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Le langage des « tripes » et le racisme
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Vendredi 18 décembre 2009

Il y aura des joies, du bonheur, des larmes, des souffrances et bien des doutes sur le sens de la vie, les signes, les absences et la mort. Si l’on se prend à regarder autour de soi, à observer les individus et les sociétés, à étudier les philosophies et les religions, on comprend que notre solitude est partagée. Notre solitude est plurielle, notre singularité est ressemblance. Pourtant les chemins sont multiples et les voies infinies, depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre époque, dans nos villes, nos rues, notre voisinage : cette unique humanité se distingue par sa diversité et ses différences. Nous n’avons pas le choix, finalement.

Cette disposition intellectuelle suffit-elle pourtant à accéder à l’acceptation du réel et de sa diversité ? Nous suffit-il d’observer et de savoir que nos quêtes et nos espérances sont identiques, que nous avons à composer avec nos différences, pour pouvoir effectivement reconnaître nos similarités et gérer positivement nos distinctions ? Assis devant un bureau, attablés à un café ou au moment du repas, dans nos salles de classe, nos salons, nos salles à manger ou nos salles de conférence et de congrès… tout cela est possible, dit et répété, avec la conviction et la sagesse de nos intelligences et de notre humanité. La grandeur d’âme des êtres humains, en théorie, ou lorsque leur quotidien ou leurs richesses ne les exposent que très marginalement à la différence de l’autre, est bienvenue, certes, mais elle ne dit rien sur la vie ni ne résout rien aux difficultés de la diversité. Élaborer de grandes et belles philosophies de la tolérance et du pluralisme quand nos modes de vie nous ont enfermés dans l’univers clos des amis qui nous ressemblent est une pétition de générosité très virtuelle. De bonnes intentions. Cela équivaut à s’afficher, intellectuellement, antiraciste alors que dans son quotidien l’on ne croise pas, ou si peu, de Noirs, d’Arabes ou d’Asiatiques (ou de Blancs, ou autres, quand on est Noir, Arabe ou Asiatique). Être contre l’antisémitisme ou l’islamophobie en vivant, volontairement ou non, à une distance respectable des juifs et des musulmans est une disposition d’esprit honorable mais, au fond, elle ne révèle rien des véritables dispositions personnelles de l’être humain qui théorise ainsi. Le ghetto a ses caractéristiques et ses conséquences : qu’il soit physique, social, intellectuel ou mental, il nourrit toujours chez ses membres des projections plus imaginaires que vraies sur soi ou le monde environnant. Dans les ghettos de l’intelligence et des théories idéalistes, il est beaucoup d’intolérants et de racistes qui s’ignorent. Assurément.

Observer l’horizon, appréhender, en conscience et en intelligence, la diversité nécessaire des êtres humains, des routes et des chemins n’est que le début du défi. Cela ne suffit pas, cela ne suffit jamais. Faire face et gérer la diversité cela exige de sortir des belles idées théoriques et idéalistes et de se plonger dans la vie réelle ; de se libérer du ghetto de la noble et sécurisée intelligence pour pénétrer dans l’univers des émotions brutes, tenaces, parfois folles et dangereuses ; de passer de l’ordre maîtrisé de l’esprit aux tensions et aux désordres chaotiques du cœur et des entrailles … des « tripes » pour utiliser le langage commun bien plus expressif. Vivre et rencontrer l’autre, avec ses différences de peau, de tenues vestimentaires, de croyances, de coutumes, d’habitudes et de psychologie et de logique intellectuelle nous renvoie à nous-mêmes, à nos horizons intérieurs, à nos intimités. Notre esprit n’est point maître de tout : nos certitudes et nos habitudes peuvent être simplement ébranlées, mais nos émotions réagissent et s’expriment également. Loin des salons et des salles de conférences, elles peuvent aisément prendre possession de nous. L’autre, tous « les autres » et toutes leurs différences visibles et/ou supposées, sont les révélateurs des dimensions autant lumineuses que sombres de notre humanité. Si « les autres » paraissent convaincus et sereins, alors que nous ne sommes nous-mêmes pas sûrs de nos vérités ; s’ils dérangent notre espace vital par leur visibilité ou perturbent nos habitudes par leur présence ; s’ils semblent nous voler le peu d’emplois à partager ; si leurs richesses nous rappellent nos difficultés, voire notre pauvreté… alors ils réveillent en nous des émotions qui sont à l’être humain ce que l’instinct de survie est à l’animal. La réaction est à peine contrôlable : tous les beaux discours volent en éclats, nous voilà renvoyés à notre humanité brute et il faut composer avec des émotions, des dispositions du cœur et nos « tripes », qui colonisent notre esprit avec la peur, la suspicion, le rejet et les préjugés. Le racisme purement intellectuel est minoritaire, souvent marginal. Ce qui nourrit le rejet de l’autre – consciemment ou non – est toujours un mélange de doute, de crainte, d’insécurité, d’habitudes perturbées, mêlés à des rapports de richesse, de nombre et de force réels ou fantasmés : les problèmes du quotidien, l’immigration, le chômage, la pauvreté, la sensation d’être dépossédés, envahis, etc. Nous sommes bien au cœur de l’humanité et de la vie : on peut bien mépriser et condamner les dogmatiques et les racistes dans les espaces feutrés de nos salons et de nos salles de réunion, mais il est bien injuste de ne pas prendre l’exacte mesure des peurs et des doutes – souvent très instinctifs – qui, en situations concrètes produisent les pires rejets de l’autre. Il ne s’agit pas de justifier ou de minimiser le racisme, l’intolérance et la xénophobie, mais bien de comprendre d’où ils naissent, comment ils prennent corps et comment, enfin, ils peuvent être alimentés et instrumentalisés. La force des discours populistes de rejet tient exactement à cette capacité de réveiller et d’atteindre les émotions brutes, les peurs, les « tripes », et de leur donner des raisons et des explications simplifiées. Les discours théoriques idéalistes doivent se réconcilier avec la vie et ne rien mépriser des dimensions réalistes de l’humain.

© Tariq Ramadan 2008

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Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...


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