l’opinion le choix historique qui est devenu clair dans cette guerre aussi : soit les colonies et une guerre sans fin, soit la restitution des territoires occupés et la paix.

Autrement, l’enquête ne fera que renforcer les conceptions de la droite, à savoir : nous devons seulement pointer les erreurs qui ont été faites et les corriger, puis nous pouvons lancer la prochaine guerre et gagner.

Article publié en hébreu et en anglais le 20 août sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « The 155th Victim » : RM/SW

 



Source : AFPS  
http://www.france-palestine.org/article4453.html


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