Accueil Actualité IRIB Dossiers Auteurs Communiqués Agenda Invitation à lire Liens Ressources
Dernières mises à jour Journaux de Cathy et Marc Plateforme tourquennoise Les vidéos Centre d'infos francophone Ziad Medoukh Centre de la Paix Gaza Université al-Aqsa Gaza Qui? Pourquoi?

Google
sur le web sur Palestine Solidarité

 

Centre Palestinien
d'Information :




Invitation à lire :





BDS :



Solidarité :



Produits palestiniens :



En direct d'Iran :



Palestine Solidarité
sur Facebook :






Egypte

Les Frères Musulmans face à l'Histoire
Tariq Ramadan


Tariq Ramadan

Lundi 11 juin 2012

L’évolution de la situation en Égypte est quelque peu déroutante, pour ne pas dire inquiétante. J’ai écrit, dit et répété que le soulèvement qui a mené au 25 janvier 2011, n’était pas aussi spontané qu’il apparaissait et que, depuis, l’Armée (ou en tous les cas une tendance à l’intérieur du Conseil Supérieur des Forces Armées - CSFA) n’avait jamais complètement perdu le contrôle de la situation. Les choses se confirment avec, en sus, l’étonnante condamnation de l’ex-président Hosni Mubarak et l’acquittement des autres accusés (dont ses enfants : leur implication dans les officines sombres de l’ancien pouvoir et leur rôle dans la corruption sont pourtant de notoriété publique). Tout se passe comme si nous assistions à une mise en scène du changement avec le retour du même qui, dans le processus, s’est libéré des éléments gênants tout en consolidant sa légitimité politique, militaire et économique. Me reviennent en mémoire les propos que m’avaient murmurés l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, M. Henri Guaino, lors d’un débat télévisé (novembre 2011) : "Il n’y a pas de révolution en Égypte, il y a eu un coup d’Etat militaire". À méditer.

Le candidat des Frères Musulmans (FM) est arrivé en tête du premier tour et il est bon, avant d’étudier ce résultat, de revenir quelque peu en arrière et d’ analyser quelles furent les positions de l’organisation. Les FM n’étaient pas présents au début des manifestations et c’est très tard (la veille du 25 janvier officiellement) qu’ils ont rejoint le mouvement populaire mobilisé contre le régime dictatorial de Mubarak. La jeune génération des FM a poussé les leaders et les tensions et les divisions internes ont été conséquentes et ont laissé des traces. Les FM ont su se trouver une place dans le soulèvement grâce à leur crédibilité historique en tant qu’opposants (ils ont été torturés, emprisonnés, exilés), au fait de se présenter comme les gardiens de la référence islamique, ainsi qu’à leur très bonne organisation et capacité de mobilisation sur le terrain. Ils étaient assurés d’un bon résultat aux élections parlementaires. La participation surprise et le succès impressionnant des salafis - dont la présence était clairement destinée à les gêner - a placé les FM dans une position délicate entre l’Armée, les laïques et les salafis. Des membres de l’organisation ont dialogué avec l’armée et ne s’en sont pas cachés. La perspective de s’assurer un rôle majeur et de protéger les acquis ont imposé des stratégies qui ont parfois éloigné l’organisation du peuple et de ses aspirations et les a amenés à composer avec le CSFA. La réaction a été timide lorsque le comité chargé d’écrire la Constitution a été démantelé maintenant pourtant toutes les décisions politiques et électorales dans un flou peu satisfaisant en terme de transparence des processus démocratiques et du rôle et de la légitimité des institutions.

Ils avaient annoncé que leur parti, Liberté et Justice, ne présenterait personne aux élections présidentielles et ce fut l’une des raisons du renvoi de Abd al Munaim Abu al Futuh de l’organisation (lequel s’était opposé à cette décision). Or, ils décidèrent soudain de présenter un, Keirat al-Shater, puis deux candidats, avec Muhammad Morsi. Étrange revirement poussé soit par la certitude de pouvoir l’emporter, soit par les encouragements intéressés du CSFA désireux de diviser les rangs des opposants. Au lieu de s’en tenir à leur rôle de parti de contre pouvoir, les voici engagés dans une course à la présidence qui a imposé des compromis, laminé les fondations de leur crédibilité et fait naître des questions sur leur choix et le rôle que l’Armée jouait et entendait leur faire jouer. Les résultats du premier tour des élections présidentielles (annoncées comme transparentes) étaient bien surprenants : Muhammad Morsi est sensiblement en tête devant le candidat de l’ancien régime, ami de l’Armée, et protecteur, en sus, d’anciennes chasses gardées économiques et de troubles intérêts financiers. Il n’y a pas eu de fraude nous dit-on : les résultats, néanmoins, n’auraient pas pu mieux correspondre aux intérêts de la nouvelle tendance qui tient les rênes de l’Armée de l’après Moubarak. Troublant à tout le moins.

Arrivés en tête, les Frères Musulmans ne pouvaient naturellement pas contester les résultats. Tous les autres candidats sont restés prudents. Les jours qui ont suivi les élections ont mis en évidence des signes perturbants. Des ralliements étranges, des prises de positions singulières de tels ou tels candidats avec le sentiment, pour le peuple, d’être placé devant un choix difficile et bien insatisfaisant. Un candidat tellement proche de l’ancien régime et un parti représentant une organisation dont les messages ont été peu clairs, contradictoires : il représente sans doute un tiers des aspirations populaires mais aussi celui qui a accepté de composer avec les militaires en étant d’abord préoccupé de son gain politique. Encouragés, voire illusionnés, par les exemples turcs et tunisiens, les Frères Musulmans semblent avoir pensé que leur heure était venue. On ne peut pourtant manquer de compter, au cours de ce processus, une suite d’erreurs de calcul, voire de fautes politiques, qui pourraient coûter cher, non seulement à l’organisation mais également au pays entier et à son avenir. La gestion de la diversité des opinions, en interne ; les règles d’affiliation exclusive au nouveau parti créé ; l’absence d’écoute de la jeunesse ; les renvois des voix dissidentes ; le choix de se présenter aux élections présidentielles ; les relations avec l’Armée, etc. sont autant de faits qui posent question sur les orientations et les objectifs de l’organisation. Tout porte à croire, a fortiori, après le premier tour des élections, que les Frères Musulmans ont peut-être simplement servi de faire valoir à l’Armée. La victoire de Ahmad Shafiq est aujourd’hui très probable tant les cartes ont été troublées et les partisans de l’ancien régime habiles. La condamnation à perpétuité de Moubarak et la relaxe de ses enfants et des autres accusés est à lire au-delà des apparences. Loin de jouer en faveur des FM, elle révèle la présence forte du CSFA derrière la scène, et la mise en scène. Dans le nouvel ordre, certains seront protégés, d’autres simplement éloignés mais dans le nouveau régime, il demeurera beaucoup de pratiques anciennes.

L’exemple tunisien (et le précédent turc) a, en même temps que l’aspiration de reconnaissance (après plus de soixante années d’opposition et de clandestinité), trompé les leaders de l’organisation et du parti qui se retrouvent premiers et pourtant coincés au terme du premier tour. Les FM auraient-ils été utilisés pour légitimer un changement de régime démocratico-militaire mais assurément pas si transparent qu’il n’y parait ? Ils y ont laissé une part de leur crédibilité assurément. S’ils gagnaient les élections néanmoins (ce serait bien surprenant), ils se trouveraient dans une situation politique quasiment intenable avec des défis politiques, sociaux et économiques qu’ils auraient bien du mal à relever. Leur situation n’a en cela rien de comparable avec celle de la Turquie : ils peuvent bien avoir fait le choix similaire de l’économie capitaliste dominante (en étant prêt à traiter avec le FMI et la Banque Mondiale), les moyens économiques de l’Egypte n’ont rien d’identiques à ceux de la Turquie et leur place au Moyen-Orient est autrement plus sensible (notamment quant au conflit israélo-palestinien). Ainsi, à bref ou à long terme, qu’ils perdent ou qu’ils gagnent les élections, tout porte à croire que la victoire ne sera pas au rendez-vous.

La situation de l’Égypte est grave. Le second tour approche et les deux scénarios qui se présentent ne portent que très peu de promesses de stabilisation et de paix sociale. Si Ahmad Shafiq revenait au pouvoir, il se peut que certains veuillent redescendre dans la rue et il y a fort à parier que, cette fois-ci, l’armée ne sera ni attentiste ni observatrice (comme elle le fut, au début de 2011) s’appuyant désormais sur la légitimité démocratique issue des urnes. Espérons que le peuple, et les jeunes, sauront rester mobilisés sans tomber dans le piège de la violence. Le printemps égyptien est loin et la révolution vient peut-être juste de commencer, ou peut-être est-elle déjà avortée... si même elle a existé.

© Tariq Ramadan 2010
Publié le 11 juin 2012

 

 

   

Le sommaire de Tariq Ramadan
Le dossier Egypte
Le dossier religion musulmane
Les dernières mises à jour



Source : Tariq Ramadan
http://www.tariqramadan.com/...

Les avis reproduits dans les textes contenus sur le site n'engagent que leurs auteurs. 
Si un passage hors la loi à échappé à la vigilance du webmaster merci de le lui signaler.
webmaster@palestine-solidarite.org

Ziad Medoukh :



Analyses et poèmes...


Silvia Cattori :


Analyses...


René Naba :


Analyses...


Manuel de Diéguez :


Analyses...


Fadwa Nassar :


Analyses et traductions...


Alexandre Latsa :


Un autre regard sur
la Russie ...


Ahmed Halfaoui :


Analyses ...


Chérif Abdedaïm :


Chroniques et entretiens ...