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Barack Obama : Espoir sans Naïveté
Tariq Ramadan
Mardi 11 novembre 2008
Les huit années qui viennent de passer sous la présidence de
George W. Bush et de son administration nous ont habitués a
tellement d’erreurs, de mensonges, d’instrumentalisations et de
manipulations politiciennes que l’on ne peut que se réjouir
qu’une page se tourne enfin dans l’histoire des Etats-Unis. A
partir de septembre 2001, l’essentiel du propos politique de
l’administration Bush s’est concentré sur la guerre « contre le
terrorisme », « contre les Talibans », « contre Saddam Hussein »
et plus largement « contre l’axe du Mal ». Les citoyens
américains ont peu à peu pris conscience du vide de cette
rhétorique guerrière, et arrogante, dont le candidat John McCain
ne s’est finalement pas vraiment distancer. Barack Obama est
désormais le président des Etats-Unis et on peut saluer cet
événement pour de nombreuses raisons sans tomber dans
l’évaluation naïve des perspectives d’avenir.
Les racines, le passé et les multiples identités culturelles de
Barack Obama contrastent furieusement avec le profil de George
Bush ou de John McCain. Il a forcément une compréhension et un
rapport différents avec les autres pays du monde, et notamment
ceux du Sud, et avec la société américaine elle-même. C’est à
partir de ce capital d’être et d’expérience que l’on est en
droit d’espérer de nouvelles politiques intérieures et
internationales. Sur le plan fondamental, Colin Powell avait
justement posé les termes de la question : Barack Obama n’est
pas musulman, il est Noir et chrétien mais, au fond, qu’y
aurait-il de mal à ce qu’il soit musulman ? Y a-t-il un problème
à être « African-American » et/ou musulman dans l’Amérique
d’aujourd’hui ? Alors que l’Amérique semble s’accommoder
majoritairement de l’élection d’un Noir, tout semble montrer
qu’un nouveau racisme antimusulman s’est installé après
septembre 2001. Face à ces peurs et à ces positionnements
ethniques et religieux, l’origine et le passé de Barack Obama
devraient lui permettre de devenir le président de tous en
refusant paradoxalement les faux clivages, l’ethnicisation, la
culturalisation ou la « religionisation » de la question sociale
aux Etats-Unis. Barack Obama ne deviendra le symbole d’une
nouvelle Amérique que s’il utilise son statut de président afin
de promouvoir des politiques intérieures qui défendent l’égalité
des citoyens, la justice, la lutte contre les discriminations à
l’emploi ou à l’habitat, de nouvelles politiques urbaines. Une
politique intérieure qui répartissent mieux les opportunités et
les pouvoirs entre les citoyennes et les citoyens de quelque
origine qu’elles/ils soient. La force du premier président noir
sera de faire oublier sa couleur pour se préoccuper
exclusivement de promouvoir des politiques sociales égalitaires
et sans couleurs. Le pari n’est pas gagné.
Sur le plan
international, Barack Obama devrait enfin mettre un terme à la
surdité de l’administration précédente qui s’efforçait de
persuader les Américains que ceux-ci étaient « victimes »
d’agresseurs qui « détestaient » leur civilisation et leurs
valeurs. Au-delà de la condamnation des attentats terroristes –
qui est quasi unanime et qui ne doit souffrir aucune condition -
, il faut entendre les critiques et les griefs qui proviennent
des populations du monde entier. La politique de Bush a engendré
un rejet internationalement partagé des Etats-Unis. Il faudra
commencer par des actes symboliques mais qui montrent clairement
que pour le nouveau président la vie d’un Afghan, d’un Irakien
ou d’un musulman a autant de valeur que la vie d’un Américain.
Que l’on cesse ce langage arrogant et guerrier et que l’on ferme
les prisons de la honte à Guantanamo mais également en Afrique
et à travers le monde. Barack Obama ne peut plus justifier, au
nom de la sécurité des Etats-Unis, la mort des innocents, la
torture légalisée et les traitements indignes dans les
extraditions et jusqu’à la gestion discriminatoire des visas
américains. Si les origines multiples de Obama sont porteuses
d’espoir c’est dans l’exacte mesure où elles devraient lui
permettre de rester ouverts et non pas justement pour qu’il s’y
enferme aveuglément en les utilisant comme un prétexte ou un
alibi.
La campagne
nous a montré qu’il ne fallait pourtant pas se faire trop
d’illusions. Les changements pourront être conséquents dans
certains domaines mais ils resteront très relatifs dans
d’autres. Le conflit israélo-palestinien est central pour la
paix du monde et on a pu voir Barack Obama tenir des propos
tellement en faveur d’Israël (devant le lobby pro-israélien
américain AIPAC) qu’il y a fort à parier que rien ne changera
substantiellement sur cette question. Comme d’ailleurs sur la
politique destinée à faire face à la crise économique globale.
On semble, dans ces deux domaines (soutien à Israël et défense
l’économie libérale), toucher à des espaces sacrés, à des
dogmes, que personne ne semble avoir le courage de questionner
aux Etats-Unis. L’avenir du monde dépend pourtant de ce conflit
local-global et de l’ordre économique international.
Il faut
donc entretenir un espoir mesuré. Il est certain que des choses
changeront, positivement, avec l’avènement de Barack Obama. Il
faut les saluer sans perdre sa capacité critique quant aux
sacro-saints dogmes de l’establishment qui peine à reconnaître
la dignité du peuple palestinien et les dégâts d’un ordre
économique qui, au bout de sa logique et des endettements, tuent
des millions d’innocents à travers le monde et jettent
aujourd’hui des familles entières d’Américains à la rue. Au
sortir d’une campagne électorale qui n’a jamais été aussi
couteuse, il est bon de se souvenir que les victimes de la crise
économique globale seront désormais autant américaines
qu’africaines ou asiatiques. C’est à l’aune de ces défis que
Barack Obama prouvera ou non qu’il est le président de tous et
du vrai renouveau.
Les
musulmans aux Etats-Unis et à travers le monde sont
majoritairement satisfaits : ils espèrent voir la fin de ces
politiques de la peur, de la méfiance et de la polarisation
répandues par l’administration Bush. Les musulmans ont néanmoins
leur part de responsabilité : se libérer de la mentalité de
victime, être plus cohérents avec leurs propres valeurs, se
libérer de leur ghetto intellectuel et enfin être positivement,
et de façon critique, proactifs afin de se sentir appartenir à
ce « Nous » (ce « We »), engagés dans les réformes au moment où
ils répètent « Yes, WE can ».
© Tariq Ramadan 2008
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