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Initiative sur les minarets en Suisse. Le compte des responsabilités
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Lundi 30 novembre 2009

Le résultat est venu comme un choc et ce même pour les initiateurs du référendum. On nous annonçait un soutien de 34% et voilà que 57% de la population suisse (avec une participation très importante) a soutenu une initiative qui en dit long sur les peurs et la méfiance des Suisses vis-à-vis de l’islam et des musulmans. Le parti UDC a utilisé les minarets et leur visibilité tout à la fois comme un symbole et un prétexte d’une campagne durant laquelle le parti n’a cessé de stigmatiser l’islam « intrinsèquement incompatible avec les valeurs et la culture suisses » et les musulmans forcément « enclin à l’expansion, la colonisation et finalement l’islamisation de la Suisse ».

Le propos était souvent grossier, approximatif, voire xénophobe et raciste, mais la voix de ce parti (seul à soutenir cette initiative contre tous les autres partis) a été entendue et la majorité de mes concitoyens a finalement soutenu une initiative honteuse, inquiétante et gravement discriminatoire. Il n’est point sûr qu’elle soit reconnue valable au niveau de la Cour Européenne de Justice mais les faits sont là : un peuple, dont le pays n’a que quatre minarets et qui est moins touché que les pays voisins par les crises sociales, a décidé de remettre en question sa tradition millénaire de respect de la liberté de culte en discriminant une communauté religieuse ciblée. Les musulmans de Suisse, majoritairement bosniaques et turcs, n’ont pourtant jamais posé de problèmes réels et les autorités avaient de quoi se réjouir d’une installation plus réussie et enrichissante.

Que s’est-il donc passé en Suisse ? L’UDC a fait une campagne sur la peur et la méfiance avec des affiches parfois proprement scandaleuses quant aux amalgames véhiculés, notamment avec des minarets dessinés sous forme de missiles, colonisant le drapeau suisse à côté d’une femme portant la burqa. Tous les stéréotypes accumulés avec le succès que l’on connaît. Face à cette démarche lourde, grossière et dangereuse, il faut faire le compte des responsabilités : comment se peut-il qu’un tel succès advienne alors que toute la classe politique s’y opposait à l’exception d’un seul parti ?

Les Suisses de confession musulmane doivent entendre le message : leurs concitoyens ont peur et se méfient d’eux. Ils importent qu’ils soient plus présents, plus actifs dans la société et non pas seulement sur le mode défensif quand il est question d’islam. Il s’agit pour les citoyennes et citoyens suisses, de même que les résidentes et les résidents, de s’engager dans les débats de société (école, emploi, économie, politique, culture, écologie, etc.) de façon positive et constructive. De normaliser leur présence en apportant une contribution humaine, éthique, plurielle et citoyenne aux termes des débats en question. Cela prendra du temps mais les mentalités évoluent aux contacts des êtres et non dans de simples déclarations de bonnes intentions.

Les politiciens ont aussi leur part de responsabilité dans le résultat catastrophique du référendum. Si la majorité des partis s’y sont opposés, on doit relever que leurs positionnements par rapport à la « question musulmane » ne sont pas toujours clairs. Ils furent contre l’initiative mais en ajoutant systématiquement un « mais » à leur prise de position : ils se sentaient obligés d’ajouter que l’islam posait un problème quant à la violence, aux femmes, à « l’intégration », etc. Or, c’est exactement le message qu’a entendu et soutenu le peuple suisse : au-delà des minarets, l’islam et les musulmans font problème ! Il importe que les partis se démarquent de cette politique de la méfiance, du discours sur « l’intégration » après trois générations, et enfin de cette frilosité à reconnaître que l’islam est une religion suisse (et européenne) et que l’immense majorité des citoyens et des résidents musulmans sont et seront un atout pour l’avenir de la société. Il est l’heure que les partis politiques se réconcilient avec la politique et la gouvernance et proposent des visions courageuses, constructives et inclusives, qui tentent de concilier les politiques égalitaires avec la gestion de la diversité. Ils ne peuvent pas aujourd’hui reprocher à l’UDC de gagner en étant populiste alors qu’eux-mêmes ne proposent plus rien en matière de politique sociale et qu’ils surfent en temps d’élection sur les mêmes thèmes porteurs de l’insécurité, de l’immigration voire même de l’identité et des valeurs « suisses » (ou européennes). Le manque de courage et de visions des partis politiques classiques, en Suisse et à travers toute l’Europe, offre un boulevard au succès des forces les plus populistes ou d’extrêmes droites.

Les médias et les journalistes devraient enfin se poser de sérieuses questions sur leur stratégie, s’il en est. Car enfin au nom de la liberté d’expression mariée à l’audimat, on entretient un climat qui passe de controverses en controverses et nourrit immanquablement un sentiment général de malaise et d’insécurité. Des débats « talk-shows » ; l’absence d’approfondissement des questions ; l’information courte, rapide, sans mise en perspective sont autant de phénomènes qui façonnent des émotions et des sensibilités populaires qui penchent vers la peur, le repli et le rejet de « l’autre ». Le populisme est toujours le vainqueur lorsque le débat est absent ou mené dans des conditions où le propos simpliste et superficiel aura forcément raison de l’argumentation intelligente et raisonnable. La démocratie, ne tient pas seulement au fait que tous puissent s’exprimer mais que tous puissent le faire dans des conditions qui protègent l’esprit critique et non pas qui conduisent à la manipulation des instincts et des émotions populaires les moins maîtrisés. Sans y prendre garde, et l’histoire nous l’a prouvé, le racisme le plus odieux peut s’installer démocratiquement dans une société qui ne gérerait pas de façon responsable et éthique l’usage de ses moyens de communications. La responsabilité éthique des journalistes consiste à sortir de la dictature de l’audimat et du gain : la peur, la controverse et la stigmatisation de « l’autre » fait de l’audience et de l’argent et on a beau jeu ensuite de critiquer l’évolution de nos sociétés alors que les partis populistes utilisent les logiques même de nos contradictions.

Les responsabilités sont partagées. La route sera longue et dans mon dernier ouvrage, « Mon Intime Conviction », je précise qu’il ne faudra pas moins de deux générations pour dépasser les peurs et les crispations actuelles. Il faut néanmoins que les citoyens européens et suisses prennent leurs responsabilités en s’engageant vers l’ouverture, en cherchant à mieux connaitre l’autre, sa complexité, ses valeurs et ses espoirs. C’est notre responsabilité commune et il faut pour y faire face que nous cessions de nous lamenter et que nous nous engagions ensemble, au nom de ce nouveau « nous » qui nous définit, pour défendre les droits acquis, l’égalité des êtres humains, leur dignité et notre refus déterminé des populismes et des rejets qui nous proposent un avenir de racisme et de conflits que nous avons trop bien connus. C’est notre responsabilité à tous si, enfin, nous cessons de rester silencieux et frileux et que nous refusions de jouer aux victimes.

© Tariq Ramadan 2008

Les textes de Tariq Ramadan



Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...


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