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De l'indigence des débats politiques français
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Lundi 28 mars 2011

Un frisson nous traverse et la peur nous gagne. Que se passe-t-il donc en France qui puisse expliquer l’indigence caractérisée et continue des débats politiques. Que l’on considère la politique intérieure ou étrangère, le constat est alarmant. Au gré des coups médiatiques des uns, et de la réaction jouée ou/et instrumentalisée des autres, les débats s’enlisent et se perdent dans une atmosphère lourde, malsaine et particulièrement inquiétante. La France - qui se targue encore de donner des leçons d’intelligence et de rationalité au monde - perd son âme, et clairement son honneur. La France va mal, aussi mal que son Président, sa majorité, et son opposition.

Incapable de regarder sa diversité culturelle et religieuse en face, la classe politique - toutes tendances confondues - a accepté d’en faire le cœur d’un débat du futur, pourtant déjà bien dépassé. Du débat sur l’identité nationale aux affaires de "voile intégral", en passant par les "prières colonisant les rues", ou "l’islam", ou encore la question de la réchauffée "laïcité"… comme thème de campagne présidentielle. Le disque tourne en boucle jusqu’à l’overdose. Six ans après les émeutes sociales de novembre 2005, le débat est enlisé et les acteurs politiques toujours aussi aveugles et sourds.... Ou, disons-le, obnubilés par le pouvoir, voire pour certains ils semblent simplement incompétents. La France n’a aucun problème avec la religion, l’islam ou "les cultures d’origine" : elle n’a pas de problème d’intégration, d’identité ou de diversité. Elle a un problème de distribution de pouvoir, un problème d’égalité et de justice sociale, un problème de racisme, mariée à un déficit de mémoire. Le mal est effectivement profond et nécessite un engagement politique courageux et une vision claire des enjeux d’avenir.

Au lieu de cela, le pays s’enlise depuis près de vingt cinq ans dans le même débat avec une terminologie rafistolée mais des conclusions toujours plus dangereuses et finalement normalisées. Les populistes et les tendances d’extrême droites ont gagné un terrain politique conséquent que les sondages révèlent sans pouvoir évaluer à leur juste mesure leur nette progression. Leurs thèses sont partout présentes et elles s’imposent dans les débats politiques français, au gré des angoisses sociales et sécuritaires des citoyens. Que l’on accepte ou que l’on refuse l’idée de déchoir un citoyen français de sa nationalité - parce que pas assez bon Français - ; l’idée qu’il existe des "bons" et des "mauvais" Français est la norme informelle qui a informellement colonisé les débats français. On y mettra telle ou telle formulation : la substance est la même. Le populisme l’emporte dans la symbolique, autant que dans la réalité. La politique intérieur menée au gré des coups médiatiques répond à la même logique : il s’agit non d’imposer une vision de politique sociale mais de créer l’événement à instrumentaliser, à "capitaliser" médiatiquement et politiquement.

C’est au fond la même attitude à gauche comme à droite. Le Président Nicolas Sarkozy s’est montré mieux équipé que la gauche jusqu’à ce jour mais voilà que Marine Le Pen parait tirer un meilleur profit de l’environnement politico-médiatique que la droite classique et la gauche réunis. Qui peut s’en étonner ? Face aux circonlocutions et aux contorsions verbales des femmes et des hommes politiques de droite comme de gauche, comment ne pas comprendre que les Français se sentent rassurés et en phase avec le franc parler, la détermination, le leadership incontesté et l’habilité de la Présidente du Front National de rebondir à chaque péripétie médiatique. L’air du temps frileux et populiste convient à merveille aux....populistes. Le Président Nicolas Sarkozy a joué l’ouverture à gauche au début de son mandat et l’opération a échoué. En tant qu’agent de la normalisation des thèses populistes depuis tant d’années, il aurait dû savoir que son réel concurrent viendrait de sa droite. La seule "ouverture" logique aurait été d’intégrer Marine le Pen dans son gouvernement : le choix aurait eu le mérite d’être clair et cohérent.

Élu ou non, au-delà des questions de personnes et de visibilité, force est de constater que le Front National a déjà gagné aux points et que ses thèses ont été lentement légitimées. Le Front National s’est inscrit - par ses slogans comme par sa politique émotionnelle victimaire - dans la conscience collective et politique de la France de même qu’il habite désormais son avenir. Y résister exigera de l’engagement, du courage, du temps et, surtout, d’élaborer et de construire une vision. Or, force est de constater que ni la droite dite classique, ni les socialistes, désormais ignorants des questions sociales, n’ont fait preuve d’une intelligence et d’un courage politiques propres à provoquer un sursaut populaire et à offrir une nouvelle politique d’avenir. Les Français sont aussi las que les partis sont lassants avec leurs politiques férus de gesticulations politiciennes : point de politiques, point de vision… une obsession des coups, et des coups vicieux, « tordus » et, au demeurant, très bas.

Le tableau est le même quand il s’agit de politique étrangère. Si l’Europe est absente, la France n’est nulle part. Au-delà (encore !) des coups médiatiques, on ne peut que constater la déroute de la France au cours des événements en Tunisie, en Egypte et au Moyen-Orient. Après avoir soutenu les dictatures pendant des décennies, le gouvernement français fut incapable d’accompagner les mouvements populaires de libération. Timorés, frileux, attentistes, le chef de l’Etat et toute la classe politique semblaient perdus tant tous ces responsables avaient, indifféremment, été compromis avec les dictatures. Que faire ? Que dire ? Alors que les Américains avaient l’intelligence d’être non seulement présents, mais également audibles (jusque dans leurs maladresses et leurs hésitations, parfois réelles, parfois clairement jouées, comme ce fut le cas en Egypte), la France se cherchait.

Il a fallu attendre la Libye pour que la France donne le change, et une impression de leadership. Sans vision politique clairement française - mais au fond très inspiré par les analyses de Washington, autant que de Tel-Aviv qui voue une haine féroce à Kadhafi - voilà que le gouvernement français s’affirme avec courage face à un colonel Kadhafi honni de tous. Quelle aubaine ! Comme si le seul souci humanitaire l’emportait, le gouvernement qui n’avait pas réagi aux massacres d’Irak ou de Gaza - voire les avait soutenu lorsque le Président Sarkozy demandait au ministre israélien de la culture de "combien de temps avait-il besoin [le gouvernement israélien] pour finir le travail" - devenait soudain l’ami, à bon compte, des Arabes. Quelle ironie !

Un autre coup médiatique qui révèle l’absence de politique nord-africaine et moyen-orientale de la France. C’est enfin Bernard-Henri Levy, en mission, qui va révéler au monde la prise de position "courageuse" de la France reconnaissant le conseil libyen de l’opposition au grand dam du ministre des affaires étrangères Alain Juppé dont le retour annonçait pourtant une réconciliation avec un grand projet de réalignement politique de la France. Il apprend à Bruxelles que son gouvernement s’engage auprès des « insurgés » libyens et les médias français d’applaudir le retour de la France au-devant d’une scène diplomatique laissée libre, à dessein, par une administration américaine prudente qui suit les événements et laisse la France – à la tête du G20 – prendre les commandes d’une opération à risque. L’administration américaine, sous le président Barack Obama, a beaucoup appris des errances de l’ère George Bush… la France beaucoup moins. Cet apparent succès ponctuel passera très vite aux oubliettes avec la prise de contrôle de l’OTAN et surtout la redéploiement des forces politiques et armées en Afrique du Nord et au Moyen –Orient.

Quelle vision politique offre donc la France aujourd’hui ? Hormis le suivisme atlantiste et le soutien sans faille à Israël, que reste-t-il de l’apport français ? Le Président Sarkozy fait sa place sur la scène internationale à coup de « coups médiatiques » et il inquiète ce faisant les autres responsables de gouvernements qui ne savent plus s’ils doivent sourire de ses gesticulations ou s’alarmer de ses incohérences. La France fait peur par sa prétention et son arrogance affichées alors que l’on assiste en direct au délitement progressif de son statut désormais dépassé. Avec un tel Président, le pays est davantage craint, et doucement moqué, que aimé et respecté. Bernard-Henri Levy ou Marine le Pen peuvent bien se rendre en Libye ou sur l’ile italienne de Lampedusa au cours de périples médiatiques : ils sont, en cela, bien à l’image de la France contemporaine et de son gouvernement experts en politique de la camera, obsédés par les images et les couvertures médiatiques. Qu’importe si l’on parle du vide, puisque l’essentiel est de parler et de faire parler.

Parlons. De l’identité nationale, de l’islam, de la laïcité, des foulards, de la longueur des robes, des poils de barbe ou de l’unité de la République. Parlons. De la France qui aime les Arabes libyens et leur pétrole et moins les Palestiniens et leur résistance ; de la France qui a peur des immigrés autant que des démocraties du Sud ; qui aime une « Union de la Méditerranée » des gouvernements sécurisés et blindés plutôt que des peuples libres et responsables. Parlons. Parlons donc. Parler et faire parler… quatorze mois encore pour espérer gagner des élections et faire perdre au peuple sa conscience pour gagner un nouvel ancien Président. Et s’il est nouveau… ce sera encore un ancien. Un frisson nous traverse et la peur nous gagne, vraiment.

© Tariq Ramadan 2008
Publié le 28 mars 2011

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Source : Tariq Ramadan
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