Intervention
Intervention à Vaux
en Velin
Tariq Ramadan
Tariq Ramadan
Vaux en Velin, le 23 décembre 2009.
Rencontre de quelque 1.500 personnes
Autour de RADJI SOURANI et TARIK RAMADAN
A l’initiative de « Génération Palestine »
Quel est le
conflit aujourd’hui qui semble capitaliser, synthétiser,
entretenir ensemble toutes les dimensions des visions Islam /
Occident ? – C’est le conflit israélo – palestinien.
L’extermination des Juifs en terre
européenne ne se discute même pas. Elle se condamne et il y a de
notre côté la reconnaissance de la souffrance d’un Peuple, la
reconnaissance de la souffrance des Juifs d’Occident. Il n’y a
jamais à discuter là dessus.
Ce qui est en question c’est
« l’instrumentalisation » de l’extermination : Se présenter
comme victime de l’Histoire pour ne pas assumer son rôle
potentiel de bourreau quand on est au Pouvoir.
C’est ça que nous contestons. C’est ça que nous
refusons : Jamais personne qui ne
fut victime hier, ne peut se prévaloir demain de ne pas
être accusé de devenir un bourreau potentiel.
Et ce que nous ne voulons pas et
n’admettons pas pour cette question israélienne, il ne faut
l’admettre pour aucun autre état sur la surface de la terre.
C’est pour nous une position de principe
qui consiste à dire :
le produit d’un acte de colonisation amène nécessairement
à opprimer un Peuple. Il y a un oppresseur et il y a des
opprimés. Cela veut dire – posé clairement comme grille de
lecture-
qu’on ne
peut pas historiquement et aujourd’hui encore, mettre les deux
Peuples sur un pied d’égalité en se disant : « Eh
bien moi je suis neutre ».
La « neutralité » bienveillante de certains
acteurs aujourd’hui est une façon d’être pro – israélien et de
laisser tomber les Palestiniens. C’est ainsi que se manifeste la
neutralité de certains et je suis assez content que l’une des
rares voix dans la politique des diplomaties consensuelles ait
été celle de la ministre des affaires étrangères de la Suisse.
Micheline Calmy-Rey disait : « Dans
la situation actuelle, la neutralité entre Palestiniens et
Israéliens consiste à prendre fait et cause pour le puissant ».
C’est là une idée que Noam Shomsky a
également développé : « La question n’est pas de savoir si les
quelques rockets qui tombaient sur Israël
étaient légitimes, - ils ne l’étaient pas-
car il ne s’agit pas d’un rapport de
forces. La vraie question est : Quand un Puissant a autant de
puissance la question éthique qui se pose est la suivante : «
Israël devait-il oui ou non intervenir de cette façon-là ? – En
tant qu’oppresseur c’était « Non ».
Toutes les résolutions de l’O.N.U., les
nombreuses négociations qui ont eu lieu, les rapports qui ont pu
être faits ont systématiquement été trahis. Quelque soit le
parti au Pouvoir en Israël, de gauche comme de droite, tous sont
d’accord sur une chose :
Gagner du temps sur la Paix pour une politique du fait
accompli.
C’est ce dont sont victimes tous le
opprimés de la terre. C’est pourquoi il ne faut pas que nous
ayons avec eux des relations d’émotion médiatique mais des
relations de connaissance pratique et concrète des faits, des
chiffres et des dates. C’est l’effort, le combat intellectuel.
Nous sommes aujourd’hui dans un vrai combat intellectuel. C’est
intelligence contre intelligence. Mensonge contre une certaine
vérité historique. Certains aujourd’hui sont invités très
souvent sur les plateaux de la télévision où ils entretiennent
le mensonge historique et face au mensonge historique il ne faut
pas de l’émotionnel. Il faut de la rigueur, il faut de la
compréhension.
Et comment s’y prend-on ? – certainement pas en étant sur
les plateaux de télé. Vous n’aurez jamais le « prime time ».
Vous ne serez pas invités au 20h00.
Par contre vous êtes dans les rues de Lyon,
vous êtes dans les rues d’Europe. C’est là qu’il faut faire le
travail . Ce que vous ne pouvez pas faire par le petit écran il
faut le faire au quotidien par l’information des gens. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle
73 % des Européens qui étaient en faveur des Israéliens
en 1967 et qu’aujourd’hui 67 % des Européens sont en faveur des
droits palestiniens. En 20 ans ça a basculé. C’est la raison
pour laquelle vous leur faites peur ….(applaudissements
prolongés)
Sous prétexte que ça semble énorme, ne
pensez pas qu’on n’y arrivera pas. Le Peuple palestinien
continue de souffrir. Oui, le Peuple palestinien continue de
souffrir. Avec ou sans nous il tiendra. Avec ou sans nous il est
debout. Il n’a pas attendu les Français de Lyon et les Européens
pour être debout. Il a toujours été debout.
Mais par contre si nous voulons être debout
avec eux, il faut savoir comment être debout là où nous sommes.
Et comment sommes-nous debout ici ? – C’est par l’étude, c’est
par la connaissance, c’est par l’information, c’est par notre
positionnement. Voilà !
La question religieuse,
elle, est réglée .
Il y a un oppresseur. Il y a des opprimés.
On est du côté des opprimés et ce que l’on veut c’est la
possibilité pour les Palestiniens d’avoir leur état, d’avoir les
droits légitimes, d’avoir l’autonomie ; d’avoir un vrai état,
pas un bantoustan, pas des confettis, pas ce mensonge
historique, pas cette espèce de faux accord en train de se
tramer, pas cette politique du fait accompli qui consiste à
faire croire que vous êtes en train de négocier alors que vous
multipliez les colonies de peuplement.
Ce qu’on attend aujourd’hui du président
Barak Obama c’est autre chose que des mots qui lui font donner
le prix Nobel de la Paix ; c’est des faits qui peut-être ne lui
auraient pas donné le prix. Car c’est bien ça la réalité ; il
n’a rien fait et il le reconnaît .
Car en l’occurrence, qu’a t-il dit ? –
qu’il faut arrêter les colonies de peuplement. Et Netanyahou a
continué mettant tout le monde devant le fait accompli. Et ça
fait combien de temps que le fait accompli est un fait accompli
qui perdure ?
Aujourd’hui – pour ceux d’entre vous qui
sont majoritaires dans cette salle - vous êtes des citoyens
européens ou des citoyens français, de confession musulmane.
Vous pouvez tomber dans un piège et ce
piège c’est :
« vous êtes pour les Palestiniens donc en fait vous êtes surtout
arabes et musulmans »
Et tout va dépendre du discours que vous
allez tenir. Pour soutenir les Palestiniens, est ce que vous
tiendrez le discours des Principes qui sont ceux de l’Universel,
ceux qui ne se discutent pas ou ceux du « Communautaire » qui
s’isole et qui se marginalise ? Etes vous capables de sortir de
cette espèce de ghetto
dans lequel on vous pousse ?
Faites attention : les grands débats français
aujourd’hui sont des débats faussement unificateurs. En cela
Daniel Kohn Bendit a raison : le discours sur l’identité
nationale qui est apparemment un discours qui rassemble est en
fait un discours pour savoir ceux qu’on exclut et ceux qu’on a
envie d’exclure sont ceux
qui seraient certes Français mais encore un peu trop
arabes, encore un peu trop musulmans, encore un peu trop
« autres »..
Il est là le piège : l’assimilation de ceux
qui développent un discours de soutien à la question
palestinienne, à ceux qui sont encore un peu trop arabe ou
musulman. Et ceux-là ont deux fois tort.
Notre discours aujourd’hui doit être –
étant Français- un discours de défense des principes qui sont
les nôtres, les principes universels partagés. Nous prenons
position au nom de tous les opprimés. Et parmi les opprimés de
la terre il y a les Palestiniens, il y a les Tibétains, comme il
y a les Africains du Congo et comme il y a d’autres politiques
africaines, politiques racistes, politiques de colonisation,
politiques de spoliation ….. (applaudissements prolongés)
Où que tu sois, quoique tu penses, si tu es
du côté des victimes au nom des principes universels que nous
partageons, eh bien ! nous sommes ensemble dans cette lutte-là.
On va
briser les
ghettos intellectuels dans lesquels on nous pousse. Car elle est
là la vraie question et c’est là que vous devez être au centre
du débat.
Mais ça veut dire une chose : il faut avoir
du courage. Il faut se lever. Il faut aller jusqu’à pouvoir
dire : « Ecoutez-moi bien ! D’abord Oui je suis Français.
Ma conscience, elle, vient d’Afrique et jamais – pour être un
bon Français – vous ne me ferez oublier que je viens d’Afrique ;
d’Afrique du Nord ou d’Afrique Noire. Je viens du Sud et
jamais vous ne me le ferez oublier. Et je suis musulman
en plus et jamais vous ne me ferez dire et jamais
vous ne me ferez penser que pour être un bon Français il
faut que je sois moins musulman.
Je vous le prouve qu’on est Français tout
en étant d’origine africaine, en ayant une conscience du Sud et
en ayant des principes religieux : c’est qu’on sait respecter la
loi commune de ce pays.
Mais on n’admettra jamais le discours de
ceux qui du haut de leurs responsabilités au gouvernement
veulent nous apprendre les « valeurs » de la France
alors qu’ils les trahissent quotidiennement.
J’ai enregistré cette intervention écoutée sur mon ordinateur et j’ai
pris le plus grand soin à
la reproduire sur papier. Vous devez pouvoir l’écouter
sur
-generation-palestine.orgTranscription: Jacques Salles
Les
textes de Tariq Ramadan
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