« Sous nos yeux »
Vers un retrait
occidental de Syrie
Thierry Meyssan
Là où
l’OTAN a échoué à faire la guerre,
l’OTSC prépare la paix.
Le secrétaire général de l’Organisation,
Nikolay Bordyuzha, met sur place une
force
de maintien de la paix de 50 000 hommes,
capable de se déployer en Syrie.
Lundi 8 octobre
2012
La guerre de
Syrie s’éternise. Sa poursuite est
devenue trop coûteuse et trop dangereuse
pour ses voisins. La Russie, qui
ambitionne de se réinstaller au
Proche-Orient, tente de démontrer aux
Etats-Unis que leur intérêt bien compris
est de la laisser résoudre le conflit.
La situation
militaire en Syrie s’est retournée
au détriment de ceux qui espéraient
à Washington et à Bruxelles parvenir
à changer le régime par la force.
Les deux tentatives successives de
prise de Damas ont échouées et il
est désormais clair que cet objectif
ne pourra pas être atteint.
Le 18 juillet, une explosion
décapitait le Conseil de sécurité
nationale et donnait le signal d’une
vaste offensive de dizaines de
milliers de mercenaires convergeant
de Jordanie, du Liban, de Turquie et
d’Irak sur la capitale. Après
quelques jours de bataille acharnée,
Damas était sauvée, la fraction de
la population hostile au
gouvernement choisissant par
patriotisme d’aider l’Armée
nationale plutôt que d’accueillir
l’ASL.
Le 26 septembre, des jihadistes
d’Al-Qaida pénétraient dans
l’enceinte du ministère de la
Défense, déguisés en soldats syriens
et munis de faux papiers. Ils
voulaient faire sauter leurs
ceintures d’explosifs dans le bureau
de l’état-major, mais ne parvinrent
pas à proximité suffisante de leur
cible et furent abattus. Une seconde
équipe devait s’emparer de la
télévision nationale et lancer un
ultimatum au président, mais elle ne
put s’approcher du bâtiment car son
accès avait été bloqué dans les
minutes suivant la première attaque.
Une troisième équipe s’est dirigée
vers le siège du gouvernement et une
quatrième devait attaquer
l’aéroport.
Dans les deux cas, l’OTAN, qui
coordonnait les opérations depuis sa
base turque d’Incirlink, espérait
provoquer une fracture au sein de
l’Armée arabe syrienne et s’appuyer
sur certains généraux pour renverser
le régime. Mais les généraux en
question avaient été identifiés
comme traîtres depuis longtemps et
privés de tout commandement
effectif. Il ne s’est donc rien
passé de significatif et le pouvoir
syrien est sorti renforcé de ces
deux coups ratés. Il a trouvé la
légitimité intérieure nécessaire
pour se permettre de passer à
l’offensive et d’écraser rapidement
l’ASL.
Ces échecs ont fait perdre leur
superbe à ceux qui caracolaient par
avance en affirmant que les jours de
Bachar el-Assad étaient comptés. Par
conséquent, à Washington, les
partisans du retrait sont en train
de l’emporter. La question n’est
plus de savoir combien de temps le «
régime de Bachar » tiendra
encore, mais s’il est plus coûteux
pour les États-Unis de continuer
cette guerre ou de l’arrêter. La
continuer, c’est provoquer
l’effondrement économique de la
Jordanie, c’est sacrifier ses alliés
au Liban, c’est risquer la guerre
civile en Turquie, et c’est devoir
protéger Israël de ce chaos.
L’arrêter, c’est laisser les Russes
se réinstaller au Proche-Orient et
c’est renforcer l’Axe de la
Résistance au détriment des rêves
expansionnistes du Likoud.
Or si la réponse de Washington
tient compte du paramètre israélien,
elle ne prend plus en considération
l’avis du gouvernement Netanyahu.
Celui-ci a fini par indisposer à la
fois en raison de ses manipulations
derrière l’assassinat de
l’ambassadeur Chris Stevens et à
cause de son ahurissante ingérence
dans la campagne électorale US. En
définitive, si l’on envisage la
protection à long terme d’Israël et
non pas les exigences extravagantes
de Benjamin Netanyahu, la présence
russe est la meilleure solution.
Avec 1 million d’Israéliens
russophones, jamais Moscou ne
laissera mettre en péril la survie
de cette colonie.
Un retour en arrière est ici
nécessaire. La guerre contre la
Syrie a été décidée par
l’administration Bush, le 15
septembre 2001 lors d’une réunion à
Camp David, comme l’a notamment
attesté le général Wesley Clark.
Après avoir été repoussée plusieurs
fois, l’action de l’OTAN a dû être
annulée en raison des vétos russe et
chinois. Un « plan B » a
alors été mis sur pied : recourir à
des mercenaires et à l’action
secrète puisque le déploiement de
soldats en uniforme était devenu
impossible. Cependant, l’ASL n’ayant
pas marqué une seule victoire contre
l’Armée arabe syrienne, beaucoup ont
pronostiqué que le conflit serait
interminable et minerait
progressivement les États de la
région, y compris Israël. Dans ce
contexte, Washington a conclu le 30
juin un accord avec la Russie à
Genève, sous la houlette de Kofi
Annan.
Toutefois, le camp de la guerre a
fait capoter cet accord en
organisant des fuites dans la presse
sur l’engagement occidental secret
dans le conflit ; fuites qui ont
contraint Kofi Annan à la démission
immédiate. Le camp de la guerre a
joué ses deux cartes maîtresses les
18 juillet et 26 septembre et a
perdu. Dès lors, Lakhdar Brahimi, le
successeur d’Annan, a été prié de
ressusciter et de mettre en œuvre
l’Accord de Genève.
Pendant ce temps, la Russie n’a
pas chômé. Elle a obtenu la création
d’un ministère syrien de la
Réconciliation nationale, elle a
supervisé et protégé la réunion à
Damas des partis d’opposition
nationale, elle a organisé des
contacts entre les états-majors US
et syrien, et elle a préparé le
déploiement d’une force de paix. Les
deux premières mesures ont été
prises à la légère par la presse
occidentale et les deux dernières
ont été carrément ignorées.
Pourtant, comme l’a révélé le
ministre russe des Affaires
étrangères, Sergey Lavrov, la Russie
a répondu aux craintes de
l’état-major US relatives aux armes
chimiques syriennes. Elle a pu
vérifier que celles-ci étaient
stockées dans des lieux suffisamment
sécurisés pour ne pas tomber dans
les mains de l’ASL, être détournées
par des jihadistes et utilisées par
eux aveuglément, sauf changement de
régime. Elle a pu donner ainsi des
garanties crédibles au Pentagone que
le maintien au pouvoir d’un leader
qui a prouvé son sang-froid comme
Bachar el-Assad est une situation
plus gérable, y compris pour Israël,
que l’extension du chaos à la Syrie.
Surtout, Vladimir Poutine a
accéléré les projets de
l’Organisation du Traité de sécurité
Collective (OTSC), l’Alliance
défensive anti-OTAN réunissant
l’Arménie, la Biélorussie, le
Kazakhstan, le Kirghizistan, le
Tadjikistan et bien sûr la Russie.
Les ministres des Affaires
étrangères de l’OTSC ont adopté une
position commune sur la Syrie [1].
La logistique a été installée pour
un éventuel déploiement de 50 000
hommes [2].
Un accord a été signé entre l’OTSC
et le département onusien de
maintien de la paix pour que des «
chapkas bleues » puissent être
déployées dans les zones de conflit
sous mandat du Conseil de sécurité [3].
Et des manœuvres communes ONU/OTSC
auront lieu du 8 au 17 octobre au
Kazakhstan sous le titre «
Fraternité inviolable » pour
finaliser la coordination entre les
deux organisations
intergouvernementales. La
Croix-Rouge et l’OMI y participeront
[4].
Aucune décision ne saurait être
officialisée par les États-Unis
durant leur campagne électorale
présidentielle. Dès que celle-ci
sera terminée, la paix sera
envisageable.
[1]
«
Министры
иностранных дел государств-членов ОДКБ
одобрили заявления по Сирии и ситуации
вокруг Ирана
», Communiqué de l’OTSC, 28 septembre
2012.
[2]
«
Путину предлагают
ввести войска в Сирию
», Izvestia,
1er juin 2012.
[3]
«
ОДКБ и ООН
подписали Меморандум по миротворческой
деятельности
», Communiqué de l’OTSC, 28 septembre
2012. «
Conflits armés :
l’ONU et l’OTSC signent un mémorandum
», RIA Novosti, 29 septembre 2012.
[4]
«
Первое
миротворческое учение государств-членов
ОДКБ "НЕРУШИМОЕ БРАТСТВО-2012" пройдет с
8 по 17 октября в Республике Казахстан
на трех полигонах под Алматы
», Communiqué de l’OTSC. 3 octobre 2012
Source
Tichreen (Syrie)
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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