Il n’est pas sympathique du tout, ni dans sa
personnalité, ni dans ses idées - et cela est la litote de
l’année.
On peut en juger par le fait qu’un jour il a
été arrêté pour avoir battu un garçon qui s’était
querellé avec son fils.
Cette semaine, l’arrivée de Lieberman au cœur
du système politique marque le début d’un nouveau chapitre
dans les annales de l’Etat d’Israël.
LE MOMENT CHOISI n’est pas
un hasard. Au cours de ses 56 années d’existence, la démocratie
israélienne n’a jamais été à un niveau aussi bas
qu’aujourd’hui.
Aux élections d’il y a six mois, presque 40%
des électeurs n’ont pas voté - c’est le double du
pourcentage habituel.
Depuis lors, les affaires de corruption se sont
succédé. Le Président de l’Etat attend sa mise en examen
pour différentes accusations de viol et de harcèlement sexuel.
Le Premier ministre est l’objet d’une série de poursuites
pour corruption, en relation avec des milliardaires locaux et étrangers.
Deux ministres sont déjà en procès. Quant à Ariel Sharon et
sa famille, un sombre nuage d’affaires de corruption planait
sur eux quand il a eu son attaque. Il existe un sentiment général
que le groupe dirigeant en Israël est cynique et corrompu.
La corruption et le cynisme de ce groupe
s’expriment aussi dans son comportement public. Les hommes
politiques en Israël - et dans le monde entier - n’ont pas la
réputation de remplir leurs promesses électorales. Mais ici ce
phénomène a franchi un nouveau stade - on trahit ouvertement,
au su et au vu de tous. Ehoud Olmert a basé sa campagne
sur un plan spécifique et détaillé : la
"convergence". Maintenant, sans sourciller, il annonce
que ce plan a été abandonné. Il ne lui en reste : rester
au pouvoir à tout prix.
Amir Peretz a obtenu des voix en tant que
dirigeant qui allait apporter une véritable révolution
"sociale", mettre fin à l’oppression du faible et
du défavorisé, le vieux, le malade, le chômeur, et autres -
le fossé entre riches et pauvres en Israël est un des plus
profonds du monde industrialisé. Peretz a également promis
d’œuvrer pour la paix avec les Palestiniens.
Le lendemain des élections, Peretz a
ouvertement trahi ses promesses, sans vergogne. Pour servir sa
carrière personnelle, il n’a réclamé aucun ministère
social, acceptant par contre le ministère de la Défense.
Depuis lors, il a demandé l’augmentation du budget militaire
au détriment des dépenses sociales. Au lieu de la paix, il a
fait la guerre. Cette semaine, il a également trahi sa promesse
de ne pas siéger dans un gouvernement incluant Avigdor
Lieberman. Presque tous les ministres du parti travailliste sont
partenaires dans cette trahison flagrante, à l’exception
honorable d’Ofir Pines-Paz, qui a démissionné. (Quatre de
ses collègues du parti travailliste, y compris Ehoud Barak,
sont en lice pour prendre sa place.)
Le premier acte notable de l’équipe
Olmert-Peretz a été de lancer Israël dans une guerre inutile
et sans espoir. L’irresponsabilité de cette décision de déclencher
une guerre difficile et complexe n’a d’égale que
l’irresponsabilité avec laquelle la guerre elle-même a été
menée dans toutes ses phases. Pour ajouter l’insulte à la
blessure, ils ont bloqué la nomination d’une commission
d’enquête indépendante.
La guerre a laissé l’opinion dans un
sentiment de profonde détresse, en plus du dégoût provoqué
par les trahisons politiques et les affaires de corruption.
Notre démocratie apparaît aujourd’hui comme complètement
pourrie, corrompue et incompétente. Un proverbe hébreu dit que
"la brèche dans le mur appelle le voleur". La
situation actuelle appelle des forces fascistes.
Et Lieberman fait son entrée.
LES CONSEILLERS en
communication d’Olmert et de Peretz essaient de nous rassurer.
Qu’a donc Lieberman de si spécial, nous demandent-ils.
Eh bien, il prône le transfert, l’expulsion
des citoyens arabes d’Israël. Il a menacé de détruire l’Egypte
en faisant sauter le barrage d’Assouan. Il a demandé l’exécution
des membres de la Knesset arabes israéliens pour avoir rencontré
des dirigeants syriens et du Hamas. Et alors ? Rehavan
Zeevi, dont la mémoire a été honorée cette semaine par une
session commémorative spéciale de la Knesset, avait bien
proposé le nettoyage ethnique, et le général Effi Eytam, chef
du parti d’Union nationale, utilise le même langage.
On ne devrait pas permettre à une telle
personne d’entrer au gouvernement ? Pourquoi pas ?
Après tout, Lieberman a déjà été membre du gouvernement,
tout comme Zeevi et Eytam.
Cet argument ne tient pas. Le Lieberman qui
avait rejoint le gouvernement Sharon il y a cinq ans représentait
un groupe marginal de nouveaux immigrants qui n’était pas
pris au sérieux. Sharon était un dirigeant fort, et ses
ministres comptaient peu. Mais le Lieberman qui a rejoint le
gouvernement Olmert, c’est tout autre chose : le
dirigeant d’un parti fort qui devient de plus en plus fort,
sous un Premier ministre qui est un petit fonctionnaire de parti
dont presque tout le monde souhaite le départ.
Le parti de Lieberman est tout à fait différent
de l’artificiel parti Kadima et du parti travailliste en décomposition.
Il est organisé de façon militaire, avec Lieberman comme
leader unique et incontesté. Il rassemble la plupart des
immigrants de l’ex-Union soviétique et il s’étend également
à d’autres communautés. Il en appelle aux pauvres et aux
opprimés. Il ressemble au parti bolchevique que Lieberman a
connu jeune homme en Union soviétique. (On pourrait dire :
bolchevisme moins marxisme égale fascisme).
Quand le système démocratique inspire le mépris,
et quand l’opinion que "tous les hommes politiques sont
des escrocs" et que "le système est pourri jusqu’au
trognon" gagne du terrain, une telle personne est un vrai
danger pour la démocratie.
UNE VIEILLE maxime dit qu’Israël
ne peut satisfaire que deux de ses trois désirs : être un
Etat juif, être un Etat démocratique et se maintenir sur tout
le territoire entre la Méditerranée et le Jourdain. Il peut se
maintenir sur tout le territoire et être démocratique - mais
alors il ne sera pas un Etat juif. Il peut se maintenir sur tout
le territoire et être juif - mais alors il ne sera pas un Etat
démocratique. Il peut être un Etat juif et démocratique -
mais alors il ne peut pas se maintenir sur tout le territoire.
Ceci a été la base de la politique israélienne
depuis le tout début. Le principal argument pour la "séparation"
de Sharon et la "convergence" d’Olmert était
exactement dans cette logique : pour rester juif et démocratique,
Israël doit abandonner les parties des territoires palestiniens
occupés densément peuplées d’Arabes.
L’extrême droite a une réponse qui ressemble
à l’œuf de Colomb : les trois buts peuvent bien sûr être
atteints. La solution, c’est le nettoyage ethnique :
l’expulsion de l’ensemble de la population arabe.
C’est difficile à mettre en œuvre dans une
système démocratique. Donc, ce but signifie presque
automatiquement qu’il doit y avoir un "leader fort".
Ce qui signifie : une dictature franche ou déguisée.
En général on ne le dit pas ouvertement, mais
par des allusions accompagnées d’un clin d’œil. Lieberman
non plus ne le dit pas si ouvertement. Mais si on écoute
attentivement ce qu’il dit, on peut en tirer la conclusion
soi-même.
POUR L’HEURE, le phénomène
le plus déprimant est le manque de réaction des gens.
On pouvait s’attendre à la trahison du parti
travailliste. Amir Peretz avait bien sûr juré qu’il ne siégerait
jamais dans un gouvernement avec Lieberman, mais, pour rester
ministre, il est tout à fait prêt à vendre ses principes. Il
ne faut pas non plus s’attendre à une grande protestation de
la part du Meretz depuis que Yossi Beilin a eu son fameux déjeûner
avec Lieberman où il a fait son éloge et celui de ses harengs.
Mais l’opinion publique ne semble pas choquée
non plus. Ici et là des articles ont paru mais ils ne
soulignent pas le danger existentiel menaçant la République
israélienne. Même les Arabes d’Israël, dont l’existence même
est menacée par Lieberman, ne se sont pas vraiment mobilisés
pour protester. Le "Jour de la terre" de 1976, quand
les citoyens arabes ont manifesté contre l’expropriation de
leurs terres, il en était tout autrement. De même qu’en
octobre 2000, quand les Arabes israéliens ont protesté contre
une menace sur la mosquée al-Aqsa.
Quelle est la raison d’une si faible réaction,
qui ressemble à celle des derniers jours de la République de
Weimar ?
Il y a un dédain croissant pour le système démocratique.
Il y a une fatigue générale après les chocs de l’année
dernière. On se retire dans son univers privé. Pour les
"gens de la rue", il est difficile d’imaginer les
dangers. Il et elle sont tellement habitués à la démocratie
qu’ils ne peuvent imaginer ce que signifie vivre sans elle.
Ils sont sûrs que "cela ne peut pas arriver ici".
Peut-être ont-ils raison ?
A la fin du XIXe siècle, il y avait un général
français appelé Georges Boulanger. Tout le monde s’attendait
à ce qu’il fasse un coup d’Etat militaire à un moment ou
à un autre. Mais le général hésitait, remettait sans cesse
le coup d’Etat dont on parlait tant, jusqu’à ce que
quelqu’un lui jette à la face : "Général, à
votre âge, Napoléon était déjà mort !" On a dit
que cela a rompu le charme, les autorités ont commencé à agir
et le général s’est enfui à l’étranger.
Peut-être que Lieberman se transformera aussi
en épouvantail. Mais je ne le parierais pas si les Israéliens
ne se réveillent pas à temps.
Article publié en hébreu et en anglais le 4 novembre sur le
site de Gush Shalom.
Traduit de l’anglais "Lovable
Man" : RM/SW