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La Seconde
Proposition
Tariq Ramadan
Tariq Ramadan
Mardi 4 janvier 2011
Partout en Europe, et en Occident de façon générale, les
partis populistes et/ou d’extrême droite, ont le vent en poupe.
Election après élection, votation après votation, ils gagnent du
terrain et réussissent à capitaliser des victoires en jouant sur
les peurs, l’insécurité et, surtout, l’absence de discours
politiques clairs de leurs opposants. Tous les partis d’extrême
droite, qui sont xénophobes, racistes, avec des revendications
fascisantes, sont populistes mais toutes les tendances
populistes ne sont pas d’extrême droite. Ou, en tous les cas,
pas clairement et pas sur tous les sujets. Leur objectif
essentiel, dans la quête du pouvoir, est de répandre la peur et
le sentiment d’insécurité afin de les instrumentaliser en
ciblant un coupable, cause simplifiée de tous les problèmes. On
peut mettre en évidence les caractéristiques du discours et de
l’engagement populistes :
- a. Entretenir « une politique des sentiments
populaires » (peur, insécurité, doutes, etc.), une politique
d’abord émotionnelle ;
- b. Présenter de façon simplifiée et simpliste les causes
des problèmes (visibles et immédiatement ressenties comme
telles par le citoyen ordinaire) ;
- c. Désigner un coupable émotionnellement consensuel
(l’étranger, l’autre, l’immigré ou celle et celui qui est
perçu comme tel) ;
- d. Présenter la nation, et le mouvement populiste
lui-même quand il attaqué, comme une victime de ce coupable
désigné, de l’autre, de l’étranger, de l’ épouvantail, ou
plus largement de tous ceux qui s’opposent à ses thèses.
Politique émotionnelle, simplification et simplisme,
désignation d’un coupable identifiable et entretien du sentiment
victimaire sont les quatre caractéristiques des mouvements
populistes contemporains qui progressent très rapidement : si on
y ajoute le nationalisme aveugle, la haine de l’autre, la
préférence nationale raciste, on verse alors dans les thèses
d’extrême droite.
Il importe donc d’identifier et de déterminer la dangerosité
des thèses et non pas seulement de qualifier les acteurs ou les
partis. Dans les paysages politiques européen, nord-américain ou
australien, on voit aujourd’hui des partis dits traditionnels,
de gauche comme de droite, s’en prendre à certains autres partis
ou mouvements en les qualifiant d’ « extrême droite » mais
ceux-là ne développent aucun discours clair quant aux thèses
véhiculées par ceux-ci. Nous assistons parfois au phénomène
exactement opposé (profondément inquiétant pour l’avenir de nos
sociétés occidentales) : certains partis ou courants politiques
– qui se targuent de n’avoir rien d’extrême – n’ont de cesse de
diaboliser « les partis d’extrême droite » alors que dans les
faits ils normalisent leurs thèses populistes : comme si ces
dernières n’étaient pas dangereuses en elles-mêmes (et non pas
parce qu’elles sont les prémisses des dérives fascisantes) ! Les
partis populistes, face à l’absence de vision et de courage
politiques de leurs adversaires, ont effectivement le vent en
poupe : le sentiment d’insécurité gagne et les réponses les plus
simplistes sont les plus entendues. Sans compter que les medias
sont pris au piège d’un cercle très vicieux : en parlant de
l’insécurité et des faits divers qui intéressent forcément le
public (et font donc de l’audimat) et en rendant compte des
thèses controversées des populistes (qui, à dessein, jouent de
la provocation et de l’excès avec des affiches ou des phrases
chocs), les medias diffusent leurs positions, leur donne une
exposition à nulle autre pareille et leur permet une pénétration
très large au sein de public. Les élections et les votations se
suivent de surcroît : le temps politique est un temps court,
presque immédiat, il faut parler vite, simple, au sentiment des
peuples davantage qu’à l’intelligence des nations.
Le phénomène se généralise, notre époque est dangereuse. A
l’heure où les partis populistes ciblent l’étranger, l’immigré,
et désormais, trans-nationalement, le « musulman » et sa
visibilité (qui après cinq, quatre, trois ou deux générations
est, et demeure, « l’autre », ce colonisateur silencieux et
dangereux dont l’Occident serait « la victime ») ; à cet heure,
qu’entend-on des partis traditionnels, des acteurs politiques
avocats du pluralisme, des droits de l’homme et de la
tolérance ?! Trop souvent des discours creux, des contorsions
intellectuelles, voire des démissions coupables et complices.
Des réponses en demi-teinte comme le regrettait récemment Jürgen
Habermas, dans un article publié dans le New York Times, en
relation avec les récentes controverses en Allemagne et en
Europe.
Lors du référendum suisse contre la construction des minarets
lancé par le parti populiste de l’Union Démocratique du Centre
(UDC), on a pu relever des postures politiques très étranges. La
quasi-totalité des partis suisses s’étaient opposés à cette
initiative interdisant la construction des minarets et pourtant
57% des Suisses l’ont soutenue (à la surprise de l’UDC
lui-même). Or à l’analyse des thèses des opposants à l’UDC, on
constate que leur propos n’est ni clair ni rassurant. J’ai pu
prendre part à de nombreux débats (universités, meetings
politiques, etc.) et chaque fois qu’un opposant à l’UDC (partis
socialiste, radical, démocrate-chrétien, libéral, travailliste,
etc.) prenait la parole, elle/il commençait sa phrase (complexe,
à deux propositions) en dénonçant les positions intolérables de
l’UDC en ajoutant, dans la seconde proposition, qu’elle/il ne
démissionnait néanmoins pas face aux critiques
nécessaires et aux questionnements concernant l’islam, la
« charia », la violence, les droits des femmes, l’homosexualité,
le « voile », la burqa, etc. Ce positionnement tenait autant de
la prudence que du calcul politicien : il acceptait, et
entretenait, la confusion entre des principes inaliénables qu’il
faut octroyer à tous égalitairement (et qu’il faut avoir le
courage de défendre jusqu’au bout, même contre le sentiment
populaire) et des questions, toujours les mêmes, nourrissant la
peur (certaines peuvent bien sûr être légitimes et l’on
peut/doit les adresser à certains musulmans étant entendu que la
plupart des occidentaux musulmans respectent les lois et
deviennent chaque jour davantage des citoyens ordinaires). Le
représentant du parti populiste avait beau jeu de réagir à ces
contorsions avec une phrase simple à une seule proposition : sa
position claire sur-les-musulmans-qui-nous-menacent, simpliste
sur les causes, parlant directement à l’émotion, loin des
nuances gênées, emportait forcément l’adhésion à grande échelle.
Aux Etats-Unis, en Australie, aux Pays-Bas ou en France, le
phénomène est le même. Les propos scandaleux du Front National,
par la voix de Marine le Pen, font face à la même diabolisation
de son parti au moment où on assiste à la normalisation
insidieuse et assurée de ses thèses. Il faut stopper
« l’islamisation » dont est « victime » l’Occident scandent ceux
qui organisent un meeting à Paris avec le réseau raciste de
Riposte Laïque (et autres mouvements populistes et extrémistes,
invitant, le porte parole de l’UDC suisse Oskar Freysinger promu
au rang de « star »). Qui trouve-t-on qui manifeste son rejet de
leurs « thèses dangereuses » ? Des responsables politiques, des
intellectuels ou des journalistes dont la position idéologique
n’est de loin pas clair vis-à-vis de l’islam. Au nom de sa lutte
contre « l’intégrisme » ou « l’islamisme », une Caroline Fourest
ou un Bernard Henri Levy (dans une chronique du Point, au
demeurant comique par la grossièreté de ses erreurs) n’ont de
cesse de présenter le « bon islam » de Ayaan Hirsi Ali (une
populiste néerlandaise, athée, qui travaille aujourd’hui chez
les néo conservateurs américains et qui affirme sans ambage que
le problème c’est l’islam en soi) [2]
ou encore de Taslima Nasreen, athée également, et farouchement
anti-religieuse, qui pense que la construction de mosquées
entachent le paysage et les libertés d’autrui. On peut
diaboliser les extrêmes et se présenter comme des
progressistes : dans les faits, ceux qui protestaient contre les
thèses populistes et/ou d’extrême droites sont souvent celles et
ceux qui ont permis d’alimenter et de conforter ces dernières.
On pourrait multiplier les exemples, des Etats-Unis à
l’Australie : le populisme se répand par sa clarté
simplificatrice face à des partis politiques ou à des
intellectuels obsédés par les prochaines élections, colonisés
par la peur, peu courageux ou défendant des agendas peu clairs
sur le plan national ou international.
Lorsque Thilo Sarrazin, membre du parti social-démocrate
(SPD), affirme que la présence musulmane rend l’Allemagne « de
plus en plus bête » et que Geert Wilders, aux Pays-Bas, compare
le Coran au Mein Kampf de Hitler, ils créent la polémique
politico-médiatique, gagnent de la publicité et ne reçoivent des
critiques parfois audibles, mais surtout ambigües : ces
dernières dénoncent l’excès d’une conclusion mais confirment la
logique du raisonnement. Le populisme gagne ainsi deux fois et
impose le cadre et l’angle des débats politiques à tous les
autres partis : leurs thèses se normalisent à mesure que les
politiques oublient les principes de justice et d’égalité, sont
obsédés par la reconnaissance populaire et se caractérisent par
une absence de vision et de courage très inquiétante. Les
avancées des néoconservateurs aux Etats-Unis, luttant contre
« l’islamisation du pays », traitant le président Barack Obama,
d’ « Arabe » et de « cripto-musulman », relèvent du même
phénomène : leur simplisme effrayant a raison de la frilosité
et/ou des contradictions de leurs opposants.
L’époque est dangereuse en effet. On sent revenir à la
surface des dérives racistes que l’on a connues en Europe dans
les années trente et quarante puis de façon plus spécifiques
dans les pays européens confrontés à l’immigration au gré de
l’histoire récente. L’islam est aujourd’hui devenu l’expression
de « la différence » difficilement tolérable et le musulman le
symbole de « l’autre » difficilement « intégrable ». En temps de
crise, « la différence » et « l’autre » sont les deux cibles des
populistes et des extrémistes en tout genre. On ne s’opposera
pas à l’évolution de ce climat délétère et à la progression de
ces courants politiques par de simples vœux pieux ou des
réactions ponctuelles à leurs excès. Il importe de se déterminer
clairement : quelles valeurs défendons-nous ? Quels principes
sont-ils inaliénables ? L’islam est-elle oui ou non une religion
allemande, anglaise, français, européenne, américaine,
occidentale ? Qui donc a intérêt, nationalement et
internationalement, à nourrir le clash des perceptions, la peur
et la haine ? Quelles sont ces alliances objectives qui se
dessinent sous nos yeux et qu’il faut dénoncer ? Plus
généralement, allons-nous enfin être clair en défendant le
traitement digne des immigrés dont nous avons besoin en Occident
mais que l’on criminalise pour assouvir le besoin de sécurité de
nos populations si aisément assoiffées d’épouvantails et de
« coupables » ?
Ces questions, il faut les poser avec détermination et
courage et loin des manipulations des populistes comme de ceux
qui s’y opposent affublés d’un opportunisme très calculé ou du
souci craintif de s’assurer un avenir politique. Où sont donc
passés les politiques courageux ? Les intellectuels engagés et
résistants ? Les journalistes opposés aux amalgames émotifs et
aux réductions simplistes ? Habermas a effectivement raison sur
ce point, la conjonction entre la montée d’un nouveau racisme et
le discrédit de la classe politique est un grave danger pour
l’Europe et l’Occident. Il faut effectivement redonner du crédit
à la pensée, à la politique et au sens de la dignité humaine et
des valeurs universellement partagées. Avec une pensée, une
vision, un discours dont les phrases complexes ne soient pas
constituées de secondes propositions lâches ou
intellectuellement malhonnêtes mais de réflexions fortes et
téméraires n’hésitant pas à aller à contre-courant quand le
courant dérive vers un populisme accepté et un racisme normalisé
et justifié. Il n’y a plus grand place pour la conscience dans
les esprits colonisés par l’ambition personnelle, les intérêts
partisans ou les peurs collectives. Ceci est une phrase simple,
à une seule proposition.
2. Les populistes ont beau jeu de montrer les contradictions
de leurs supposés "contradicteurs" sur leur site (http://www.medias-france-libre.fr/i...).
Leurs critiques sont effectivement fondées
© Tariq Ramadan 2008
Publié le 5 janvier 2011
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