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Tariq Ramadan.com

60 ans de Droits Humains et La Liberté
Tariq Ramadan

Mercredi 17 décembre 2008

A l’heure où nous fêtons les soixante ans de la Déclaration des Droits de l’Homme, les rencontres de commémoration se multiplient à travers l’Europe. L’Agence Européenne pour les Droits Fondamentaux organisait à Paris (les 8 et 9 décembre derniers) une conférence internationale sur les droits fondamentaux et la liberté d’expression sous le patronage de la ministre de la Justice, Rachida Dati, qui ouvrit les débats. Les exposés introductifs mettaient en évidence les nouvelles potentialités et les nouveaux dangers de l’expression libre, des impératifs de sécurité, des dangers d’internet, de la diffamation, etc. Pour rééquilibrer le propos, la journaliste française, qui avait été kidnappée en Irak, Florence Aubenas, est venue rappeler que la liberté d’expression est de plus en plus en danger et non pas seulement dans les dictatures et les pays du Tiers-Monde. Du meurtre de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, qui avait couvert courageusement la guerre en Tchétchénie, aux intrusions du pouvoir politique en France avec un Président qui acquiert le droit de nommer le président de France-Télévisions (les chaînes publiques), Florence Aubenas tenait à relever que les journalistes voyaient jour après jour leur liberté se restreindre au nom de la guerre contre le terrorisme, la sécurité ou des raisons de politiques politiciennes. Le rapporteur des Nations Unies sur les questions relatives au racisme, Doudou Diene, ajouta qu’il ne fallait pas oublier la pression des grands groupes économiques de même que les questions relatives aux immigrés à qui, aux frontières de l’Europe et parqués dans des centres d’accueil, on refuse un semblant de liberté d’expression.

Le tableau est assez illustratif : la liberté d’expression n’est pas dans le meilleur état de santé et nos démocraties doivent s’engager dans un travail profond pour améliorer les choses. La lutte contre les dictatures, la libération des opposants politiques, la sécurité et le droit de la critique pour les journalistes sont autant de causes à défendre à travers le monde. Mais au cœur des sociétés démocratiques, il faut également s’engager à la responsabilisation des citoyens qui négligent les libertés qui leur sont offertes, défendre les droits des immigrés, protéger le service public des diktats de l’économie et de la politique. Sortir du régime de la peur qui nous transforme en victime trop souvent consentante pour nous engager avec volontarisme dans un processus de responsabilisation collective qui nous transformerait en « sujets », en citoyens libres et responsables connaissant leurs droits et en usant de façon rationnelle et raisonnable. L’objectif est louable mais est-il seulement possible d’opérer cette réforme, cette révolution d’intelligence, qui nous permettent de nous réapproprier l’essence de la liberté et les moyens de son expression.

Au lieu de s’embourber dans des débats stériles qui stigmatisent les politiciens responsables des politiques sécuritaires d’une part ou l’impéritie des journalistes peu formés ou seulement avides de « scoop » d’autre part, il semble plus effectif de commencer par le commencement. Il faut bien sûr une approche critique et constructive des sociétés démocratiques, des politiques sécuritaires ou d’immigration, des médias et des pouvoirs, mais au bout du compte rien ne sera effectif si les citoyens ne sont pas mis en face de leurs responsabilités. Et cela commence sur les bancs de l’école. Comment protéger la liberté des femmes et des hommes si rien n’est dit à l’école sur les médias, leur fonctionnement, leur pouvoir et l’information en général (la télévision, les journaux, internet et les moyens alternatifs) ? Vis-à-vis des medias nous produisons et entretenons un analphabétisme en complète contradiction avec les valeurs démocratiques que nous prônons. Voilà donc nos sociétés démocratiques formant des citoyens sans leur donner les outils pour comprendre la force, les moyens et le fonctionnement du pouvoir médiatique qui est devenu le premier pouvoir dans le façonnement des représentations dans l’espace public et la vie politique en général. Eduquer et instruire, c’est rendre un individu autonome, possédant les moyens de l’analyse et de la critique et donc les moyens de sa liberté : nos sociétés modernes travaillent contre elles-mêmes si elles ne se penchent pas de façon plus déterminée sur l’ « alphabétisation médiatique » dès le plus jeune âge, officiellement et de façon transdisciplinaire, dans les programmes des écoles publiques et privées. Il s’agit d’apprendre à recevoir une information, à l’analyser, à la comprendre et à la mettre en perspective (historique, géographique, contextuelle) : ce travail doit se nourrir d’études sur l’image, le commentaire, le pouvoir de la langue (et par conséquent sa maîtrise).

Au moment de fêter les soixante ans de la Déclaration des Droits de l’Homme, nous sommes renvoyés aux fondamentaux de sa philosophie : il importe de donner aux femmes et aux hommes les moyens de leurs droits. La liberté, à l’évidence, mais également l’éducation, la conscience critique, la langue, la compréhension de l’environnement humain et social, la capacité d’analyse des pouvoirs (de tous les pouvoirs). Les droits fondamentaux, dont la liberté d’être et de s’exprimer, sont l’objet d’une quête permanente et c’est à l’école que l’on doit apprendre la lucidité de la critique autonome comme impératif à l’aliénation possible des libertés collectives.

© Tariq Ramadan 2008



Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...


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