Quoi qu’il en soit, la scène a rappelé un
autre épisode de contact physique ayant un sens politique :
l’embrassade qui s’est produite à la rencontre de Camp
David, quand le Premier ministre Ehoud Barak a fermement poussé
Yasser Arafat dans la salle où Bill Clinton attendait debout.
Dans les deux cas, il s’agissait d’un geste
destiné à ressembler à une marque de respect pour le
dirigeant palestinien, mais c’était en réalité un acte de
violence qui - apparemment - attestait l’ignorance des
coutumes de l’autre peuple et de sa situation délicate. En
fait, l’objectif de ce geste était tout autre.
SELON le Nouveau Testament, Judas Iscariote a
embrassé Jésus afin de le désigner à ceux qui étaient venus
l’arrêter.
En apparence, un acte d’amour et d’amitié.
En fait, une condamnation à mort.
Dans le cas présent, Olmert cherchait à faire
une faveur à Abbas. Il lui a montré du respect, lui a présenté
son épouse et l’a gratifié du titre de « Monsieur le
Président ».
Il ne faudrait pas sous-estimer cela. A Oslo, ce
titre de Président a donné lieu à des batailles homériques.
Les Palestiniens insistaient pour que le chef de la future
Autorité palestinienne soit appelé « Président ».
Les Israéliens refusèrent immédiatement parce que ce titre
pouvait évoquer quelque chose comme un Etat. A la fin, on
s’est mis d’accord sur le fait que la version anglaise
utiliserait le titre arabe de « Rais » puisque cette
langue emploie le même mot pour Président
et Chairman (ce dernier terme étant utilisé
en anglais pour un président de comité ou de conseil
d’administration - ndt). Abbas, qui a signé le document pour
la partie palestinienne, ne prévoyait probablement pas que
lui-même serait le premier à qui un Premier ministre israélien
s’adresserait en l’appelant « Président ».
Mais trêve de futilités. Le plus important est
le résultat de cet événement. Après le baiser imposé, Abbas
avait besoin d’un geste israélien important pour justifier la
rencontre aux yeux de son peuple. Et d’ailleurs, pourquoi
Olmert ne ferait-il pas quelque chose de retentissant ? Par
exemple, libérer immédiatement un millier de prisonniers,
lever les centaines de barrages de Cisjordanie, ouvrir le
passage entre la Cisjordanie et la bande de Gaza ?
Aucun geste de cette sorte n’a été fait.
Olmert n’a pas libéré un seul prisonnier - aucune femme,
aucun enfant, aucun vieillard, aucun malade. Il a bien sûr
annoncé (pour la énième fois) que les barrages seraient
« allégés », mais les Palestiniens disent qu’ils
n’ont constaté aucun changement. Peut-être, ici et là, la
queue interminable à certains barrages s’est-elle un peu
raccourcie. Olmert a aussi rendu un cinquième des taxes
palestiniennes retenues (ou plutôt détournées) par le
gouvernement israélien.
Pour les Palestiniens, cela ressembla à un
nouvel échec humiliant pour leur Président : il était
allé à Canossa et avait reçu des promesses insignifiantes qui
n’ont pas été tenues.
POURQUOI Olmert a-il fait tout ce cinéma ?
L’explication naïve est politique. Le Président
Bush voulait que quelque chose bouge dans le conflit israélo-palestinien
qui puisse ressembler à un succès américain. Condoleezza Rice
a transmis l’ordre à Olmert. Olmert a été d’accord pour
enfin rencontrer Abbas. Il y eut une réunion. Un baiser fut
donné. Des promesses furent faites et immédiatement oubliées.
Les Américains, comme on le sait, ont la mémoire courte. Même
plus courte (si cela est possible) que la nôtre.
Mais il y a aussi une explication plus cynique.
Si on humilie Abbas, on renforce le Hamas. Le soutien
palestinien à Abbas dépend d’un seul facteur : sa
capacité d’obtenir des Etats-Unis et d’Israël des choses
que le Hamas ne peut pas obtenir. Les Américains et les Israéliens
aiment Abbas, donc - c’est ce qui se dit - ils lui donneront
tout ce qu’il faut : la libération massive de
prisonniers, la fin des assassinats ciblés, l’enlèvement des
monstrueux barrages, l’ouverture du passage entre la
Cisjordanie et Gaza, le démarrage de négociations sérieuses
pour la paix. Mais si Abbas ne peut rien apporter de tout cela,
que restera-t-il sinon les méthodes du Hamas ?
L’affaire des prisonniers est un bon exemple.
Rien ne préoccupe plus les Palestiniens : presque chaque
foyer palestinien a des gens en prison. Chaque famille est touchée :
un père, un frère, un fils, quelquefois une fille. Chaque
nuit, l’armée israélienne « arrête » environ
une dizaine de personnes supplémentaires. Comment les faire libérer ?
Le Hamas a une recette éprouvée :
capturer des Israéliens (dans les médias israéliens et
internationaux, les Israéliens sont « kidnappés »
alors que les Palestiniens sont « arrêtés »). Pour
le retour du soldat israélien Gilad Shalit, Olmert libérera de
nombreux prisonniers. Les Israéliens, d’après l’expérience
palestinienne, ne comprennent que le langage de la force.
Des conseillers d’Olmert ont eu une brillante
idée : donner à Abbas des centaines de prisonniers en
cadeau, sans rien demander en échange. Cela renforcerait la
position du Président palestinien et prouverait aux
Palestiniens qu’ils peuvent obtenir de nous davantage par
cette voie que par la violence. Et porterait un coup au
gouvernement Hamas, dont la chute est le but premier des
gouvernements tant d’Israël que des Etats-Unis.
Hors de question, s’est exclamé un autre
groupe de conseillers en communication d’Olmert. Comment vont
réagir les médias israéliens si des prisonniers sont libérés
avant le retour de Shalit ?
L’ennui, c’est que Shalit est détenu par le
Hamas et ses alliés, et non par Abbas. S’il est interdit de
libérer des prisonniers avant le retour de Shalit, alors toutes
les cartes sont dans les mains du Hamas. Dans ce cas, peut-être
vaudrait-il mieux parler avec le Hamas ? Impensable !
Résultat : pas de renforcement d’Abbas,
pas de dialogue avec le Hamas, rien du tout.
C’EST UNE vieille tradition israélienne :
quand il y a une alternative, nous choisissons une troisième
voie : ne rien faire.
Pour moi, l’exemple classique est l’affaire
de Jéricho. Au milieu des années 70, le roi Hussein a fait une
offre à Henry Kissinger : Israël se retirerait de Jéricho
et rendrait la ville au roi. L’armée jordanienne y hisserait
le drapeau jordanien, annonçant symboliquement que la Jordanie
est la présence arabe déterminante en Cisjordanie.
L’idée plut à Kissinger et celui-ci appela
Yigal Allon, le ministre israélien des Affaires étrangères.
Allon informa le Premier ministre, Yitzhak Rabin. Le sommet de
la direction politique - Rabin, Allon, le ministre de la Défense
Shimon Pérès - étaient déjà des partisans enthousiastes de
« l’option jordanienne », comme l’étaient leurs
prédécesseurs, Golda Meir, Moshe Dayan et Abba Eban. Mes amis
et moi qui, au contraire, prônions « l’option
palestinienne », étions une minorité marginale.
Mais Rabin rejeta catégoriquement cette offre.
Golda avait publiquement promis d’organiser un référendum ou
des élections avant de rendre ne serait-ce qu’un seul mètre
carré de territoire occupé. « Je ne vais quand même pas
organiser une élection à cause de Jéricho ! », a déclaré
Rabin.
Pas d’option jordanienne. Pas d’option
palestinienne. Rien de rien.
MAINTENANT, c’est la même chose pour la
Syrie.
De nouveau il y a deux choix. Le premier :
entamer des négociations avec Bashar al-Assad, qui fait
publiquement des ouvertures. Cela signifie être prêt à rendre
les hauteurs du Golan et à permettre aux 60.000 réfugiés
syriens de rentrer chez eux. En échange, la Syrie sunnite
pourrait très bien se détacher de l’Iran et du Hezbollah et
rejoindre le front des Etats sunnites. Comme la Syrie est à la
fois sunnite et nationaliste laïque, cela peut avoir aussi un
effet positif sur les Palestiniens.
Olmert a exigé qu’Assad se sépare de l’Iran
et cesse son aide au Hezbollah avant toute négociation. C’est
une demande ridicule, manifestement destinée à servir
d’alibi au refus du démarrage des pourparlers. Après tout,
Assad utilise le Hezbollah pour faire pression sur Israël afin
qu’il rende le Golan. Son alliance avec l’Iran a le même
objectif. Comment peut-il abandonner à l’avance les quelques
cartes qu’il détient et espérer encore arriver à quelque
chose dans les négociations ?
La proposition opposée suggérée par certains
officiers supérieurs est d’envahir la Syrie et d’y faire la
même chose que les Américains en Irak. Cela créerait
l’anarchie dans tout le monde arabe, situation qui serait
favorable à Israël. Cela améliorerait également l’image,
ternie au Liban, de l’armée israélienne et restaurerait le
« pouvoir de dissuasion » de celle-ci.
Alors, que va faire Olmert ? Rendre le
Golan ? Grands dieux non ! A-t-il besoin de se créer
des difficultés avec les 16.000 colons véhéments qui s’y
trouvent ? Sinon quoi, va-t-il commencer une guerre avec la
Syrie ? Non ! N’a-t-il pas eu déjà assez de revers
militaires ? Donc il se tournera vers la troisième
solution : ne rien faire.
Bashar al-Assad a au moins une consolation :
il ne court pas le risque d’être embrassé par Olmert.
Article publié, en hébreu et en anglais, le 6 janvier, sur le
site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « Kiss of
Death » : RM/SW