Le moment est venu de dresser le bilan de l’Administration Bush
qui arrive au terme de son second et dernier mandat. Nous
revenons aujourd’hui sur la dérive de Condoleezza Rice. Première
femme noire à la tête du Conseil national de sécurité, puis du
département d’État, elle suscitait les espoirs des féministes et
des militants des droits civiques. Elle sera devenue en
définitive, l’égérie du bellicisme WASP et du recours à la
torture.
Lorsque, en janvier 2001,
Condoleezza Rice fut nommée conseillère nationale de sécurité
des États-Unis, la presse redécouvrit son visage et se passionna
pour son histoire. Elle avait déjà connu la célébrité médiatique
dans les années 89-90. À cette époque, elle travaillait
précisément au conseil national de sécurité en tant que
responsable des relations avec l’URSS et l’Europe orientale.
Elle commentait sur les chaînes de télévision les rencontres
entre George H. Bush (le père) et Mikhail Gorbatchev.
Dix ans plus tard, la presse
avait oublié son passé de soviétologue pour ne retenir qu’une
chose : elle était la première femme noire à présider le Conseil
national de sécurité. Les conseillers en communication de la
Maison-Blanche lui imaginèrent une biographie sur mesure qui en
fit un symbole du « rêve américain ». Née dans une famille
modeste à Birmingham, une ville d’Alabama qui symbolise la
violence raciste dans l’histoire US, elle a gravit tous les
échelons jusqu’à atteindre le sommet. Mieux encore, elle n’a
jamais cherché à bénéficier de la politique des quotas (à
laquelle s’oppose le Parti républicain), et ne doit sa réussite
sociale qu’à son propre travail.
L’histoire est si belle qu’elle
a été développée à longueur d’articles sans que l’on cherche à
la vérifier. Fille unique d’un pasteur presbytérien et d’une
professeur de musique, Condoleezza doit son prénom à cette
dernière. « Con dolcezza » est une expression italienne
indiquant qu’un morceau de musique doit être joué « avec
douceur ». De sa mère, elle tient aussi son goût pour le piano
qui l’a conduite, un temps, à espérer devenir soliste classique.
Le clou de sa biographie, c’est
évidemment qu’elle a vécu enfant un épisode célèbre de
l’histoire du pays. En avril 1963, le pasteur Martin Luther King
organise une manifestation anti-ségrégationniste à Birmingham où
les violences racistes se multiplient à l’initiative de
policiers proches ou membres du Klu Klux Klan. Le pasteur Rice
ne se joint pas à la manifestation, mais il l’observe passer en
portant sa fille sur les épaules. Lorsqu’elle se remémore
l’événement, elle déclare : « je regardais l’histoire en train
de s’écrire ». King est arrêté et jeté en prison. De sa cellule,
il écrit une lettre ouverte à d’autres leaders religieux dans
laquelle il souligne que la voie juridique est impuissante à
mettre fin à la ségrégation si elle n’est pas appuyée par
l’action de rue. Le président John Fritzgerald Kennedy parvient
à faire libérer le pasteur King ; la Cour suprême déclare la
réglementation ségrégationniste de Birmingham
anticonstitutionnelle ; puis Kennedy fait adopter une loi
interdisant la ségrégation dans tous les lieux publics ; en août
King organise la marche sur Washington et prononce son célèbre
discours, « I have a dream » (j’ai un rêve).
Mais le Klu Klux Klan ne s’avoue
pas vaincu. Le 15 septembre 1963, toujours à Birmingham,
l’église baptiste noire de la 16ème rue est dévastée par un
attentat à la bombe. Quatre petites filles noires périssent,
dont sa camarade de classe, Denise McNair. Condi, qui n’a que 11
ans, vient de faire l’expérience cruelle du racisme états-unien.
Ce crime suscite une émotion nationale. Le pasteur King vient
célébrer les funérailles des fillettes. Le mouvement des droits
civiques manifeste à nouveau, mais le pasteur Rice (le père de
Condi) ne l’entend pas ainsi. Pour lui, il n’y a rien à
revendiquer dans la rue. Les noirs doivent se faire leur place
en étant « deux fois meilleurs que les blancs ». Une philosophie
qui résume la psychologie de Condi, la petite fille modèle qui a
toujours voulu échapper à la violence des blancs en étant
parfaite selon leurs critères. Non seulement les suprémacistes
blancs ne l’écraseraient jamais, mais un jour, elle les
dominerait.
Adoptée par le père de Madeleine
Adolescente, Condi rejoint
l’université de Denver pour parfaire son éducation musicale.
Las ! elle se rend vite compte que si elle est une excellente
interprète, elle n’a pas le talent d’une grande artiste. « J’ai
compris que si je continuais avec la musique, je ne me destinais
pas à une carrière à Carnegie Hall, mais dans un piano bar, ou
peut-être à enseigner à des gosses de treize ans à massacrer
Beethoven », dira t-elle à CNN. Comme elle ne peut s’imaginer
que « deux fois meilleure que les autres », elle change
d’orientation.
À l’université, elle se forme à
la science politique et aux relations internationales. Elle
devient la meilleure élève du professeur Josef Korbel (que
dis-je ? deux fois meilleure que les autres), un des
universitaires les plus en vue dans ce domaine.
Korbel, un juif social-démocrate, a fuit la Tchécoslovaquie en
1939, lors de l’arrivée des nazis. Refugié à Londres, il s’est
converti au catholicisme et a servi de conseiller au président
tchéque en exil, Edouard Benes. À la fin de la grande guerre
patriotique, il rentre à Prague où il reçoit en remerciement des
services rendus l’appartement de l’industriel autrichien Karl
Nebrich, confisqué en vertu de l’Accord de Postdam. Au passage,
il vole les meubles précieux et les œuvres d’art de l’industriel
vaincu. Benes nomme Korbel ambassadeur de Tchécoslovaquie en
Yougoslavie. Mais début 1948, les ministres sociaux-démocrates
démissionnent laissant le champ libre aux communistes qui
s’emparent de tous les rouages du pouvoir. Ce retournement est
connu sous le nom de « Coup de Prague » pour les uns ou de
« Février victorieux » pour les autres. Violemment
anti-communiste, Josef Korbel s’enfuit aux États-Unis avec
« ses » œuvres d’art.
Korbel enseigne les théories « réalistes » d’Hans Morgenthau,
autre intellectuel juif émigré aux États-Unis. Rompant avec la
doctrine dominante, il affirme que les États ne sont pas mus par
des idéaux, mais par leurs seuls intérêts. Sur cette base,
Korbel s’oppose à l’anti-communisme forcené des idéologues de la
Guerre froide et préconise la détente avec Moscou, simultanément
il soutient la guerre du Vietnam et la politique d’isolement de
l’URSS (« containment »).
Condoleezza Rice devient la
meilleure propagandiste de l’école réaliste de Morgenthau et
Korbel. Elle apprend le russe et se met même au tchèque. Elle
consacre sa thèse aux relations de l’Armée tchécoslovaque avec
les communistes et l’URSS. Son professeur est si fière d’elle
qu’il l’a fait entrer dans sa famille, comme une sorte de fille
adoptive. Elle y fait la connaissance de la fille de Korbel,
Madeleine Albright, de 17 ans son aînée. Madeleine est
assistante parlementaire d’un sénateur démocrate et Condi, qui
se doit d’être « deux fois meilleure », s’engage pour le
président Jimmy Carter. Elle fait même un stage au Bureau des
Affaires culturelles du département d’État.
Marchand sur les pas de Josef
Korbel, Condoleezza devient elle-même professeur de sciences
politiques à Stanford (Californie) ; une très rapide nomination
qui s’explique par la volonté de l’université de faire entrer
des enseignants de couleur et des femmes dans son corps
professoral. Et en la matière, Condi compte double dans les
statistiques.
Prise en main par l’adjoint d’Henry
Kissinger
Bien qu’elle prétende
aujourd’hui avoir été déçue par la faiblesse du président Carter
lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge et être
alors entrée au Parti républicain, elle est en réalité restée au
Parti démocrate jusqu’en 1985. Elle fut même conseillère de
politique étrangère dans l’équipe de campagne présidentielle de
Gary Hart lors des primaires démocrates, en 1984. Son revirement
ne s’explique pas par une réaction à des événements politiques,
mais par un changement de mentor. Elle fut en effet remarquée,
lors d’une conférence, par l’éternel adjoint d’Henry Kissinger,
le général Brent Scowcroft. La petite fille modèle se devait dès
lors de devenir « deux fois meilleure » que les républicains.
Condoleezza Rice termine
l’écriture d’un livre sur le système soviétique. Elle y observe
que la tutelle de Moscou sur l’Europe orientale coûte plus cher
qu’elle ne rapporte et que, si les États se comportaient comme
des entreprises, l’URSS devrait abandonner ses vassaux. Sur ce,
Condi, recommandée par le général Scowcroft, est nommée pour un
an consultante sur les questions nucléaires soviétiques auprès
du chef d’état-major interarmes, l’amiral William J. Crowe. En
1989, lorsque George H. Bush (le père) devient président des
États-Unis, il nomme Brent Scowcroft conseiller national de
sécurité, lequel s’adjoint Condi pour les affaires d’Europe
centrale et Robert Gates pour les questions soviétiques.
L’administration Bush père est
divisée sur l’attitude à adopter face à l’URSS de Mikhail
Gorbatchev. Le secrétaire à la Défense, Dick Cheney, assisté de
Paul Wolfowitz, est partisan dans la lignée de Reagan
d’accélérer la course aux armements jusqu’à l’essoufflement
économique complet de l’Union soviétique. Il pronostique
l’effondrement du système et y voit une occasion inespérée pour
étendre la domination des États-Unis sur l’ensemble du monde. À
l’inverse, Brent Scowcroft, soutenu par le secrétaire d’État
James Baker, craint que l’essoufflement économique de l’URSS
n’ouvre une période d’instabilité générale qui soit en
définitive préjudiciable aussi aux intérêts états-uniens. Il
préconise donc de ne pas brusquer les Soviétiques, mais
d’accompagner leur chute en douceur.
Comme sa psychologie le laissait
prévoir, Condi se range à l’avis de son patron, Brent Scowcroft.
Mais elle fait plus encore : elle s’attache à convaincre le
président Bush père que Scowcroft a raison. Elle se découvre
alors un talent pédagogique surprenant. Au point que lors du
sommet de Malte, Bush père la présentera à Mikhail Gorbatchev en
déclarant : « Voici la femme qui m’a dit tout ce que je sais sur
l’Union soviétique ». Et le président Gorbatchev de répondre du
tac-au tac en se tournant vers Condi : « J’espère que vous en
savez beaucoup ».
Condoleezza Rice évite donc
d’être mêlée aux coups fourrés de Dick Cheney. Celui-ci dispense
un appui logistique secret à Boris Eltsine, dont le staff reçoit
une formation à Moscou et aux USA sous la direction de Richard
Perle et John Bolton. Il s’agit de constituer une équipe russe
que la CIA aidera à prendre le pouvoir et qui, en échange,
fermera les yeux sur le dépeçage de l’Union soviétique. Lors
d’un épisode célèbre, Eltsine se présente à la Maison-Blanche et
exige de rencontrer le président Bush père, mais Condoleezza lui
fait barrage, soulignant que le président des États-Unis ne peut
être personnellement impliqué dans un complot visant à renverser
son homologue soviétique.
Dans cette période, l’activité
principale de Condi tourne autour de la question allemande.
L’objectif principal du chancelier Helmut Köhl est de parvenir à
la réunification politique, quel qu’en soit le coût économique.
Le président François Mitterrand accepte de ne pas y faire
obstacle à la condition que cela ne créé pas un déséquilibre
préjudiciable à la France en Europe. Il exige donc une fusion
simultanée des monnaies allemande et française, qui donne
naissance à l’euro. Condi, quant à elle, a vu là l’occasion de
faire entrer sans le dire la République démocratique allemande
dans l’OTAN et d’entamer un jeu de domino qui va permettre de
faire basculer toute l’Europe de l’Est jusqu’à ce que les
frontières de l’OTAN touchent celles de l’URSS, comme un nœud
coulant que l’on serre lentement pour étouffer une proie.
C’est elle qui dupe Mikhail
Gorbatchev auquel Bush père avait promis oralement de dissoudre
l’OTAN en même temps que le Pacte de Varsovie. Car si Condi ne
comprend pas grand chose à l’âme russe et se trompe souvent
lorsqu’il s’agit d’analyser les évolutions en cours à Moscou,
elle a une vraie connaissance des mentalités d’Europe centrale
et de la manière d’exploiter leurs vulnérabilités. L’entrée de
la RDA dans l’OTAN, via sa fusion avec la RFA, est pour elle
l’exploit de sa vie. Elle en tire pour la première fois une
ivresse de la toute-puissance à laquelle elle ne va pas tarder à
devenir accroc.
Les meilleurs choses ont une
fin. En 1991, Bush père ne parvient pas à se faire réélire et
doit céder la Maison-Blanche à Bill Clinton. Par un étrange
concours de circonstances, Madeleine Albright, la fille de Josef
Korbel et sœur de cœur de Condi est nommée ambassadrice à l’ONU,
puis secrétaire d’État.
Repêchée par George Schultz
Condoleezza Rice doit se
reconvertir dnas le privé. Elle se trouve alors un nouveau
mentor qui va lui faire découvrir les délices du pouvoir au sein
des multinationales : George Shultz. Dans ce monde-là aussi,
elle va s’efforcer d’être « deux fois meilleure que les
autres ». Ancien secrétaire au Trésor et secrétaire d’État,
Shultz est un des principaux tireurs de ficelles à Washington.
Plus que tout autre, il incarne le capitalisme états-unien et
les liens incestueux du business et de la politique. Il fait
entrer Condi aux conseils d’administration de Charles Schwab
(1ère société de courtage mondiale), Chevron (5ème société
d’énergie mondiale), Hewlett Packard (1er vendeur mondial
d’ordinateurs personnels), et Transamerica (holding
d’assurances).
Chez Chevron, elle prend en
charge le dossier du gisement pétrolier géant découvert au
Kazakhstan. Elle négocie directement la construction d’un pipe
line reliant le champ kazakh de Tengiz au port russe de
Novorossiyisk. Cette opération sera extrêmement profitable pour
Chevron qui, en remerciement, nomme un de ses super-tankers, le
« Condoleezza Rice ».
George Schultz fait également
entrer Condi dans des think tanks : la Fondation Carnegie pour
la paix internationale, l’Institut Aspen, la Hoover Institution
et la Rand Corporation. Il l’aide a être nommée prévôt de
l’université Stanford où elle a enseigné. À seulement 38 ans,
elle gère plus de 10 000 employés avec un budget de plus d’1,5
milliard de dollars. Elle satisfait ses commanditaires en
faisant en tant que femme noire tout ce qu’un homme blanc ne
pourrait pas se permettre dans ce haut lieu de la contestation
californienne : elle casse toutes les organisations militantes
au sein de l’universités, féministes et minorités raciales, et
licencie leurs leaders. Simultanément, elle engage des
professeurs à l’étranger, à la fois pour leur compétence et pour
les inscrire dans le cercle relationnel de ses amis
républicains. C’est par exemple le cas de l’ex-ministre français
de l’Économie, Dominique Strauss-Khan, dont elle fera plus tard
un directeur du Fonds monétaire international.
Choisie par George W. Bush
Dès août 1998, Condoleezza Rice
rejoint l’équipe de pré-campagne présidentielle de George W.
Bush (le fils). Elle se montre aussi bonne pédagogue avec lui
qu’avec son père, mais avec ce nouvel élève, il faut prendre
l’étude des relations internationales à zéro. Sous l’impulsion
d’Henry Kissinger, de Brent Scowcroft et de George Schultz,
Condi se voit chargée de la formation accélérée du
candidat-président qui n’a jamais voyagé hors des USA et brille
par son ignorance crasse du reste du monde. Elle constitue un
groupe de spécialistes qui prodigue des cours à « W. ». Ils se
nomment « Les Vulcains », par analogie avec le dieu antique qui
forgeait les armes des autres dieux, et en souvenir de la statue
de Vulcain qui ornait une place de Birmingham face à sa maison
natale. Ils constitueront le noyau dur de la prochaine
administration Bush.
Fin 2000, balayant la
contestation du trucage des élections, la Cour suprême (dont la
majorité des juges a été nommée par Bush père) nomme Bush fils
43e président des États-Unis. Condoleezza est nommée conseillère
nationale de sécurité. C’est l’aboutissement d’une longue
ambition, mais qu’est devenue la vie privée de Condi durant
cette longue ascension ? Personne ne le sait. Tout s’est passé
comme si la petite fille modèle occupée à être « deux fois
meilleure que les autres » avait oublié d’être une femme, de
vivre et d’aimer. On ne lui connaît aucune aventure. Les langues
se délient. Elle serait « vieille fille » et partagerait depuis
25 ans sa maison avec une autre femme aigrie, la documentariste
Randy Bean. Toutefois une rumeur lui accorde une liaison avec
« W. ». La rumeur ne cessera d’enfler d’autant que le président
l’appelle en public « ma cocotte » et que, lors d’un cocktail
officiel à Washington », elle commet un lapsus. Annonçant que
George W. Bush a été retardé par les affaires de l’État mais
sera bientôt là, elle déclare « Mon mari ne va plus tarder ».
Les choses ne font plus guère de doutes lorsqu’on observe la
manière dont Laura Bush et elle s’évitent mutuellement.
Condi joue du piano pour George.
Elle explique que Brahms est son compositeur favori « parce
qu’il est passionné sans être sentimental ».
Quoi qu’il en soit, le travail
se poursuit. Mlle Rice est un conseiller de sécurité nationale
« deux fois meilleur que les autres ». Quand son amant de
président lance la « Guerre globale au terrorisme », elle réunit
un groupe de travail pour préciser les tortures qui seront
pratiquées par la CIA et les militaires. Il y a là le
vice-président Dick Cheney (qui fit rédiger les manuels de
tortures de l’armée US dans les années 80), le secrétaire à la
Défense Donald Rumsfeld, le secrétaire d’État Colin Powell, le
secrétaire à la Justice John Ashcroft, et le directeur de la CIA
George Tenet. C’est ce dernier qui révélera ultérieurement
l’existence de ces réunions à la chaîne de télévision CBS. Mlle
Rice fait procéder à des simulations. Des tortures sont
pratiquées, dans une salle de réunion de la Maison-Blanche,
devant cet aréopage en costume cravate. Elles sont inspirées par
les techniques utilisées par les forces communistes durant la
guerre de Corée contre les prisonniers US. Bien qu’elles soient
utilisées dans le cadre d’interrogatoires, leur but n’est pas
d’obtenir des aveux, mais de « laver le cerveau » des victimes
qui doivent à la fin s’accuser de crimes imaginaires en étant
persuadés de les avoir commis. Les décisions prises lors de ces
réunions ont été appliquées à Guantanamo et dans les prisons
secrètes de la CIA sur plus de 80 000 personnes. Elles ont
permis de fabriquer des témoins de l’existence d’Al Qaida et
d’exonérer ainsi la CIA des actions secrètes qu’elle a
commanditées auprès de mercenaires musulmans. Sur le moment, les
participants à ces séances se sont émerveillés du zèle de Mlle
Rice. Seul John Ashcroft, un suprémaciste blanc, se sentit
déstabilisé par cette jeune femme noire qui semblait n’éprouver
aucune émotion. Il émit des réserves, faisant valoir que les
pires tyrans ont toujours évité de se salir eux-mêmes les mains,
il craignait que cette activité ne finisse par s’ébruiter et ne
soit pas jugée très favorablement par l’Histoire.
Condi excelle tellement en
toutes choses que George W. Bush a fini par la nommer secrétaire
d’État. La petite fille noire fait aussi bien que sa sœur de
cœur Madeleine Albright. Non, elle se doit de faire « deux fois
mieux ».
Au contact de W., Condoleezza
s’est écartée du « réalisme » politique de sa jeunesse. Elle
partage désormais les crises de mysticisme du président. Si
George W. Bush revendique devant ses interlocuteurs ébahis
prendre ses décisions sous inspiration divine directe, Condi
quant à elle est persuadée d’accomplir les prophéties bibliques.
Elle participe aux conventions baptistes et dans des discours
enflammés résume sa nouvelle politique « Le message de
l’Amérique ne peut être plus clair : les gouvernements n’ont
aucun droit de s’interposer entre les individus et le
Tout-Puissant ». Lorsqu’à l’été 2006, les avions israéliens
déversent un tapis de bombes états-uniennes pour raser le sud du
Liban, Condoleezza récuse toute interruption diplomatique des
opérations et déclare extatique : « Je ne vois pas l’intérêt de
la diplomatie si c’est pour revenir au status quo ante entre
Israël et le Liban. Je pense que ce serait une erreur. Ce que
nous voyons ici, d’une certaine manière, c’est le commencement,
les contractions de la naissance d’un nouveau Moyen-Orient et
quoique nous fassions, nous devons être certains que nous
poussons vers le nouveau Moyen-Orient et que nous ne retournons
pas à l’ancien ». Les mots sont choisis, ils font référence à
L’Évangile selon Saint Mathieu (chapitre 24) : la destruction du
Liban serait un signe annonciateur du retour glorieux du Christ.
L’enfoncement de Washington dans
l’irrationnel suscite des réactions aux États-Unis. Le magazine
National Enquirer révèle que Condi et Randy
ne sont pas deux « vieilles filles » partageant leur maison par
souci d’économie, mais ont une liaison depuis 25 ans. À la
Knesset, un député irrité évoque publiquement une relation entre
la ministre israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, et
son homologue états-unienne. Le lesbiannisme de la secrétaire
d’État fait un peu désordre dans le milieu puritain, mais il est
trop tard pour protéger un jardin resté si longtemps secret.
Le mandat de George W. Bush
touche à sa fin. Le moment est venu pour Condi de se trouver un
nouveau mentor, un nouveau domaine où elle puisse « être deux
fois meilleure que les autres ». La presse US évoque son
possible rôle de candidate à la vice-présidence dans un ticket
avec John McCain. Elle dément : « Je n’ai pas le temps, j’ai
trop de choses en main ». Pourtant, elle commande des sondages
sur sa popularité.
Thierry Meyssan
Analyste politique, fondateur du Réseau
Voltaire. Dernier ouvrage paru :
L’Effroyable imposture 2
(le remodelage du Proche-Orient et la guerre israélienne contre
le Liban).