Guerre médiatique
Mensonges et
vérités sur la Syrie
Thierry Meyssan
Formé à
Paris sous l’égide de la France, le
Conseil national syrien entend renverser
le régime
du président Bachar el-Assad. Il est
présidé par Burhan Ghalioun,
professeur de sociologie à l’université
de la Sorbonne (ici avec Alain Juppé, le
23 novembre 2011)
Damas (Syrie),
dimanche 27 novembre 2011
Depuis huit mois,
les dirigeants occidentaux et certains
médias publics font campagne pour une
guerre en Syrie. Les accusations d’une
extrême gravité qu’ils portent contre
Bachar el-Assad intimident ceux qui
s’interrogent sur le bien-fondé d’une
nouvelle intervention militaire. Tous ?
non, car —avec l’appui du Réseau
Voltaire— certains sont venus vérifier
sur place et ont pu mesurer l’ampleur de
la propagande de l’OTAN. Thierry Meyssan
fait le point sur l’état de la guerre
médiatique.
n 1999, lors de la
guerre du Kosovo, le Réseau Voltaire
s’indigna de ce que la France puisse
entrer dans le conflit aux côtés de
l’OTAN sans vote de l’Assemblée
nationale avec la complicité passive des
présidents de groupes parlementaires.
Nous considérâmes que le refus du
président de la République et du Premier
ministre d’organiser un authentique
débat augurait de l’opacité avec
laquelle cette guerre serait conduite.
Aussi, nous prîmes l’initiative de
publier un bulletin quotidien sur le
conflit. Les sites internet du
gouvernement serbe ayant été
immédiatement détruits par l’Alliance
atlantique, nous ne pouvions avoir accès
à la version serbe des événements. À
défaut, nous avons souscrit des
abonnements aux agences de presse de la
région (croate, bosniaque, grecque,
chypriote, turc, hongroise etc. ). Tout
au long du conflit, nous avons présenté
chaque jour un résumé de la conférence
de presse de l’OTAN à Bruxelles et un
résumé du témoignage des journalistes
des pays riverains ; des pays ayant
parfois de lourds contentieux avec la
Serbie, mais dont les gouvernements
partageaient entre eux une même
narration des événements. Au fur et à
mesure du temps qui passait, la version
de l’OTAN et celle des journalistes
locaux s’écartèrent jusqu’à ne plus
avoir aucun point commun. À la fin, il
s’agissait de deux histoires
radicalement différentes. Nous n’avions
aucun moyen de savoir qui mentait et si
l’une des deux sources disait vrai. Nos
lecteurs avaient l’impression de devenir
schizophrènes, d’autant que les médias
ouest-européens ne relayaient que la
version de l’OTAN et que, par
conséquent, nos lecteurs n’étaient
confrontés aux deux versions parallèles
qu’en nous lisant. Nous avons continué
cet exercice de style durant les trois
mois de combats. Lorsque les armes se
sont tues et que des confrères et des
amis ont pu se rendre sur place, ils ont
constaté avec stupeur qu’il n’y avait
pas eu « de la propagande des deux
côtés ». Non : la version de l’OTAN
était entièrement fausse, tandis que
celle des journalistes locaux était
entièrement vraie. Dans les mois qui
suivirent, des rapports parlementaires
dans plusieurs États membres de
l’Alliance établirent les faits.
Plusieurs ouvrages parurent sur la
méthode mise au point par le conseiller
en communication de Tony Blair qui
permit à l’OTAN de manipuler la totalité
de la presse occidentale : le « story
telling ». Il est possible
d’intoxiquer la totalité des
journalistes occidentaux et de leur
masquer les faits, si on leur raconte un
conte pour enfants, à la condition de ne
jamais interrompre la narration, de la
charger de références réveillant de
lointaines émotions, et de lui conserver
sa cohérence.
Je n’avais pas eu le réflexe de
courir en Serbie avant la guerre et je
n’ai pas pu le faire lorsque les armes
parlèrent. Par contre, ami lecteur, je
suis aujourd’hui en Syrie où j’ai pris
le temps d’enquêter et où j’écris cet
article. C’est en pleine connaissance de
cause que je peux affirmer que la
propagande de l’OTAN est aujourd’hui en
action à propos de la Syrie comme elle
le fut à propos de la Serbie.
L’Alliance a commencé à raconter une
histoire déconnectée de la réalité, dont
le but est de justifier une « intervention
militaire humanitaire », selon
l’oxymore blairien. Le parallèle
s’arrête là : Slobodan Milosevic était
un criminel de guerre que l’on cherchait
à présenter comme un criminel contre
l’humanité pour pouvoir dépecer son
pays ; Bachar el-Assad est un résistant
à l’impérialisme et au sionisme qui a
soutenu le Hezbollah lorsque le Liban
était attaqué et soutient le Hamas et le
Jihad islamique dans leur quête pour la
libération de la patrie palestinienne.
Quatre mensonges de
l’OTAN
1.
Selon l’OTAN et ses alliés du Golfe, des
manifestations de masse auraient lieu
depuis huit mois en Syrie pour réclamer
plus de libertés et le départ du
président Bachar el-Assad.
C’est faux. Il y a bien eu, dans
quelques villes des manifestations
contre le président Bachar el-Assad à
l’appel de prédicateurs saoudiens et
égyptiens s’exprimant sur Al-Jazeera,
mais elles n’ont rassemblé au total, au
grand maximum, que 100 000 personnes.
Elles ne réclamaient pas plus de
libertés, mais l’instauration d’un
régime islamique. Elles exigeaient le
départ du président el-Assad, non pas à
cause de sa politique, mais parce que
ces manifestants se réclament d’un
courant sectaire du sunnisme, le
takfirisme, et accusent Bachar el-Assad
d’être un hérétique (il est alaouite)
usurpant le pouvoir dans un pays
musulman qui, selon eux, ne peut être
gouverné légitimement que par un sunnite
de leur école théologique.
2.
Selon l’OTAN et ses alliés du Golfe, le
« régime » aurait répondu en dispersant
les foules par des tirs à balles
réelles, faisant au moins 3 500 morts
depuis le début de l’année.
C’est faux. D’abord, il ne peut pas y
avoir de répression de manifestations
qui n’ont pas existé. Ensuite, dès le
début des événements, les autorités ont
compris que l’on cherchait à provoquer
des affrontements confessionnels dans un
pays où la laïcité est la colonne
vertébrale de l’État depuis le VIIIe
siècle. Le président Bachar el-Assad a
donc interdit aux forces de sécurité,
polices et armée, de faire usage d’armes
à feu dans toute circonstance où des
civils pourraient être blessés. Il
s’agit d’empêcher que des blessés, voire
des morts, de telle ou telle confession,
soient instrumentés pour justifier une
guerre de religion. Cette interdiction
est respectée par les forces de sécurité
au péril de leur vie, comme nous le
verrons plus loin. Quant aux morts, ils
sont moitié moins nombreux. La plupart
ne sont pas des civils, mais des soldats
et des policiers, ainsi que j’ai pu le
constater en visitant des hôpitaux et
morgues civils et militaires.
3.
Après que nous ayons réussi à briser le
mur du silence et à obtenir que de
grands médias occidentaux rapportent la
présence en Syrie d’escadrons de la mort
venus de l’étranger, tendant des
embuscades contre l’armée, et
assassinant des civils au cœur des
villes, l’OTAN et ses alliés du Golfe
ont communiqué sur la présence d’une
armée de déserteurs. Selon eux, des
militaires (mais pas de policiers) qui
auraient reçu l’ordre de tirer sur la
foule se seraient rebellés. Ils auraient
pris le maquis et constitué l’Armée
syrienne libre, déjà forte de 1 500
hommes.
C’est faux. Les déserteurs ne sont
que quelques dizaines, ayant fui en
Turquie où ils sont encadrés par un
officier du clan Rifaat el-Assad/Abdel
Hakim Khaddam publiquement lié à la CIA.
Il y a par contre de plus en plus
d’insoumis, de jeunes gens qui refusent
de faire leur service militaire, souvent
plus sous la pression de leur famille
que par décision personnelle. En effet,
les militaires qui se trouvent pris dans
une embuscade n’ont pas le droit de
faire usage de leurs armes à feu pour se
défendre si des civils se trouvent sur
les lieux. Ils doivent donc faire le
sacrifice de leur vie s’ils ne
parviennent pas à fuir.
4.
Selon l’OTAN et ses alliés du Golfe, le
cycle révolution/répression aurait
laissé la place à un début de « guerre
civile ». 1,5 million de Syriens,
pris au piège, souffriraient de la faim.
Il conviendrait donc d’organiser des « couloirs
humanitaires » pour acheminer une
aide alimentaire et permettre aux civils
qui le souhaitent de fuir les zones de
combat.
C’est faux. Au regard du nombre et de
la cruauté des attaques par les
escadrons de la mort venus de
l’étranger, les déplacements de
population sont peu nombreux. La Syrie
est autosuffisante en matière agricole
et la production n’a pas baissé de
manière significative. Par contre, la
plupart des embuscades ayant lieu sur
les grands axes routiers, ceux-ci sont
fréquemment interrompus. En outre,
lorsque des attaques ont lieu au centre
des villes, les commerçants ferment
immédiatement leurs boutiques. Il en
résulte de graves problèmes de
distribution, y compris en matière
d’alimentation. Le fond du problème est
ailleurs : les sanctions économiques ont
provoqué un désastre. Alors que la Syrie
avait au cours de la décennie une
croissance de l’ordre de 5 % par an,
elle ne peut plus vendre ses
hydrocarbures en Europe occidentale
tandis que son industrie touristique est
sinistrée. Beaucoup de gens ont perdu
leur emploi et leurs revenus. Ils font
des économies sur tout. Le gouvernement
les prend en charge et procède à des
distributions gratuites de mazout (pour
le chauffage) et de nourriture. Dans ces
conditions, il conviendrait plutôt de
dire que si le gouvernement el-Assad
n’intervenait pas, 1,5 million de
Syriens souffriraient de malnutrition du
fait des sanctions occidentales.
En définitive, alors que nous n’en
sommes au stade que de la guerre non
conventionnelle, avec l’envoi de
mercenaires et de forces spéciales pour
déstabiliser le pays, la narration par
l’OTAN et ses alliés du Golfe s’est déjà
considérablement éloignée de la réalité.
Ce fossé va se creuser de plus en plus.
Pour ce qui vous concerne, ami
lecteur, vous n’avez aucune raison de me
croire plus que l’OTAN, n’étant pas
vous-même sur place. Vous avez cependant
plusieurs éléments qui devraient vous
mettre la puce à l’oreille.
Bernard-Henry Lévy, qui se flatte
d’avoir embarqué la France dans la
guerre de Libye dans l’intérêt d’Israël,
annonce dans « Le Parisien » qu’il a une
liste de cibles.
Quatre évidences soigneusement
cachées par l’OTAN
1.
On pourrait croire que les
imputations sur la prétendue
répression et sur le nombre de
victimes ont été soigneusement
vérifiées. Pas du tout. Elles ne
proviennent que d’une seule et même
source : l’Observatoire syrien des
Droits de l’homme, basé à Londres,
dont les responsables requièrent
l’anonymat. Que valent des
accusations de cette gravité si
elles ne sont pas recoupées et
pourquoi des institutions comme le
Haut-Commissariat des Droits de
l’homme de l’ONU les
reprennent-elles sans les vérifier ?
2.
La Russie et la Chine ont opposé
leur veto à un projet de résolution
du Conseil de sécurité ouvrant la
voie à une intervention militaire
internationale. Les responsables
politiques de l’OTAN nous
expliquent, désolés, que les Russes
protègent leur base navale militaire
de Tartous et que les Chinois
feraient n’importe quoi pour racler
quelques barils de pétrole.
Devons-nous accepter l’idée
manichéenne que Washington, Londres
et Paris sont guidés par de bons
sentiments tandis que Moscou et
Pékin seraient essentiellement
égoïstes et insensibles au martyre
d’un peuple ? Comment ne pas
remarquer que la Russie et la Chine
ont bien moins d’intérêt à défendre
la Syrie que les Occidentaux n’en
ont à la détruire ?
3.
Il y a une certaine étrangeté à
observer la coalition des États
soi-disant bien intentionnés.
Comment ne pas remarquer que les
deux principaux contributeurs de la
Ligue arabe et promoteurs de la
« démocratisation » de la Syrie,
l’Arabie saoudite et le Qatar, sont
des dictatures vassales des
États-Unis et du Royaume-Uni ?
Comment ne pas se demander si les
Occidentaux —qui viennent de
détruire successivement
l’Afghanistan, l’Irak et la Libye,
tuant plus de 1,2 million de
personnes en dix ans et montrant le
peu de cas qu’ils font de la vie
humaine— sont bien crédibles en
brandissant l’étendard humanitaire ?
4.
Surtout, pour ne pas se laisser
manipuler à propos des événements en
Syrie, il convient de les replacer
dans leur contexte. Pour l’OTAN et
ses alliés du Golfe —dont les armées
ont envahi le Yémen et le Bahrein
pour y écraser les manifestations
dans le sang—, la « révolution
syrienne » est le prolongement
du « printemps arabe » : les
peuples de la région aspirent à la
démocratie de marché et au confort
de l’American Way of Life. Au
contraire, pour les Russes et les
Chinois, comme pour les Vénézuéliens
ou les Sud-Africains, les événements
de Syrie sont la continuation du « remodelage
du Moyen-Orient élargi » annoncé
par Washington qui a déjà fait 1,2
million de morts et que toute
personne soucieuse de la vie humaine
se doit d’arrêter. Ils se
souviennent que le 15 septembre
2001, le président George W. Bush
programma sept guerres. La
préparation de l’attaque de la Syrie
débuta officiellement le 12 décembre
2003 avec le vote du Syrian
Accountability Act dans la
foulée de la chute de Bagdad. Depuis
ce jour, le président des États-Unis
—aujourd’hui Barack Obama— a pour
ordre du Congrès d’attaquer la Syrie
et est dispensé de venir devant les
assemblées pour ouvrir le feu. Dès
lors, la question n’est pas de
savoir si l’OTAN a trouvé une divine
justification pour entrer en guerre,
mais si la Syrie trouvera un moyen
de se sortir de cette situation
comme elle est parvenue à échapper à
toutes les accusations diffamatoires
et à tous les pièges précédents, tel
que l’assassinat de Rafik Hariri ou
le raid israélien contre une
imaginaire centrale nucléaire
militaire.
Des médias
mainstream occidentaux témoignent
Au terme de cet article, je
voudrais vous indiquer, ami lecteur,
que le Réseau Voltaire a facilité un
voyage de presse organisé à
l’initiative du Centre catholique
d’information des chrétiens
d’Orient, dans le cadre de
l’ouverture aux médias occidentaux
annoncée par le président el-Assad à
la Ligue arabe. Nous avons aidé des
journalistes mainstream à
voyager dans les zones de combat.
Nos collègues ont d’abord mal vécu
notre présence à leurs côtés, à la
fois parce qu’ils avaient un a
priori négatif à notre égard et
parce qu’ils pensaient que nous
cherchions à leur bourrer le crâne.
Par la suite, ils ont pu constater
que nous sommes des gens normaux et
que le fait de choisir notre camp ne
nous a pas fait renoncer à notre
esprit critique. En définitive, bien
qu’ils soient intimement persuadés
de la bienveillance de l’OTAN et ne
partagent pas notre engagement
anti-impérialiste, ils ont vu et
entendu la réalité. Avec honnêteté,
ils ont restitué dans leurs
reportages l’action des bandes
armées qui terrorisent le pays.
Certes, ils se sont abstenus de
contredire ouvertement la version
atlantique et ont essayé de
concilier ce qu’ils avaient vu et
entendu avec elle, ce qui les a
parfois conduits à des contorsions
autour du concept de « guerre
civile » opposant l’armée
syrienne à des mercenaires
étrangers. Quoi qu’il en soit, les
reportages de la Radio Télévision
Belge (RTBF) ou de La Libre
Belgique, pour ne citer qu’eux,
montrent que, depuis huit mois,
l’OTAN masque l’action des escadrons
de la mort et impute mensongèrement
leurs crimes aux autorités
syriennes.
Thierry Meyssan
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