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Musulmans occidentaux : Ce que je crois
Tariq Ramadan
Lundi 22 septembre 2008
Cela fait vingt-cinq ans que je me suis
engagé dans la réflexion et l’action autour de la question des
musulmans en Occident. J’ai observé les évolutions de terrain,
accompagné la réflexion et participé à l’élaboration de la
nouvelle identité du citoyen européen de confession musulmane.
J’ai pu visiter la quasi totalité des pays occidentaux d’Est en
Ouest et débattu avec des politiques, des ulémas et des leaders
religieux ou associatifs. Aujourd’hui, après une génération, et
en m’appuyant sur les chiffres et les faits, je ne partage pas
le pessimisme ambiant au sujet de la présence
de l’islam en Occident.
Loin des positions des partis d’extrême
droite et de l’instrumentalisation politicienne de « la
question de l’islam »
par des leaders en quête d’électeurs qui n’hésitent pas à verser
dangereusement dans le populisme le plus simpliste (au point
d’intégrer à leurs discours une version revue des thèses de l’extrême droite), j’affirme avec
force que les communautés musulmanes vivent encore une
révolution silencieuse (intellectuelle, psychologique et
sociale) que l’on peut observer sur le terrain. Ils sont
désormais des millions à être citoyens européens (américains,
australiens, etc.) : ils parlent la langue du pays, respectent
les lois et sont loyaux à leur nation (même s’ils peuvent être
critiques sur le plan des choix politiques comme chaque citoyen
devrait pouvoir l’être). En Angleterre et en France (les deux
pays en avance historiquement quant à l’accueil des premiers
migrants musulmans), les deuxième, troisième et quatrième
générations sont désormais de plus en plus visibles dans
tous les domaines de la vie civile (universités, médias,
business, travail social, etc.) car ils sortent des anciens
ghettos géographiques et sociaux (ou ethniques) dans lesquels
leurs parents avaient été (ou s’étaient eux-mêmes) enfermés.
C’est cette nouvelle visibilité qui, paradoxalement mais assez
naturellement, fait peur : les musulmans sont nombreux, on pense
qu’ils vont changer l’Europe et l’immigration n’est pas prête de
s’arrêter (l’Europe elle-même en a besoin). Les perceptions
craintives sont en retard vis-à-vis des évolutions positives
de l’histoire et
poussent à se tromper sur l’interprétation des faits : la
nouvelle visibilité des musulmans n’est pas un signe d’isolement
communautaire mais au contraire celui d’une intégration de plus
en plus effective. Je défends l’idée qu’il faut désormais
passer, sur le plan religieux et culturel, à l’étape de la
« post-intégration » : le succès
de l’intégration est de cesser de parler
d’intégration.
L’immigration ne va pas cesser et l’on va
continuer, dans les médias, à parler des cas difficiles et des
faits divers, etc. Ces faits peuvent être parfois graves mais au
lieu d’utiliser les nouveaux immigrés musulmans (qui ont des
difficultés naturelles à s’intégrer) pour jeter la suspicion sur
tous les citoyens musulmans parfaitement intégrés, on devrait
faire le contraire : utiliser ces derniers pour accompagner
l’installation des nouveaux venus. Ce n’est pas le chemin
qu’empruntent les politiciens : embarqués dans la surenchère
médiatique et populiste, ils se laissent entraîner, à gauche
comme à droite, par la passion des controverses et
de l’usage des faits
divers qui prouveraient que les musulmans sont
« in-intégrables », comme on le disait des Italiens en Suisse ou
des Polonais en France dans les années soixante. Il faut
absolument sortir de ce climat politique malsain qui entretient
la peur et rend impossible la cohésion sociale et un pluralisme apaisé.
Le rapport de l’institut américain Pew Research Center
publié la semaine dernière révèle que près de la moitié des
Européens (45%) ont une image négative
de l’islam alors que l’antisémitisme augmente
parallèlement de façon inquiétante. Au lieu de ne penser qu’à
gagner les prochaines élections, les politiciens devraient de
préoccuper de ce problème majeur pour l’avenir de nos sociétés.
Les musulmans ont également une grande part
de responsabilité s’ils veulent inverser
la tendance. Comme
je le répète depuis des années, il leur appartient de prendre la
mesure des peurs de leurs concitoyens et de tenir un discours
clair. Il existe bien sûr des politiciens ou des intellectuels
qui utilisent « la question islamique » en cherchant la
stigmatisation mais la majorité des citoyens ont des
questionnements sincères qu’il faut entendre et auxquelles il
faut répondre. Il faut commencer par cesser de se penser
minoritaires et d’entretenir une attitude victimaire (de
victimes). Comme je l’explique dans mon court ouvrage de
clarification
qui est paru hier, Islam e Liberta, il faut que les
citoyens européens de confession musulmane tiennent des propos
clairs sur l’impératif respect des lois, contre la violence
terroriste, pour l’amélioration du statut des femmes et
s’inscrivent dans leur société en s’intéressant à toutes ses
dimensions (et pas seulement à l’islam) . Ils ont commencé à le
faire mais ils faut aller plus loin. Les musulmans devraient
être les premiers à refuser d’ « islamiser » les problèmes
sociaux du chômage ou de la violence urbaine. Ces questions
n’ont rien à voir avec le religieux ou le culturel mais sont des
problèmes socio-économiques qui requièrent des politiques
sociales. Il faut le rappeler aux politiciens en manque de
projets et s’engager fortement dans ces domaines.
Il est l’heure pour les citoyens musulmans
d’être une force de contribution. Leur présence doit devenir
positive par ce qu’ils apportent au niveau social, politique,
culturel. Leur ouverture à la communication interculturelle et
interreligieuse, la créativité (sociale et artistique), l’apport
critique (en tant que citoyens, en matière de politique
domestique et étrangère) et l’engagement solidaire doivent
transformer leur présence en un message : nous avons tant de
valeurs en commun et notre présence n’est pas un problème pour
l’avenir mais une promesse d’enrichissement mutuel.
Sources : Il Riformista
© Tariq Ramadan 2008
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