Opinion
Révélations sur
l'assassinat de Rafiq Hariri
Thierry Meyssan
Cet article est
initialement paru dans Odnako
du 29 novembre 2010
Moscou, le lundi 29 novembre 2010
Alors que la presse occidentale annonce l’imminente
inculpation de dirigeants du Hezbollah par le Tribunal spécial
pour le Liban, la revue russe Odnako remet en cause
l’ensemble de l’enquête réalisée par les Nations Unies. Selon
Thierry Meyssan, l’ancien Premier ministre libanais Rafiq Hariri
aurait été assassiné avec une arme fournie par l’Allemagne.
L’ancien procureur allemand et premier responsable de l’enquête
onusienne, Detlev Mehlis, aurait falsifié un indice pour masquer
la responsabilité de son pays. Ces révélations embarrassent le
Tribunal et renversent la donne au Liban.
Les multiples conflits du Proche-Orient se cristallisent
désormais autour du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). La
paix et la guerre dépendent de lui. Pour les uns, il doit
permettre de démanteler le Hezbollah, de soumettre la Résistance
et d’instaurer la Pax Americana. Pour les autres, il
bafoue le droit et la vérité pour assurer le triomphe d’un
nouvel ordre colonial dans la région.
Ce tribunal a été créé, le 30 mai 2007, par la Résolution
1757 du Conseil de sécurité pour juger les commanditaires
supposés de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic
Hariri. Dans le contexte de l’époque, cela signifiait ni plus,
ni moins, juger les présidents syrien et libanais en exercice
Bachar el-Assad et Emile Lahoud, les bêtes noires des
néoconservateurs. Cependant il s’avéra que cette piste ne
reposait sur aucun élément concret et qu’elle avait été
alimentée par de faux témoins. N’ayant plus personne à juger, le
Tribunal aurait pu disparaître dans les limbes de la
bureaucratie lorsqu’un coup de théâtre le plaça à nouveau au
cœur des conflits politiques régionaux. Le 23 mai 2009, le
journaliste atlantiste Erich Follath révéla dans le Spiegel
Online que le procureur s’apprêtait à inculper de nouveaux
suspects : des dirigeants militaires du Hezbollah. Depuis 18
mois, son secrétaire général, Hassan Nasrallah clame l’innocence
de son parti. Il affirme que cette procédure vise en réalité à
décapiter la Résistance pour offrir la région à l’armée
israélienne. De son côté, l’administration états-unienne se pose
soudain en défenseur du droit et assure que nul ne saurait se
soustraire à la Justice internationale.
Quoi qu’il en soit, la mise en accusation —que tous
s’accordent à dire imminente— de leaders chiites pour
l’assassinat d’un leader sunnite est de nature à enflammer la
fitna, c’est-à-dire la guerre civile musulmane, plongeant la
région dans de nouveaux soubresauts sanglants.
En visite officielle à Moscou, les 15 et 16 novembre, Saad
Hariri —actuel Premier ministre et fils du défunt— a répété que
la politisation du tribunal risquait d’enflammer une nouvelle
fois son pays. Le président Medvedev lui a répondu que la Russie
voulait que la Justice passe et réprouvait tout effort pour
discréditer, affaiblir ou retarder le travail du tribunal. Cette
position de principe repose sur la confiance accordée a
priori par le Kremlin au TSL. Or celle-ci sera sûrement
ébranlée par les révélations d’Odnako.
En effet, nous avons souhaité faire le point sur l’assassinat
de Rafiq Hariri. Les éléments que nous avons découvert font
apparaître une nouvelle piste dont on se demande pourquoi elle
n’a jamais été explorée jusqu’ici. Au cours de notre longue
enquête, nous avons rencontré de nombreux protagonistes, trop
sans doute, de sorte que nos investigations se sont ébruitées et
ont affolé ceux pour qui la piste de la Résistance armée
libanaise est une bonne aubaine. Tentant de nous intimider, le
Jerusalem Post a lancé une attaque préventive, le 18
octobre, sous la forme d’un long article consacré à notre
travail. De manière purement diffamatoire, il y accuse l’auteur
de cet article d’être payé un million de dollars par l’Iran pour
disculper le Hezbollah.
Venons-en aux faits, le convoi de Rafiq Hariri a été attaqué
à Beyrouth le 14 février 2005. L’attentat à fait vingt-trois
morts et une centaine de blessés. Un rapport préliminaire
diligenté par le Conseil de sécurité souligne les réactions peu
professionnelles des policiers et magistrats libanais. Pour y
pallier le Conseil missionne ses propres enquêteurs et leur
fournit des moyens très importants dont le Liban ne dispose pas.
Dès le départ de ces investigations, il a été admis que
l’attentat avait été perpétré par un kamikaze qui conduisait un
camionnette bourrée d’explosifs.
La commission des Nations unies ayant été créée pour apporter
le professionnalisme qui manquait aux Libanais, on s’attend à ce
qu’elle ait suivi scrupuleusement les procédures criminelles
classiques. Or, il n’en est rien. L’analyse de la scène du
crime, en se basant sur sa topographie qui est intacte et sur
les photos et vidéos du jour, n’a pas été réalisée en détail.
Les victimes n’ont pas été exhumées et autopsiées. Pendant
longtemps, rien n’a été entrepris pour vérifier le modus
operandi. Après avoir écarté l’hypothèse d’une bombe enfouie
dans le sol, les enquêteurs ont considéré comme certaine la
version de la camionnette sans la vérifier.
Pourtant, cette version est impossible : chacun peut observer
sur la scène du crime un profond et vaste cratère qu’une
explosion en surface ne peut creuser. Devant l’insistance des
experts suisses qui refusent d’avaliser la version officielle,
le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) a procédé à une
reconstitution à huis clos, le 19 octobre dernier. Elle ne s’est
pas tenue au Liban, ni même aux Pays-Bas où siège le TSL, mais
en France, un des principaux Etats à financer le Tribunal. Les
bâtiments de la scène du crime y ont été reconstruits et de la
terre de Beyrouth y a été transportée. Le convoi a été
reconstitué y compris avec une voiture blindée. Il s’agissait de
démontrer que la hauteur des immeubles en béton avait confiné
l’explosion, de sorte que le souffle avait pu creuser le
cratère. Les résultats de cette coûteuse expérience n’ont pas
été divulgués.
Ce qui frappe en regardant les photos et les vidéos prises
juste après l’attentat, c’est d’abord l’incendie. Partout des
carcasses de voiture et des objets de toutes sortes brûlent.
Puis, ce sont les corps des victimes : ils sont carbonisés d’un
côté et intacts de l’autre. C’est très étonnant et cela n’a rien
à voir avec ce que provoquent des explosifs classiques.
La théorie d’un mélange de RDX, PETN et TNT dans la
camionnette du kamikaze n’explique pas ces dégâts.
Si l’on observe de près les photos du cadavre de Rafiq
Hariri, on remarque d’étranges détails : sa riche montre en or
massif a fondu sur son poignet, au contraire, le col en tissu
raffiné de sa chemise de luxe est intact autour de son cou.
Que s’est-il donc passé ?
L’explosion a dégagé un souffle d’une chaleur
exceptionnellement intense et d’une durée exceptionnellement
brève. Ainsi, les chairs exposées au souffle ont été
instantanément carbonisées, tandis que l’envers des corps n’a
pas été brûlé.
Les objets à forte densité (comme la montre en or) ont
absorbé cette chaleur et ont été détruits. Au contraire, les
objets à faible densité (comme le linge fin du col de chemise)
n’ont pas eu le temps d’absorber la chaleur et n’ont donc pas
été touchés.
La dépouille de Rafiq Hariri
Sur les vidéos, on voit également que des membres de certains
cadavres ont été sectionnés par l’explosion. Curieusement, les
coupes sont nettes, comme s’il s’agissait de statues de
calcaire. On ne voit pas d’os brisés et proéminents, ni de
chairs arrachées. C’est que l’explosion a absorbé l’oxygène et
déshydraté les corps qui sont devenus friables. Plusieurs
témoins, présents à proximité de l’attentat, ont d’ailleurs fait
état de troubles respiratoires dans les heures qui suivirent. A
tort, les autorités ont interprété cela comme la somatisation
d’un traumatisme psychologique.
Ces constatations sont le b. a.-ba de toute enquête
criminelle. Il fallait commencer par cela, mais elles ne
figurent pas dans les rapports des « professionnels » au Conseil
de sécurité.
Lorsque nous avons demandé à des spécialistes militaires
quels explosifs pouvaient provoquer ces dégâts, ils ont évoqué
un nouveau type d’arme qui fait l’objet de recherches depuis des
décennies et de compte rendus dans des revues scientifiques. En
combinant des connaissances nucléaires et nanotechnologiques, on
parvient à créer une explosion dont on contrôle précisément la
puissance. On programme l’arme pour qu’elle détruise tout dans
un périmètre donné, calculé au centimètre près.
Toujours selon nos spécialistes militaires, cette arme
provoque aussi d’autres dégâts : elle exerce une forte pression
sur la zone de l’explosion. Lorsque celle-ci s’interrompt, les
objets les plus lourds sont projetés vers le haut. Ainsi, des
voitures se sont élevées dans les airs.
Un détail ne trompe pas : cette arme utilise une nano
quantité d’uranium enrichi dont les radiations sont mesurables.
Or, un passager de la voiture blindée de Rafiq Hariri a survécu.
L’ancien ministre Bassel Fleyhan a été transporté dans un
prestigieux hôpital militaire français pour y être soigné. Les
médecins ont constaté avec étonnement qu’il avait été en contact
avec de l’uranium enrichi. Personne n’a fait le lien avec
l’attentat.
Techniquement, cette arme prend la forme d’un petit missile
de quelques dizaines de centimètres de long. Il doit être tiré
depuis un drone. En effet, plusieurs témoins ont assuré avoir
entendu un aéronef survolant la scène du crime. C’est pourquoi
les enquêteurs ont demandé aux Etats-Unis et à Israël qui
disposent de satellites d’observation positionnés en permanence
de leur transmettre les clichés dont ils disposent. Les
Etats-Unis avaient également déployé des avions AWACS sur le
Liban ce jour-là. Ces enregistrements permettraient de vérifier
la présence d’un drone et peut-être même de suivre son trajet.
Mais Washington et Tel-Aviv —qui ne cessent d’exiger la
coopération judiciaire de tous avec le TSL— ont refusé ce
service.
Le Hezbollah a intercepté et publié
des vidéos des drones israéliens effectuant des repérages
des habitudes de Rafiq Hariri et de la scène du crime.
Lors d’une conférence de presse, le 10 août dernier, Hassan
Nasrallah a projeté des vidéos tournées selon lui par des drones
israéliens et interceptées par son organisation. Ils auraient
observé durant des mois les déplacements de Rafiq Hariri, avant
de concentrer leur surveillance sur le virage où l’attentat a eu
lieu. Tel-Aviv aurait donc réalisé les repérages préalables à
l’assassinat. Ce qui, ainsi que le souligne M. Nasrallah, ne
veut pas dire qu’il l’ait perpétré.
Qui donc a tiré le missile ?
C’est là que les choses se compliquent. Selon les experts
militaires, en 2005, seule l’Allemagne était parvenue à
maîtriser cette nouvelle technologie. C’est donc Berlin qui
aurait fourni et programmé l’arme du crime.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi l’ancien procureur
berlinois Detlev Mehlis —un magistrat très controversé au sein
de sa profession— a tenu à présider la Commission d’enquête
onusienne. Il est en effet notoirement lié aux services secrets
allemands et états-uniens. Chargé en 1986 d’élucider l’attentat
contre la discothèque berlinoise La Belle, il n’avait pas hésité
à masquer les implications israélienne et états-unienne pour
accuser mensongèrement la Libye et justifier le bombardement du
palais de Mouammar Khadafi par l’US Air Force. Au début des
années 2000, M. Mehlis a été grassement rémunéré comme chercheur
par le Washington Institute for Near East Policy (le think-tank
du lobby pro-israélien AIPAC) et par la Rand Corporation (le
think-tank du complexe militaro-industriel états-unien). Autant
d’éléments qui jettent un doute sur son impartialité dans
l’affaire Hariri et auraient dû le faire récuser.
Mehlis était assisté du commissaire Gehrard Lehmann. Cet
officier est lui aussi un agent notoire des services secrets
allemands et états-unien. Il a été reconnu formellement par un
témoin comme participant au programme d’enlèvement, de
séquestration et de tortures, mis en place en Europe par
l’administration Bush. Son nom est cité dans le rapport ad
hoc du Conseil de l’Europe. Cependant, il a échappé à toute
poursuite judiciaire grâce à un alibi aussi solide que peu
crédible, fourni part ses collègues de la police allemande.
Mehlis et Lehmann ont promu la thèse du kamikaze et de sa
camionnette bourrée d’explosifs afin d’écarter toute
investigation sur l’arme allemande qui a servi à commettre le
crime.
Des échantillons de terre, ont été prélevés sur la scène du
crime. Après avoir été mélangés, ils ont été divisés en trois
bocaux qui ont été envoyés à trois laboratoires différents. Les
deux premières analyses n’ont trouvé aucune trace d’explosif. Le
troisième bocal a été pris par Mehlis et Lehmann, et envoyé par
leur soin au troisième laboratoire. Celui-ci y a trouvé les
traces d’explosifs recherchés. En principe, si l’on décide de
recourir à trois experts judiciaires, c’est qu’en cas de
désaccord entre eux, on se reportera à l’avis majoritaire. Que
nenni ! Mehlis et Lehmann ont violé les protocoles. Ils ont
considéré que seul leur bocal était fiable et ont emmené le
Conseil de sécurité sur une fausse piste.
Le caractère profondément malhonnête des investigations du
duo Mehlis-Lehman n’a plus besoin d’être démontré. Leurs
successeurs l’ont reconnu à demi-mots et ont annulé des pans
entiers de procédure.
Parmi leurs manipulations, la plus célèbre est celle des faux
témoins. Cinq individus ont prétendu avoir été témoins de la
préparation de l’attentat et ont mis en cause les présidents
Bachar el-Assad et Emile Lahoud. Alors que ces imputations
faisaient chauffer le chaudron de la guerre, leurs avocats
démontrèrent qu’ils mentaient et l’accusation se dégonfla.
Le président de la Commission
d’enquête de l’ONU, Detlev Mehlis, a violé les règles de
procédure pénale,
fabriqué de fausses preuves et utilisé de faux témoignages, pour
disculper l’Allemagne et accuser la Syrie.
Sur la base de ces faux témoignages, Detlev Mehlis arrêta, au
nom de la Communauté internationale, quatre généraux libanais et
les fit incarcérer durant quatre ans. Pénétrant avec ses
cow-boys au domicile de chacun, sans mandat de la justice
libanaise, il interpella également les membres de leur
entourage. Avec ses assistants —qui s’expriment entre eux en
hébreu— il tenta de manipuler les familles. Ainsi, au nom de la
Communauté internationale, il présenta des photos truquées à
l’épouse d’un des généraux pour le convaincre que son mari non
seulement lui cachait son implication dans le meurtre, mais la
trompait. Simultanément, il tenta une manoeuvre similaire auprès
du fils du « suspect », mais cette fois pour essayer de le
convaincre que sa mère était une femme légère et que son père,
désespéré, venait de sombrer dans une sorte de folie meurtrière.
L’objectif était de provoquer un crime d’honneur au sein de la
famille et de ternir ainsi l’image de gens respectables et
respectés.
Plus incroyable encore, Lehmann proposa à un des quatre
généraux incarcérés de le libérer s’il acceptait de porter un
faux témoignage contre un dirigeant syrien.
Par ailleurs, le journaliste allemand Jürgen Cain Külbel mit
en évidence un détail troublant : il était impossible de
provoquer l’explosion avec une télécommande ou d’utiliser une
balise sur la cible sauf à désactiver le puissant système de
brouillage dont le convoi de Rafiq Hariri était équipé. Un
système parmi les plus sophistiqués au monde, fabriqué… en
Israël.
Külbel fut sollicité par un militant pro-palestinien connu,
le professeur Said Dudin, pour promouvoir son livre. Mais Dudin,
en multipliant les déclarations outrancières, s’appliqua surtout
à le saboter. Külbel, ancien officier de police criminelle
d’Allemagne de l’Est, ne tarda pas à découvrir que Dudin était
connu de longue date pour être un agent de la CIA infiltré dans
la gauche allemande. Il publia d’anciens rapports est-allemands
attestant du fait et fut alors condamné pour divulgation
illégale de documents et brièvement incarcéré ; tandis que Dudin
s’installait à l’ambassade d’Allemagne à Beyrouth et tentait
d’infiltrer les familles des quatre généraux.
Passé inaperçu au Proche-Orient le rôle de l’Allemagne dans
cette région doit être souligné. La chancelière Angela Merkel a
envoyé un contingent très important pour participer à la Force
intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) après la guerre
entreprise par Israël contre le pays du Cèdre à l’été 2006. Les
2 400 soldats allemands contrôlent de dispositif maritime pour
empêcher l’approvisionnement en armes de la Résistance via la
Méditerranée. A cette occasion, Mme Merkel a déclaré que la
mission de l’armée allemande était de défendre Israël. Ce
discours a provoqué un vent de fronde parmi les officiers. Par
centaines, ils lui ont écrit pour lui rappeler s’être engagés
pour défendre leur patrie et non un Etat étranger, fusse t-il
allié.
Fait sans précédent, le 17 mars 2008 à Jérusalem et le 18
janvier 2010 à Berlin, les gouvernements allemand et israélien
ont tenu un conseil des ministres commun. Ils y ont adopté des
programmes divers, notamment en matière de défense. A ce stade,
il n’y a plus beaucoup de secrets entre Tsahal et la Bundeswehr.
L’enquête de Detlev Mehlis a sombré non seulement dans le
ridicule des faux témoins, mais dans l’illégalité de
l’arrestation des quatre généraux. Au point du le Groupe de
travail sur les détentions arbitraire du Conseil des droits de
l’homme de l’ONU est intervenu pour condamner fermement cet
excès de pouvoir.
Toutefois, l’opprobre qui frappe le travail de M. Mehlis ne
doit pas éclabousser le Tribunal spécial pour le Liban qui n’est
aucunement responsable de ses manipulations. Mais, là encore,
les choses se compliquent. La crédibilité du TSL dépend de sa
capacité à réprimer en premier lieu tous ceux qui ont tenté de
masquer la vérité et d’accuser mensongèrement les présidents
Bachar el-Assad et Emile Lahoud pour provoquer une guerre. Or,
le Tribunal refuse de juger les faux témoins, donnant
l’impression qu’il couvre les manipulations de la période Mehlis
et poursuit des objectifs politiques similaires (cette fois
contre le Hezbollah, peut-être demain contre d’autres). Pis, le
Tribunal refuse de remettre, à Jamil Sayyed (un des quatre
généraux illégalement emprisonné), les procès-verbaux d’audition
des personnes qui l’ont accusé, lui interdisant ainsi de
demander réparation et donnant l’impression qu’il couvre quatre
années de détention arbitraire.
De manière plus prosaïque, le Tribunal fuit ses
responsabilités. D’un côté, il doit juger les faux témoins pour
dissuader de nouvelles manipulations et pour manifester son
impartialité ; d’un autre il ne veut pas se lancer dans une
opération « mains propres » au cours de laquelle il lui faudrait
peut-être arrêter le procureur Mehlis. Cependant, les
révélations d’Odnako sur la piste allemande rendent cette
stratégie intenable. D’autant qu’il est déjà bien tard : le
général Jamil Sayyed a déposé une plainte en Syrie et un juge
d’instruction syrien a déjà inculpé le procureur Detlev Mehlis,
le commissaire Gerhard Lehman et les cinq faux témoins. On
imagine la confusion qui s’abattra sur le TSL si la Syrie saisit
Interpol pour les faire arrêter.
De même que la commission Mehlis devait apporter le
professionnalisme qui manquait aux forces de l’ordre libanaises,
de même le TSL devait apporter l’impartialité qui risquait de
faire défaut aux juridictions libanaises. On est loin du compte
et ceci soulève la question de la légitimité de cette
institution.
Kofi Annan souhaitait que le Tribunal pour le Liban ne soit
pas une juridiction internationale, mais un tribunal national
libanais à caractère international. Il aurait été régi par le
droit libanais tout en étant composé pour moitié de juges
internationaux. Cela n’a pas été possible car la négociation a
tourné court. Ou plutôt, un accord a été trouvé avec le
gouvernement libanais de l’époque, présidé par Fouad Siniora,
l’ancien fondé de pouvoir des entreprises Hariri, mais n’a pas
été ratifié ni par le Parlement, ni par le président de la
République. Du coup, cet accord a été avalisé unilatéralement
par le Conseil de sécurité (Résolution 1757 du 30 mai 2007). Par
conséquent, le TSL est hybride et fragile.
Ainsi que l’a précisé Kofi Annan, ce tribunal n’est
comparable à aucun des tribunaux mis en place jusqu’ici par les
Nations Unies. « Il n’est pas un organe subsidiaire de l’ONU, ni
un élément de l’appareil judiciaire libanais », c’est tout juste
« un organe conventionnel » entre l’exécutif des Nations Unies
et l’exécutif libanais. Si l’on se réfère à l’exigence
internationale de séparation des pouvoirs et d’indépendance de
la Justice face à l’Exécutif, on ne peut pas considérer le TSL
comme un véritable tribunal, juste comme une commission
disciplinaire conjointe des exécutifs libano-onusiens. Quelque
soient ses décisions, elles seront donc frappées de suspicion.
Pis, à tout moment, n’importe quel gouvernement libanais peut
y mettre fin, puisque l’accord n’ayant pas été ratifié
n’engageait que l’ancien gouvernement. Du coup, l’actuel
gouvernement de coalition libanais s’est transformé en champ de
bataille entre partisans et adversaires du tribunal. Tentant de
préserver la stabilité gouvernementale, le président de la
République, Michel Sleimane, dissuade semaine après semaine le
Conseil des ministres de passer au vote sur toute question
relative au TSL. Ce barrage ne tiendra pas éternellement.
Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, la suspicion
atteint maintenant le président du TSL, Antonio Cassese. Ce
spécialiste réputé du droit international fut président du
Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie. Or M. Cassese est un
fervent partisan de la colonisation juive de la Palestine. Ami
personnel d’Elie Wiesel, il a reçu et accepté un prix
honorifique de sa main. Il aurait donc dû se récuser et
démissionner lorsque Hassan Nasrallah a révélé que des drones
israéliens avaient repéré durant des mois les habitudes de la
victime et la scène du crime.
Selon le président du Tribunal
spécial pour le Liban, Antonio Cassese, la Résistance armée en
Palestine,
Liban, Irak et Afghanistan doit être jugée pour « terrorisme ».
Plus grave, le juge Cassese incarne une conception du droit
international qui fait clivage au Proche-Orient. Bien qu’il ait
retiré ce point de son curriculum vitae officiel, il participa
en 2005 aux négociations entre les Etats membres de l’Union
européenne et ceux de la Méditerranée (« Processus de
Barcelone »). Sa définition du terrorisme bloqua les
discussions. Selon lui, le terrorisme est exclusivement le fait
d’individus ou de groupes privés, jamais d’Etats. Il s’ensuit
que la lutte contre une armée d’occupation ne saurait être
considérée comme de la « résistance », mais comme du
« terrorisme ». Dans le contexte local, cette position juridique
relève de l’ordre colonial et disqualifie le TSL.
Les méthodes du Tribunal spécial ne diffèrent guère de celles
de la Commission Mehlis. Ses enquêteurs ont collecté des
fichiers de masse : sur les étudiants libanais, les
bénéficiaires de la Sécurité sociale, les abonnés d’Electricité
du Liban et de l’Office des eaux. Le 27 octobre, ils ont même
tenté, hors de la présence de magistrats libanais, de s’emparer
par la force des dossiers médicaux d’une clinique gynécologique
fréquentée par les épouses de membres du Hezbollah. Toutes ces
investigations sont évidemment sans lien avec l’assassinat de
Rafiq Hariri. Tout porte les Libanais à croire que ces
informations sont destinées à Israël dont le TSL n’est à leurs
yeux qu’une simple émanation.
Tous ces problèmes avaient été parfaitement anticipés par le
président Poutine qui avait vainement proposé, en 2007, une
autre rédaction de la résolution instituant le Tribunal spécial.
L’ambassadeur Vitaly Churkin avait dénoncé les « lacunes
juridiques » du système. Il s’était indigné que le Conseil de
sécurité menace de recourir à la force (Chapitre VII) pour créer
unilatéralement cet « organe conventionnel ». Il avait souligné
que le Tribunal devait œuvrer à la réconciliation des Libanais,
mais était conçu de sorte qu’il les opposerait un peu plus. En
définitive, la Russie — comme la Chine— avait refusé d’approuver
la Résolution 1757.
Reste que la vérité émerge peu à peu. Les interceptions de
vidéos de drones israéliens, rendues publiques par le Hezbollah,
montrent une préparation israélienne du crime. Les faits révélés
par Odnako montrent l’usage d’une arme allemande
sophistiquée. Le puzzle est presque complet.
Source
Odnako (Fédération de Russie)
Hebdomadaire d’information générale. Rédacteur en chef : Mikhail
Léontieff.
Thierry Meyssan,
Analyste
politique français, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for
Peace. Il publie chaque semaine des chroniques de politique
étrangère dans la presse arabe et russe. Dernier ouvrage
publié :
L’Effroyable imposture 2, éd. JP Bertand (2007).
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