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Mondialisation.ca
La mort de l'Empire
américain
Les États-Unis s’autodétruisent et entraînent le reste du
monde avec eux
Tanya Cariina Hsu
23 octobre 2008
«Je
crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour
nos libertés que le sont les armées»
(Thomas Jefferson, président américain. 1743-1826)
Les États-Unis se meurent.
Ils s’autodétruisent et entraînent le reste du monde avec eux.
On dit souvent qu’il s’agit
d’un effondrement du crédit hypothécaire à risque, ce qui voile
la vraie raison de la crise. En l’associant à la crise des
hypothèques pourries, inutiles et tangibles, on peut au moins
blâmer quelque chose de « réel » pour le carnage. C’est un
mythe, voilà le problème. L’ampleur de cet effondrement
financier est due au fait que tout était basé sur du vide.
L’industrie financière a renommé les créances garanties « swap
sur défaillance » et les paris risqués « produits dérivés ». Les
directeurs financiers et les cadres du milieu bancaire vendaient
l’ultime escroquerie au monde entier à l’instar des charlatans
vendant leurs remèdes au 18e
siècle, mais cette fois-ci en vestons et cravates. En octobre
2009, cette industrie, que peu de gens arrivaient à comprendre,
atteignait les quatrillions de dollars (1000 milliards).
Soutenus par de faux espoir,
les États-Unis tombent maintenant comme un château de cartes.
Tout a commencé au début du 20e
siècle. En 1907, J.P. Morgan, un banquier privé de New York, a
propagé une rumeur voulant qu’une grande banque concurrente,
sans dire laquelle, était sur le point de sombrer. C’était une
fausse accusation, mais les gens sont tout de même accourus à
leur banque pour retirer leur argent, craignant que celle-ci ne
soit l’objet de la rumeur. Comme ils retiraient leurs fonds, les
banques ont perdu leurs dépôts en argent et ont dû rappeler
leurs prêts. Les clients devaient alors payer leurs hypothèques
afin que les banques aient des revenus, un processus qui les
menait à la faillite. La panique de 1907 a provoqué un krach
incitant à la création de la Réserve fédérale, un cartel
bancaire privé avec le vernis d’une organisation gouvernementale
indépendante. En réalité, c’était un coup des banquiers d’élite
dans le but de contrôler l’industrie.
La loi signée en 1913
autorisait la Réserve fédérale à prêter et imprimer l’argent de
la nation, mais avec intérêt. Plus elle imprimait d’argent, plus
elle générait ses propres revenus. De par sa nature, la Réserve
fédérale était vouée à produire à jamais des dettes pour
survivre. Elle a pu imprimer la réserve monétaire à sa guise, en
contrôlant sa valeur. Pour en contrôler la valeur, il fallait
toutefois garder l’inflation à l’œil.
La Réserve fédérale a alors
doublé la réserve monétaire américaine en l’espace de cinq ans
et a rappelé un pourcentage volumineux de prêts. Plus de 5 000
banques se sont effondrées au cours de la nuit. Un an plus tard,
la Réserve fédérale a de nouveau augmenté la réserve monétaire
de 62 %, mais en 1929, elle a une fois de plus rappelé une
quantité importante de prêts. Cette fois, le krach de 1929 a
ruiné plus de 16 000 banques et fait plonger la bourse de 89 %.
Les banques privées et bien protégées dans le système de la
Réserve fédérale ont pu rafler les banques ruinées pour presque
rien.
Le pays est entré dans la
grande dépression, et, en avril 1933, le président Roosevelt a
promulgué un décret confiscant tous les lingots d’or détenus par
le public. Ceux qui refusaient de rendre leur or étaient
emprisonnés pendant dix ans, et à la fin de l’année, l’étalon-or
était aboli. On a remplacé ce qui était autrefois remboursable
en or par du papier monnaie ayant cours légal, et l’or ne
pouvait plus être échangé pour de l’argent comptant comme avant.
Plus tard, en 1971, le
président Nixon a complètement aboli l’étalon-or, et, par
conséquent, le dollar a cessé de se transiger au prix
international fixe de 35$. Les États-Unis décidaient alors de la
valeur du dollar US parce qu’il valait autant que l’or. Il
n’avait aucun standard de mesure et est devenu la monnaie
universelle. Les bons du Trésor (obligations à court terme) et
les obligations (à long terme), c’est-à-dire les billets du
gouvernement étasunien payés par les contribuables, ont remplacé
l’or comme valeur. En outre, l’or étant exempt des exigences
relatives aux déclarations, contrairement aux systèmes
monétaires fiduciaires occidentaux (basés sur la fiducie), on ne
pouvait le retracer. Ce n’était pas dans le meilleur intérêt des
États-Unis.
Après la grande dépression,
les banques privées craignaient toujours de faire des prêts
hypothécaires. Roosevelt a alors créé Fannie Mae, une banque de
financement hypothécaire subventionnée par l’État et fournissant
des fonds fédéraux afin de financer des hypothèques pour des
logements abordables. En 1968, le président Johnson a privatisé
Fannie Mae, et en 1970, Freddie Mac a été créée pour lui faire
compétition. Les deux achetaient des hypothèques des banques et
autres prêteurs et les vendaient à de nouveaux investisseurs.
Le boom qui a suivi la
Seconde Guerre mondiale avait créé une Amérique débordante
d’argent et d’actifs. En tant que complexe militaro-industriel,
les États-Unis ont profité de la guerre de façon exponentielle,
et, contrairement à tous les empires de l’histoire, le pays
s’est hissé au rang de superpuissance. Mais il a oublié
qu’historiquement, l’ascension des empires est proportionnelle à
leur déclin.
Les Étasuniens pouvaient se
permettre toutes les commodités modernes, en exportant leurs
biens manufacturés à travers le monde. Après la guerre du
Vietnam, les États-Unis ont vécu un déclin économique, mais les
gens répugnaient à abandonner leur niveau de vie élevé en dépit
des pertes d’emplois, et la production était envoyée de plus en
plus à l’étranger. Un sentiment illusoire et de droit acquis a
gardé les Étasuniens sur le tapis roulant de la consommation.
En
1987 la bourse étasunienne a plongé de 22 % en une journée en
raison des transactions de contrats à terme standardisés à haut
risque, appelés « produits dérivés », et, en 1989, la crise de
la Savings & Loans a amené le président George H. W. Bush à
utiliser 142 milliards de dollars de l’argent des contribuables
pour sauver la moitié de la S&L. Pour ce faire, on a donné à
Freddie Mac la tâche de donner des hypothèques à risque (ou
subprime,
en deçà du taux préférentiel) à des familles à faible revenu. En
2000, « l’exubérance irrationnelle » de la bulle technologique a
éclaté et 50 % des entreprises de haute technologie ont fait
faillite, rayant cinq billions de dollars de leur valeur
marchande exagérée.
Après la crise, Alan
Greenspan, le président de la Réserve fédérale, a maintenu les
taux d’intérêt si bas qu’ils étaient en deçà de l’inflation.
Tous ceux qui épargnaient leurs revenus perdaient de l’argent en
réalité, et le taux d’épargne est vite tombé dans le négatif.
Durant les années 1990, les
publicitaires se sont activés intensément, mettant en marché un
style de vie encore plus luxueux, disponible grâce au crédit
facile et peu coûteux. Les secondes hypothèques sont devenues
monnaie courante et les prêts d’accès à la propriété servaient à
payer les comptes de cartes de crédit. Plus les Étasuniens
achetaient, plus ils s’endettaient. Mais tant qu’ils possédaient
une maison, leur faux sentiment de sécurité persistait : leur
maison était leurs capitaux propres, sa valeur augmenterait sans
cesse, et ils pouvaient toujours réhypothéquer à des taux
moindres si nécessaire. L’industrie financière croyait aussi que
les prix de l’immobilier augmenteraient continuellement, et que
s’ils devaient chuter, la banque centrale baisserait les taux
d’intérêt afin de faire remonter les prix. Tout le monde croyait
qu’il s’agissait d’une situation gagnant-gagnant.
Le niveau le plus bas des
taux d’intérêt de M. Greenspan permettait à tout le monde
d’avoir une maison. Les travailleurs au salaire minimum ayant
l’ambition d’acheter une maison d’un demi-million de dollars
étaient en mesure de garantir des prêts de 100 %, et les
prêteurs étaient tout à fait conscients qu’ils ne pourraient pas
continuer à payer.
Tellement de gens ont reçu
des prêts à risque que les sociétés de placement et les prêteurs
ont trouvé une nouvelle manigance : rassembler ces prêts
hypothécaires virtuellement sans valeurs et les vendre à titre
d’investissement à des pays non avisés qui ne verraient pas la
différence. Le mode de vie excessif des Étasuniens et le
consumérisme n’en ont jamais souffert, et le tout était financé
par des nations étrangères pas plus judicieuses.
Les banques ont toujours
prêté plus d’argent qu’elles n’en possédaient, parce que le
paiement d’intérêts génère leur revenu. Plus une banque prête,
plus elle perçoit des intérêts, même sans argent dans la chambre
forte. C’est une industrie lucrative de donner de l’argent que
l’on ne possède pas au départ. Les banques de crédit
hypothécaire et les sociétés de placement ont même emprunté de
l’argent sur les marchés monétaires internationaux pour financer
ces prêts hypothécaires à risque à 100 % et plus, et ont
commencé à prêter plus de dix fois leurs actifs sous-jacents.
Après le 11 septembre, George Bush a dit à la
nation de
dépenser et, en pleine guerre, c’est ce que la
nation a fait.
Elle a emprunté à des niveaux sans précédents afin de payer non
seulement sa guerre au terrorisme au Moyen-Orient (coûts estimés
à quatre billions de dollars), mais aussi ses baisses d’impôts
au moment même où ces impôts auraient dû être haussés. Bush a
diminué les réserves obligatoires de Fannie Mae et Freddie Mac
de 10 % à 2,5 %. Elles étaient libres non seulement de prêter
encore plus, à des taux d’intérêt à leur plus bas, mais en outre
elles ne devaient posséder qu’une fraction des réserves. Les
banques ont rapidement prêté trente fois la valeur de leur
actif. C’était, comme l’a dit une économiste, une « orgie
d’excès ».
C’était de l’excès de
dépenses en temps de guerre. Jamais dans l’histoire un pays n’a
été impliqué dans un conflit sans sacrifice, sans réductions
budgétaires, sans augmentation d’impôts et sans conservatisme
économique.
Et, comme en 1929, les
chances que tous les investisseurs courent réclamer leur argent
en même temps augmentaient.
Donc, pour garantir ces hypothèques à haut risque, les sociétés
d’investissement qui les vendaient ont alors créé des polices
d’assurance sur les investissements dans ce type de crédit,
vendues sous le nom de « swap sur défaillance » (credit
default swap (CDS)). Le
gouvernement doit toutefois réglementer les polices d’assurance,
donc en les appelant CDS, elles demeuraient non réglementées.
Les institutions financières « couvraient leurs spéculations »
et vendaient des primes afin de protéger des actifs spéculatifs.
En d’autres mots, l’actif qui devait prendre de la valeur
pouvait également avoir un pari à côté, au cas où il baisserait.
En octobre 2008, les transactions des CDS se chiffraient à 62
billions de dollars, un montant plus élevé que toutes les
bourses du monde réunies.
Ces spéculations n’avaient
absolument aucune valeur et n’étaient pas des investissements.
Ils n’étaient que des instruments financiers appelés produits
dérivés – des spéculations à haut risque, « des riens provenant
de rien » -- ou comme disait Warren Buffet, « des armes de
destruction financière massives ». Les transactions de produits
dérivés « valaient » plus qu’un quatrillion de dollars, soit
plus que l’économie du monde entier. (En septembre 2008 le
produit intérieur brut mondial s’élevait à 60 billions de
dollars.)
Dénoncée comme étant illégale
en 1990, la pratique des produits dérivés a été légalisée par
Alan Greenspan. Les fonds de couverture sont rapidement devenus
une industrie à part entière, spéculant sur le marché des
produits dérivés et misant autant que souhaité. C’était facile,
car il s’agissait d’argent qu’ils n’avaient pas au départ.
L’industrie avait toutes les allures d’une banque, mais les
fonds de couverture, les fonds d’actions et les courtiers en
produits dérivés n’avaient pas accès aux prêts gouvernementaux
en cas de défaillance. Si les propriétaires manquaient à leur
engagement, les fonds de couverture n’avaient pas d’argent pour
payer « à partir de rien ». Ceux qui avaient couvert un actif en
hausse ou en baisse ne pouvaient pas bénéficier des gains ou des
pertes.
Ce
marché était devenu la plus grande industrie au monde, et tous
les géants financiers encaissaient : Bear Stearns, Lehman
Brothers, Citigroup et AIG. Mais les propriétaires de maisons,
ayant depuis longtemps atteint leur limite de crédit,
commençaient à faire défaillance sur leurs hypothèques. Ils
payaient non seulement pour leur maison, mais aussi pour toutes
les dettes amassées au fil du temps pour une voiture, une carte
de crédit et un prêt étudiant, des frais médicaux et des prêts
d’accès à la propriété. Ils avaient emprunté pour payer leur
épicerie et leurs primes d’assurance santé qui montaient en
flèche afin de conserver leurs plus grandes maisons et leurs
plus grosses voitures. Ils ont refinancé les dettes qu’ils
avaient à des taux moindres, lesquels ont rapidement grimpé.
L’Américain moyen
devait 25 % de son revenu annuel seulement en dettes de carte de
crédit.
En 2008, les prix des maisons
ont commencé à descendre subitement et les hypothèques perdaient
soudainement de la valeur. Les commandes manufacturières avaient
baissé de 4,5 % avant septembre, les inventaires commençaient à
s’empiler, le chômage était en forte hausse, et les saisies
avaient augmenté de 121 % et de 200 % en Californie.
Les géants financiers devaient arrêter de transiger ces titres
adossés à des créances hypothécaires (mortgage-backed
securities (MBS)), puisque leurs
pertes devraient dorénavant être justifiées. Les investisseurs
ont commencé à retirer leurs fonds. Bear Stearns, spécialisée
dans les portefeuilles de titres hypothécaires, a été la
première à partir en mars.
Tout comme ils l’avaient fait au 20e
siècle, JP Morgan est venue rafler la Bear Stearns pour presque
rien. Un an auparavant, les actions de Bear Strearns se
transigeaient à 159$, mais JP Morgan a pu prendre la relève et
les acheter à deux dollars l’action. En septembre, Washington
Mutual s’est effondrée : il s’agissait du plus grand échec
bancaire de l’histoire. Encore une fois, JP Morgan est
intervenue et a payé 1,9 milliards de dollars pour des actifs
évalués à 176 milliards. C’était une vente de feu.
Fannie Mae et Freddie Mac,
les firmes reprises par l’État et responsables de 80% des prêts
hypothécaires, ont tranquillement perdu presque 90 % de leur
valeur au cours de l’été. Ensemble, elles étaient responsables
de la moitié des prêts impayés, cependant, pour chaque dollar en
réserve, elles avaient une dette de 80 dollars.
Afin de garantir leur survie,
la Réserve fédérale est intervenue et a pris le contrôle de
Fannie Mae et Freddie Mac. Le 7 septembre 2008, elles ont été
« mises sous tutelle », ce que l’on appelle nationalisation
ailleurs dans le monde, mais les Étasuniens rechignent à l’idée
de toute industrie gouvernementale requérant des hausses
d’impôts.
En réalité, le gouvernement
donnait une marge de crédit illimitée. Puisqu’elle provenait de
la Réserve fédérale, et non pas du Trésor, elle a pu passer
outre l’approbation du Congrès. Le département du Trésor a par
la suite mis des bons du Trésor aux enchères afin d’amasser des
fonds destinés uniquement à la Réserve fédérale. Néanmoins,
c’est le contribuable qui financerait le sauvetage. Les
banquiers avaient saigné le système de dix milliards de dollars
dans les opérations de couverture et la spéculation sur les
produits dérivés, et provoqué le gel système des prêts
interbancaires, lequel a cessé de fonctionner et s’est effondré.
La prise de contrôle a été
définie comme un sauvetage de 700 milliards de dollars
arbitraires, qui ne fait rien pour régler le problème. On n’a
demandé à aucun économiste de donner son opinion au Congrès, et
le prêt ne fait que perpétuer le mythe voulant que le système
bancaire ne soit pas vraiment mort.
En réalité, les dommages ne
s’élèveront pas à 700 milliards de dollars, mais à près de cinq
billions de dollars, soit la valeur des hypothèques de Fannie
Mae et Freddie Mac. Ce n’était rien d’autre qu’un sauvetage de
l’industrie des produits dérivés valant des quatrillions de
dollars, qui, autrement, devait faire face à des dividendes de
plus d’un billion de dollars sur les CDS et MBS vendus. Il était
nécessaire, selon le secrétaire du Trésor Henry Paulson, de
sauver le pays d’une « correction du marché immobilier ». Mais,
ajoutait-il, le rachat de 700 milliards de dollars financé par
les contribuables ne préviendrait pas la chute d’autres banques,
ce qui entraînerait en retour un krach boursier.
En
d’autres mots, Henry Paulson faisait du chantage au Congrès afin
de mener un coup de l’élite financière sous les apparences d’une
nécessité de légiférer pour colmater la brèche. Cela a
simplement transféré les richesses d’une classe vers une autre,
comme ce fût le cas il y a presque un siècle. Les mots étaient à
peine sortis de la bouche de M. Paulson que déjà d’autres
institutions financières implosaient et s’ensuivait la
désintégration du système financier mondial, largement modelé
sur un système bancaire américain
glorifié.
En septembre, sa marge de
crédit étant désormais assurée, la Réserve fédérale a acheté la
plus grande compagnie d’assurances au monde, AIG, au montant de
85 milliards de dollars pour 80 % de son capital. AIG était le
plus gros vendeur de CDS, mais au moment où elle se devait de
payer des biens donnés en garantie qu’elle ne possédait pas,
elle vacillait au bord de la faillite.
En octobre, l’Islande en
entier a fait faillite, car il avait acheté des prêts
hypothécaires à risque à titre d’investissements. Les banques
européennes ont commencé à exploser, toutes désireuses
d’encaisser concurremment leurs actions gonflées afin de payer
leurs dettes à bas taux d’intérêt avant que ces taux ne
grimpent. L’année précédente, les signes étaient évidents
lorsque le plus grand prêteur hypothécaire étasunien,
Countrywide, s’est écroulé. Peu après, le plus grand prêteur du
Royaume-Uni, Northern Rock, a fait naufrage : Londres copiait
depuis longtemps la finance créative de Wall Street. Les
manufactures automobiles du Japon et de la Corée ont plongé de
37 %, contractant les économies du monde entier. Le Pakistan est
également au bord de la faillite, avec des réserves réelles de
trois milliards de dollars, assez pour acheter des réserves
alimentaires et du pétrole pour un mois et tenter de geler les
paiements à l’Arabie Saoudite, qui lui fournit 100 000 barils de
pétrole quotidiennement. Sous le président Musharraf, qui a
quitté le pouvoir juste à temps, la devise pakistanaise a perdu
25 % de sa valeur, et son inflation atteignait 25 %.
Entre-temps, les prix de
l’énergie ont monté en flèche, le pétrole atteignant un sommet
d’environ 150 $ le baril cet été. Les coûts du chauffage, du
pétrole, du transport et les coûts de production ont
immédiatement été refilés aux propriétaires déjà à sec.
Pourtant, 30 % des coûts d’un baril de pétrole étaient basés sur
les spéculations de Wall Street, grimpant à 60 % pendant l’été
en raison de la crainte des spéculateurs. Aussitôt que la crise
financière a frappé, les prix du pétrole ont soudainement chuté,
passant de 147 $ en juin à 61 $, prouvant que le facteur
spéculatif de 60 % était bien plus précis. Ce brusque déclin a
aussi révélé le manque de contrôle de l’OPEP sur la montée
fulgurante des prix ces dernières années, un contrôle qui repose
presque directement sur les épaules de l’Arabie Saoudite. En
septembre, lorsque l’OPEP a tenté de maintenir des prix plus
élevés en réduisant sa production, c’est l’Arabie Saoudite qui a
voté contre une telle initiative, au détriment de son propre
revenu.
L’Europe a alors décidé qu’elle ne serait plus jamais ruinée par
les excès des États-Unis. La « vieille Europe » en avait
peut-être assez de se faire dicter sa conduite par les
États-Unis, qui ont refusé de faire des compromis sur les prêts
qu’ont contractés leurs pays détruits après la Seconde Guerre
mondiale. Le 13 octobre, les nations autrefois divisées de
l’Europe ont approuvé unilatéralement un plan de sauvetage
totalisant 2,3 billions de dollars. C’est trois fois plus
que le plan américain
pour une catastrophe que seul les États-Unis ont créée.
À
la mi-octobre, le Dow, le NASDAQ et le S&P 500 ont effacé tous
les gains accumulés dans la dernière décennie. Le stratagème
frauduleux pyramidal de l’argent facile à partir de rien a
résulté en une surabondance du crédit, une exagération des prix
des maisons, ainsi qu’en une incroyable évaluation des actions,
due au fait que les investisseurs ne retireraient pas leur
argent tous en même temps. Mais tout s’effondrait à une vitesse
casse-cou, sans solution à l’horizon. Le président Bush a dit
que les gens ne devraient pas du tout s’inquiéter parce que les
« États-Unis sont la destination la
plus attrayante pour les investisseurs du monde entier ».
Ceux qui souffriront le plus
sont les hommes et les femmes qui ont bâti le pays après la
Seconde Guerre mondiale et qui arrivent à la retraite après
avoir épargné leurs prestations. Ils ont bâti durant les années
de guerre, fabriquant ses armes pour des conflits mondiaux.
Pendant la guerre froide, l’URSS était l’ennemi omniprésent,
donc le complexe militaro-industriel a continué à croître. Ce
n’est que lorsqu’il y a une guerre que les États-Unis en
profitent.
La Russie ne tolèrera pas une
nouvelle guerre froide avec la multiplication des missiles
balistiques. Pour sa part, le Moyen-Orient a vu son allié
historique se transformer en son pire cauchemar, qu’il soit
militaire ou économique. Ces nations ne continueront plus à
appuyer le dollar comme monnaie internationale. Les États-Unis
ne contrôlent plus l’économie mondiale et sont redevables au
reste du monde. Ils ne pourront plus demander à leurs plus
grands fournisseurs de pétrole du Moyen-Orient d’ouvrir leurs
portefeuilles bancaires afin d’être transparent et démontrer
l’absence de corruption ou de connexions terroristes sans qu’il
n’y ait de conséquences : la plus grande corruption criminelle
de l’histoire vient d’être perpétrée par les États-Unis.
C’était la meilleure
escroquerie en ville : être bien payé pour vendre du risque en
grande quantité, échouer, et laisser les gouvernements régler le
problème au détriment des contribuables qui n’ont jamais même vu
un sous de la richesse commune.
Il n’y a pas de solution
facile à la crise, ses effets se multiplient comme une maladie
contagieuse.
Ironiquement, les banques
islamiques sont celles qui sont le moins affectées par la crise.
Elles ont été largement à
l’abri de l’effondrement, car elles prohibent l’acquisition de
richesses par le jeu (ou l’alcool, le tabac, la pornographie ou
les actions dans les compagnies d’armement) et interdisent
l’achat et la vente d’une dette, ainsi que l’usure. De plus, les
lois bancaires de la Charia interdisent d’investir dans une
compagnie dont les dettes excèdent 30 %.
« Les
institutions bancaires islamiques ne se sont pas effondrées pour
la simple bonne raison qu’elles transigent avec des actifs
tangibles et assument les risques »,
affirme Mohammed Ramady, professeur d’économie à l’Université du
Pétrole et des Ressources Minérales du Roi Fahd.
« Même si les banques islamiques font
partie de l’économie mondiale, l’impact d’une exposition directe
aux investissements dans le crédit hypothécaires à risque a été
négligeable. La réduction des liquidités a particulièrement
affecté Dubaï, qui a contracté de gros emprunts au niveau
international. L’effet le plus négatif aura été la perte de
confiance dans les bourses régionales. »
Les nations arabes ayant un surplus de pétrole
« reconsidèrent donc leurs investissements
dans les actifs financiers à l’étranger »
et accélèrent leurs projets nationaux.
Il
y a huit ans, en mai 2000, le banquier islamique saoudien Son
Altesse Dr. Nayef Bin Fawaz al Chaalan a donné une série de
conférences dans les États du golfe. À l’époque, ses recherches
démontraient que les investissements arabes aux États-Unis, se
chiffrant à 1,5 billions de dollars, étaient effectivement
pris en otage et il recommandait de les retirer et de les
réinvestir dans des actifs tangibles du marché arabe et
islamique. « Pas dans des actions
par contre, car la bourse peut être manipulée à distance, comme
nous l’avons vu ces dernières années dans les marchés arabes, où
des milliards de dollars se sont évaporés. »
Il
a alors annoncé qu’il était certain que le système économique
étasunien était au bord de l’effondrement, en raison de ses
dettes cumulatives, de l’accroissement constant de son déficit,
et de l’intérêt sur cette dette. « Lorsque
les dettes et les déficits arriveront à échéance, ils émettront
tout simplement de nouveaux bons du Trésor, afin de couvrir les
vieux bons échus, avec leurs intérêts et un nouveau déficit ».
On ne peut arrêter le cycle ou annuler la dette parce que les
États-Unis ne seraient plus en mesure d’emprunter. Le fait de
remédier à ce cycle aurait pour conséquence l’effondrement de
leur système économique, par opposition au krach partiel, bien
qu’énorme de 2008.
« Les
banques islamiques, affirmait le Dr.
al Chaalan, protègent toujours la
richesse des individus tout en mettant un bouchon sur l’égoïsme
et l’avarice. Il possède le meilleur du capitalisme, en filtrant
ce qu’il a de négatif, et le meilleur du socialisme, en filtrant
aussi ce qu’il a de négatif ». Les
deux systèmes devaient inévitablement échouer. De plus, l’Europe
et le Japon n’avaient plus à être tenus responsables et
redevables aux États-Unis pour la protection contre les Soviets.
« La
différence fondamentale entre le système économique islamique et
le système capitaliste, poursuit-il,
est que dans l’Islam, la richesse
appartient à Dieu, l’individu n’étant que son administrateur.
C’est un moyen et non une fin. Dans le capitalisme, c’est
l’inverse : l’argent appartient à l’individu et est un but en
soi. Aux États-Unis, spécifiquement, l’argent est vénéré comme
un Dieu. »
En somme, le krach du système
économique mondial est le résultat de l’arrogance fiscale des
États-Unis, fondée sur un type de règlements pour eux, et un
autre pour le reste du monde. Sa finance créative accrue a
leurré son peuple en lui donnant un faux sentiment de sécurité,
et le pays ressemble désormais à l’échec total du capitalisme.
Tout l’exercice de la
démocratie par la force contre les nations arabes musulmanes a
presque mis les États-Unis en faillite. La guerre froide est
terminée et les États-Unis n’ont rien à offrir : pas
d’exportations, pas de production, peu de ressources naturelles,
ni d’économie dans le secteur des services.
Les marchés ayant résisté le
plus aux politiques américaines, en restreignant les
investissements directs aux États-Unis, sont ceux-là même qui se
débrouilleront le mieux et finiront premiers.
Mais pas avant d’avoir payé
un prix très élevé.
Article original en
anglais,
Death of the American
Empire, America is self-destructing & bringing the rest of the
world down with it,
publié le 23 octobre 2008
Traduit par Julie Lévesque pour
Mondialisation.ca
Tanya Cariina Hsu
est chercheure en politique et analyste spécialisée dans les
relations entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Elle a
contribué au récent témoignage écrit sur le Royaume d’Arabie
Saoudite pour le Congressional Senate Judiciary Committee au nom
de FOCA (Friends of Charities Association) lors des audiences
sur la colline du Capitole à Washington, D.C. Son analyse a été
publiée et acclamée par la critique à travers les États-Unis,
l’Europe et le Moyen-Orient.
Elle a été la première à briser le silence
à propos de l’influence israélienne sur le processus décisionnel
de la politique étrangère américaine, lors du symposium « A
Clean Break », qui se tenait à Washington, D.C., à la colline du
Capitole en 2004. À l’époque directrice du développement et
analyste à la recherche senior de l’Institut de recherche sur la
politique au Moyen-Orient (IRmep), Mme Hsu demeure un membre
international de l’Institut.
Née à Londres, elle est déménagée en 2005 à Riyad, en Arabie
Saoudite, et écrit en ce moment un livre sur la politique
américaine en Arabie Saoudite.
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