AFPS
Yes, you can ! (Oui, vous pouvez)
Uri Avnery
8 novembre 2008
S’il y a un changement, il sera probablement lent et graduel.
Mais cela ne signifie pas qu’il ne sera pas significatif. Il n’y
a aucune chance de progresser sur la voie de paix
israélo-palestinienne sans la pression américaine sur le
gouvernement israélien. Cela a été vrai pendant des décennies,
et cela reste vrai aujourd’hui. EN JUILLET
2004, la convention du Parti Démocrate était sur le point de
désigner John Kerry comme candidat à la présidence. Il
appartenait au comité organisateur de décider qui prononcerait
le discours inaugural. Dans la tradition américaine, ce discours
donne le ton pour l’ensemble de la Convention.
"Peut-être devrions-nous avoir un orateur
noir cette fois-ci ?" a suggéré quelqu’un.
’’Bonne idée’’, a répondu le président."Mais
qui ?"
Ensuite, quelqu’un, d’une voix hésitante, a
dit qu’il avait rencontré un jeune gars avec un drôle de nom, à
Chicago. "Il est noir et excellent orateur. Peut-être que nous
pourrions l’essayer ?"
Je ne sais pas si une telle conversation a eu
lieu.Si c’est le cas, c’est le genre de celles qui font
l’histoire.
’’Donnez-moi des maréchaux qui soient
chanceux !’’, s’est exclamé un jour Napoléon. Il y a des gens
qui ont de la chance parce qu’ils savent saisir leur chance des
deux mains. C’est une question de talent. Barack Obama est ce
genre de personne.
Son discours à cette convention, il y a
seulement quatre ans, avait fait sensation. Il a inspiré de
l’émotion à son parti et à toute l’Amérique. Il a exprimé un
message édifiant, un message d’espoir, et surtout, un message
unificateur. Son principal thème est : ’’Réunifions
l’Amérique !’’
Parmi des centaines de messages possibles, ce
fut celui qui a touché le cœur déchiré de la nation américaine.
Entre l’orateur et le public un contact s’est établi – le
contact mystique que s’efforce d’établir chaque orateur, ce que
seuls quelques-uns réussissent à faire. Il s’agit du lien avec
la chose mystérieuse que le philosophe allemand a appelée le
Zeitgeist, l’esprit du temps.
Obama a senti qu’il avait établi le contact
avec la psyché américaine. A partir de ce moment-là, il n’a pas
laissé ce message. Il a collé à lui tout au long de la longue
campagne électorale. Ce message l’a conduit à la victoire.
CE N’ETAIT PAS facile. En tant qu’individu
qui a réussi plusieurs campagnes électorales infiniment plus
petites, je sais combien il est difficile de fixer un thème
central - et encore plus difficile de s’y tenir.
Au cours d’une campagne électorale, il existe
d’innombrables tentations de se détourner du message central
pour réagir à des événements divers, pour saisir des
opportunités qui se présentent, pour répondre aux attaques de
l’adversaire. Il est difficile de se serrer la bride et de
maintenir le cap.
Cette semaine, de nombreuses personnes ont
fait l’éloge de la campagne d’Obama. Je ne suis pas sûr que tous
aient bien compris à quel point ils ont raison. Il est resté
calme quand il aurait pu se mettre en colère, il aurait pu
réagir violemment à la diffamation et aux insultes et rendre la
monnaie. Il ne l’a pas fait. John McCain, d’autre part, ne s’est
pas départi de son personnage – celui d’un héros de la guerre,
un type bien, symbole de décence. Plusieurs fois, il a fait
cesser la diffamation. Il s’est adjoint la vulgaire pourvoyeuse
d’invectives, Sarah Palin. Au tout dernier moment, il a autorisé
ses partisans, en Floride, à publier un communiqué absurde
accusant Obama d’être un ami de Fidel Castro et de conspirer
pour transformer les Etats-Unis en un deuxième Cuba. Pour ce
seul fait, il méritait de perdre, et effectivement, il a perdu.
Obama n’a pas couru derrière la chance. C’est
la chance qui l’a poursuivi. Le phénomène Palin, une sottise
tout à fait extraordinaire de la part de son adversaire, lui a
apporté le vote des femmes. L’effondrement économique qui s’est
produit au moment le plus intense de la campagne lui a assuré la
victoire. Toutes les composantes de la société américaine
réclamaient un message exaltant, un message de salut.
DANS DES CENTAINES d’endroits autour du
globe, de nombreuses foules en liesse se sont répandues dans la
rue pour exprimer leur joie après les résultats de l’élection. A
ces moments, le contact des Etats-Unis avec le monde, qui avait
été coupé par la main brutale de Bush, a été rétabli.
À Tel-Aviv, une telle célébration n’a pas eu
lieu. Dans tout Israël, il y avait une ambiance d’appréhension.
L’Israël officiel était gravement préoccupé par ce nouvel homme.
S’il y avait eu une fête sur la place
centrale de Tel-Aviv, j’y aurais certainement pris part. Mais ma
joie n’aurait pas été sans limite, car je n’aurais pas oublié ce
qui s’est passé sur la même place quelque neuf ans plus tôt.
C’est alors que notre Barak, Ehoud, a remporté les élections.
Cela avait été ressenti comme un jour de délivrance. Le mandat
de Benyamin Netanyahou avait été un désastre absolu, un
cauchemar de corruption, de polarisation et un échec total.
Barak serait notre sauveur. Une centaine de milliers de
personnes en liesse affluèrent sur la place Rabin, sans attendre
un appel. Ils ont dansé, chanté, se sont réjouis et écouté
attentivement le discours de Barak, le Rédempteur.
Tout le monde sait ce qui s’est passé
ensuite. En quelques mois, le public en est venu à haïr Barak,
il a échoué à tous les égards et a enterré tout ce qui avait été
construit par Yitzhak Rabin. Le public s’est détourné de lui et
a passé la couronne à Ariel Sharon. L’ensemble de l’épisode a
duré moins de deux ans.
Je souhaite de tout mon coeur que rien de
semblable ne se produise avec le Barack américain. Mais cette
semaine, de nombreuses personnes ici se souviendront de ce
chapitre. Aujourd’hui, dans quelques heures, de nombreuses
personnes afflueront de nouveau sur la place – la même place –
afin de participer au rassemblement annuel en mémoire d’Itzhak
Rabin, le Premier ministre assassiné sur cette place, qui porte
désormais son nom. Le principal orateur est – vous ne pourrez le
croire – Ehoud Barak.
DANS TROIS mois, des élections générales
auront lieu en Israël. Nul Barack Obama de chez nous n’y sera.
Obama est un grand homme politique. Selon ma
définition, un grand homme politique est un homme politique qui
ne ressemble pas à un homme politique. Comme Abe Lincoln, comme
le Mahatma Gandhi, comme Franklin Delano Roosevelt, comme David
Ben-Gourion, tous les grands acteurs du jeu politique,
politiques de la tête aux pieds. Mais ils n’en avaient pas
l’air. Je pense qu’Obama est comme ça, lui aussi. .
En Israël, l’homme qui espère gagner,
Benyamin Netanyahu, est tout le contraire. Il suinte la
politique sordide de tous les pores de sa peau. Durant son
dernier mandat en tant que Premier ministre, il a tout raté.
S’il gagne, rien ne s’améliorera.
Ehoud Barak est une autre antithèse du Barack
américain. Comme Netanyahou et Tzipi Livni, il appartient à
l’élite blanche ashkénaze. Il n’a pas aucune relation,
émotionnelle ou autre avec les minorités. Il est militariste
jusqu’au bout des ongles. Il a profité, par exemple, de la nuit
de l’élection d’Obama alors que l’attention du monde entier
était rivée là-bas, pour violer le cessez-le-feu et mener une
action de provocation militaire dans la bande de Gaza.
Reste Tzipi Livni. Certaines des
merveilleuses qualités d’Obama se retrouvent-elles en elle ?
Difficile à dire. Elle n’est pas grande oratrice. En réalité,
elle n’a pas du tout le talent oratoire dont beaucoup de gens la
créditaient. Mais elle a promis une "nouvelle politique". Elle
n’a pas été mêlée à des scandales de corruption, comme le
Premier ministre et tant Netanyahutout que Barak. Elle n’a pas
d’aura militaire. Son mandat en tant que ministre des Affaires
étrangères lui a donné une certaine crédibilité en tant que
diplomate.
La seule chose qui unit presque tous les
Israéliens est l’importance de maintenir de bonnes relations
avec les États-Unis. Tout le monde sait que la politique
israélienne actuelle n’est possible que tant qu’il existe un
indéfectible soutien américain. Parmi les trois candidats, Tzipi
Livni paraît celui le plus susceptible d’être en mesure de
travailler avec le nouveau Président. L’élection d’Obama peut
aider à sa propre élection, si elle sait l’utiliser.
LA QUESTION est : quelle politique vis-à-vis
d’Israël Obama adoptera-t-il ?
Jérusalem est inquiet, mais les porte-parole
se rassurent – ainsi que le public – en disant (d’après
l’expression en hébreu), que "le démon n’est pas si terrible".
Le nouveau Congrès est différent du précédent en ce qui concerne
l’équilibre des pouvoirs, mais sa crainte du lobby pro-Israël
sera toujours aussi intense. Certes, l’influence des
Evangélistes sionistes diminuera beaucoup, mais l’AIPAC est bien
vivante et offensive, et ses coups de pied seront plus
douloureux que jamais.
Celui qui sera le nouveau Secrétaire d’État,
comme les autres ministres et le Premier ministre israélien,
auront un accès direct au Bureau Ovale. Le nouveau portier, qui
porte le nom à consonance israélienne d’Emmanuel Rahm (Rahm
signifie élevé, Emmanuel signifie Dieu avec nous), est le fils
d’un ancien combattant clandestin de l’Irgoun. Rahm a grandi
dans un foyer juif, parle l’hébreu et s’est précipité à l’aide
de l’armée israélienne au cours de la première guerre du Golfe.
Je ne connais pas son point de vue sur le conflit
israélo-palestinien, mais certainement il ne bloquera pas
l’accès au Président du Premier ministre israélien.
S’il y a un changement, il sera probablement
lent et graduel. Mais cela ne signifie pas qu’il ne sera pas
significatif.
Il n’y a aucune chance de progresser sur la
voie de paix israélo-palestinienne sans la pression américaine
sur le gouvernement israélien. Cela a été vrai pendant des
décennies, et cela reste vrai aujourd’hui.
Tous les Présidents américains après Dwight
Eisenhower ont eu peur d’exercer de telles pressions. Ceux qui
ont essayé, comme Richard Nixon au début de son mandat, ont
rapidement fait machine arrière. La seule exception a été
Bush-père, ou plutôt son secrétaire d’État James Baker, mais
cette pression (sur le portefeuille) n’a pas duré longtemps.
Pour être efficace, la pression américaine
n’a pas besoin d’être brutale. Elle devrait être douce, mais
ferme et cohérente. Il est possible que cela corresponde au
tempérament d’Obama.
Si la nouvelle administration américaine
décide de réévaluer les intérêts nationaux américains au
Moyen-Orient et en arrive à la conclusion que la paix
israélo-arabe est une condition essentielle pour la politique de
l’Amérique post-Bush, alors le nouveau Président devra en
informer notre nouveau Premier ministre et demander poliment
mais sans équivoque un gel des colonies de peuplement et un
début de nouvelles négociations – cette fois pas seulement pour
gagner du temps mais pour parvenir à un accord final en 2009.
Beaucoup d’Israéliens l’en remercieront. Il
est tout-à-fait possible que notre prochain(e) Premier ministre
le remerciera aussi dans les recoins cachés de son coeur.
Le nouveau président américain agira-t-il
ainsi ? Barack Obama sera-t-il en mesure d’agir ainsi ?
Il n’y a qu’une seule réponse possible. Yes,
you can ! Oui, vous pouvez !
Article écrit le 8 novembre 2008, publié en
hébreu et en anglais le 9 novembre sur le site de Gush Shalom.
Traduit de l’anglais "Yes, You Can !" pour l’AFPS : LG / SW.
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