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Une réponse
à Ouri Avnery
Mené
en bateau par la Gauche israélienne
Steven
FRIEDMAN et Virginia TILLEY
Electronic Intifada, 26 janvier 2007
http://electronicintifada.net/v2/article6447.shtml
Ouri Avnery
est un croisé des droits de l’homme d’une vénérable
stature. Il a lutté, écrit, publié, fait campagne en faveur des
droits palestiniens depuis une soixantaine d’années. Il a été
sur les barricades politiques et il a affronté les bulldozers
pour défendre les Palestiniens contre les violences militaires
israéliennes. Ses articles, ses livres, son magazine ont dénoncé
la saisie par Israël de la terre palestinienne bien avant que la
plupart des « nouveaux
historiens » aient appris à écrire. Il dénonce même,
en des termes intransigeants, la discrimination légalisée à
l’encontre des Israéliens palestiniens et a appelé Israël à
devenir « un Etat de
tous ses citoyens », quoique conservant une forte
majorité juive (voir par exemple son récent article :
« Qu’est-ce qui fait
courir Sammy ? »[i]).
En tant que fondateur du mouvement pacifiste « Gush Shalom », il est reconnu comme le parrain du sionisme libéral
et nul ne doute de sa sincérité quand il insiste sur une
solution à deux Etats.
Au
vu de tout ceci, il peut sembler étrange que beaucoup parmi ceux
qui travaillent dur à une paix durable en Israël-Palestine
trouvent Monsieur Avnery, si terriblement irritant.
Cela
tient à ses contradictions morales, parfaitement courantes dans
le sionisme libéral : c'est-à-dire que, tout en adoptant
une attitude morale inébranlable face aux atteintes racistes dont
les Palestiniens sont victimes, il laisse d’une certaine manière
tomber ces mêmes principes en présumant qu’Israël lui-même
dispose d’un droit à préserver son « caractère
juif » aux dépens des droits palestiniens. Car il est
par trop évident que soutenir une majorité juive « écrasante »
en Israël, essentielle à la préservation de son « caractère juif », exige d’Israël d’entretenir tout un
ensemble de pratiques racistes, comme des murs gigantesques
servant à empêcher les gens de se mélanger, et de refuser leur
retour aux exilés palestiniens.
Les
sionistes progressistes qui se raccrochent aux analyses de
Monsieur Avnery, butent constamment contre ce sophisme moral. Ils
veulent que l’occupation prenne fin et trouvent l’oppression
des Palestiniens moralement détestable, et certains croient même
que la discrimination à l’encontre des Arabes palestiniens doit
s’arrêter. Mais ils ne veulent pas voir expirer le statut d’Israël
comme Etat gouverné pour un seul groupe ethnique. Ils doivent dès
lors entériner tout ce qui sera jugé essentiel, en matière de
discrimination, pour préserver la majorité juive d’Israël, en
particulier en empêchant les Palestiniens qui ont été expulsés
de ce qui est maintenant Israël, de jamais revenir. Dans cette
optique, Israël même est moralement correct – un « miracle »,
comme le disait récemment David Grossman – ou du moins Israël
le serait-il si ses dirigeants n’avaient pas stupidement fait le
faux-pas d’une occupation militaire après la guerre de 1967.
Le
résultat de ce dilemme est un chaos sur le plan moral. Alors que
les propos tout simplement délirants de racistes comme Avigdor
Lieberman autour d’un nettoyage ethnique sont jugés
repoussants, le nettoyage ethnique initial qui a donné naissance
à Israël est tenu pour acceptable – convulsion de la violence
de la guerre, qui a (on n’explique jamais comment) été
transcendée moralement. Selon cette conception, la solution ne
consiste pas à redresser ce péché fondateur mais simplement à
stabiliser le statut d’Etat juif, entendu essentiellement comme
devant dissiper la peur juive-israélienne d’une attaque ou
d’un anéantissement. Reconnaissant qu’un minimum de justice
est requis pour parvenir à cette « paix »,
l’objectif sioniste-progressiste est de créer un Etat
palestinien à côté (prudemment démilitarisé, bien sûr, et
pas nécessairement dans les limites de la Ligne Verte de 1948).
Il
faut une forme particulière de déni pour s’accrocher à cette
vision, surtout à la lumière de récents ouvrages d’histoire
comme « Le nettoyage ethnique de la Palestine » d’Ilan Pappe [ii],
qui bat en brèche le fantasme lénifiant que l’histoire israélienne
du nettoyage ethnique était un accident, un hasard de la guerre.
Ce n’est pas en soi surprenant : partout, les mythes
nationalistes se démontent lentement. Mais Monsieur Avnery
n’entre pas dans la catégorie classique. Il a démasqué les
crimes sionistes avant tout autre. Pourtant il n’a jamais perdu
son affection pour l’Etat juif, ni son attachement à la préservation
de la majorité juive en Israël. Il sait qu’en 1948, les
troupes sionistes ont terrorisé sans pitié et expulsé de leurs
villages des centaines de milliers de Palestiniens sans défense
et qu’elles les ont jetés hors du pays. Mais il croit que le
programme de la préservation de la société juive-israélienne,
qu’il chérit, ne donne pas seulement mandat mais confère une
autorité morale au fait de ne pas autoriser le retour de ces
Palestiniens.
C’est
à partir de cet embrouillamini de principes contradictoires que
Monsieur Avnery aborde l’accusation d’ « apartheid »,
devant la nouvelle publicité qui lui est faite par le livre récent
du Président Carter [iii].
Dans un récent article publié sur Counterpunch,
« Freedom Ride: Israel and Apartheid » [iv],
il rejette toutes les leçons que l’on pourrait tirer de cette
comparaison en faveur d’une solution à un Etat en Israël-Palestine.
L’argument
avancé par Monsieur Avnery contre l’analogie qui est faite avec
l’apartheid n’est pas que les politiques de l’Etat d’Israël
à l’égard des Palestiniens ne sont pas racistes. Il convient
que l’occupation est raciste et que les colonies et le Mur sont
en train de créer un Etat palestinien de type bantoustan. Il
souscrit au terme d’ « apartheid »
pour décrire la politique israélienne en Cisjordanie. Il affirme
également quelque chose qui est incontestablement vrai : à
savoir que beaucoup de gens traitent la comparaison entre Israël
et l’Afrique du Sud trop négligemment et en commettant des
erreurs de logique. (Sa comparaison « esquimaude »,
avec cette idée de sucer un verre d’eau, est une référence désagréablement
vieillotte aux Inuits, mais elle fait bien ressortir l’idée [v]).
Ce souci qu’il manifeste, nous l’appuyons : de réelles
différences distinguent l’Afrique du Sud d’Israël, qui requièrent
une attention particulière.
Mais
la propre analyse de Monsieur Avnery comporte de flagrantes
erreurs de logique aussi bien que factuelles, résultant pour
partie d’une méprise fondamentale sur ce qu’était
l’apartheid et comment cela fonctionnait. Il a l’air de penser
que l’apartheid était une version extrême de Jim Crow, dans
laquelle les Noirs auraient été subordonnés tout en étant
incorporés à une société blanche. En réalité, l’apartheid
était un système de domination raciale fondamentalement basée
sur la notion de séparation physique. Les doctrines, les
politiques et la psychologie collective des systèmes israéliens
et sud-africains étaient beaucoup plus semblables qu’il ne le
reconnaît et il est essentiel de bien l’expliquer.
Le
principal argument de Monsieur Avnery découle de sa méprise la
plus profonde. Il avertit qu’une campagne en faveur d’une
unification de type sud-africain en Israël-Palestine ne ferait
que déclencher un nouveau nettoyage ethnique, parce
qu’entretenir l’angoisse juive d’une « menace
démographique » (trop de non-juifs) inspirerait aux réactionnaires
israéliens l’idée d’expulser de force toute la population
palestinienne. Néanmoins, il considère ce risque comme étant
particulier à Israël, en s’appuyant sur l’idée qu’il
n’existait pas en Afrique du Sud : « Aucun
Blanc n’aurait rêvé d’un nettoyage ethnique. Même les
racistes comprenaient que le pays ne pourrait pas exister sans la
population noire ». Pourtant, un trait essentiel de
l’apartheid était le transfert forcé de populations. Des
livres célèbres ont été écrits à propos de centaines de
milliers de personnes expulsées de force de leurs maisons et de
leurs terres, dans une tentative de créer une « Afrique
du Sud blanche » dans laquelle les Noirs n’auraient été
acceptés qu’au titre de « travailleurs
invités ». Cette politique de « déménagements
forcés » en vue de « blanchir »
l’Afrique du Sud était à ce point répandue que nous ne
saurons probablement jamais combien de personnes ont réellement
été déplacées ; les campagnes ont été des tentatives de
« nettoyage ethnique »
bien plus systématiques que tout ce qui a été tenté en Europe
de l’Est. Si Monsieur Avnery pense que l’apartheid n’a rien
à voir avec le transfert de populations, c’est qu’il n’a
pas même une vague compréhension de l’apartheid.
Monsieur
Avnery appuie cette analyse bancale en avançant quatre raisons
pour lesquelles la comparaison avec l’apartheid ne devrait pas
guider une solution en Israël-Palestine. Premièrement, il dit
que le consensus sur une solution à un Etat était déjà en
place en Afrique du Sud. Noirs et Blancs, affirme-t-il, « convenaient que l’Etat d’Afrique du Sud devait rester intact – la
question étant seulement de savoir qui le dirigerait. Quasiment
personne n’a proposé la partition du pays entre les Blancs et
les Noirs ».
C’est
là une erreur de compréhension fondamentale. La séparation
territoriale des Noirs et des Blancs constituait la pièce maîtresse
de la politique officielle d’apartheid au moins jusqu’en 1985
– c'est-à-dire durant près de quatre décennies. Au centre de
cette politique, il y avait la prétention que 87% des terres du
pays appartenaient uniquement aux Blancs et que les Noirs y étaient
seulement tolérés, et privés de droits. A la fin des années
70, par exemple, un ministre du gouvernement déclarait au
Parlement sud-africain qu’en fin de compte, « il
n’y aura pas de Sud-Africains noirs ». Un
élément de cette politique fut la création de « patries noires » bidon auxquelles fut accordée une feinte indépendance
pour bien mettre en valeur que leurs « citoyens »
n’étaient plus sud-africains, exactement comme la politique
israélienne de « deux
Etats » promet aujourd’hui une « patrie »
aux Palestiniens. La reconnaissance que l’Afrique du Sud devait
demeurer intacte était une conséquence de l’échec de
l’apartheid et non une caractéristique du système.
Deuxièmement,
Monsieur Avnery soutient qu’alors que la séparation raciale en
Afrique du Sud était un programme blanc universellement rejeté
par les Noirs, en Israël-Palestine les deux peuples souhaitent
des Etats séparés. « Notre conflit oppose deux nations différentes, avec des identités
nationales différentes, chacune d’elles accordant la plus haute
valeur à un Etat nation propre ». Il affirme que, des deux côtés,
seule une minorité minuscule et radicale souhaite un Etat unique.
Du côté juif, dit-il, ces radicaux, ce sont les colons religieux
fanatiques qui insistent pour conserver la Cisjordanie. Du côté
palestinien, les réjectionnistes
sont « les
fondamentalistes islamiques [qui] croient aussi que le pays tout
entier est un ‘waqf’ (sous administration religieuse), qu’il
appartient à Allah et ne peut dès lors être partagé ».
Ces
évaluations hâtives de l’un et l’autre cas ne tiennent pas
debout. Pour commencer, les Sud-Africains noirs n’étaient pas
aussi monolithiques à leurs propres yeux. L’ANC soutenait
l’unification et la démocratie mais des factions de la
population noire d’Afrique du Sud ont adopté le concept de
« homelands » : l’exemple le plus connu en était le
Parti de la Liberté Inkatha, au KwaZulu, mais d’autres groupes
ont également adopté la politique du « homeland »
pour le pouvoir et l’influence qu’elle leur apportait – très
sensiblement à la manière dont le Fatah embrasse l’ « Etat »
tronqué proposé aujourd’hui par Israël. Oui, la grande
majorité de l’opinion noire rejetait les « homelands »
séparés. Mais pas la petite frange de la société noire qui
estimait avoir quelque chose à gagner des « homelands ».
Les
opinions palestiniennes ne sont pas si monolithiques non plus. Des
sondages menés par le « Jerusalem Media and Communication
Centre », de 2000 à 2006, ont montré que le soutien
palestinien à une solution à deux Etats (entendue comme
impliquant un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et dans
la Bande de Gaza) tournait seulement aux alentours de 50%. L’adhésion
à la vision d’un Etat palestinien sur toute la Palestine
fluctue entre 8 et 18%. Mais il est à noter que le soutien à un
Etat « binational »
sur l’ensemble d’Israël-Palestine oscillait obstinément
entre 20 et 25% – chiffre remarquablement élevé quand on sait
que l’option à un Etat ne fait pas l’objet d’un débat
public parmi les Palestiniens. (La raison de ce silence n’est
pas que l’unification serait impopulaire, mais que cette
discussion saperait les prémisses de l’existence « intérimaire »
de l’Autorité Palestinienne et qu’elle est dès lors
politiquement très sensible.) Si un quart des Palestiniens
soutiennent une solution à un seul Etat, même dans ces
conditions intimidantes, il n’est pas déraisonnable de suggérer,
comme le font des vétérans parmi les militants palestiniens
comme Ali Abunimah (auteur d’un nouveau livre : « One
Country »[vi]), qu’un plus large
soutien palestinien à une unification se manifesterait rapidement
dans des conditions plus favorables.
Il
est aussi particulièrement intéressant de relever que, dans ces
mêmes sondages, le soutien palestinien à un Etat islamique
tournait autour de 3%. Clairement, les 25% de soutien palestinien
à un Etat unifié ne peuvent être réduit, comme le suggère
Monsieur Avnery, à un radicalisme islamique.
Troisièmement,
Monsieur Avnery pointe les différences dans les données démographiques,
entre les deux conflits. En Afrique du Sud, une minorité de 10%
de Blancs régnait sur une majorité de 78% de Noirs (ainsi que de
« colorés » et d’Indiens), alors qu’en Israël les
populations juive et palestinienne sont grosso modo égales,
autour des 5 millions chacune. Mais ce point laisse la discussion
suspendue – alors quoi ? L’idée que cela rendrait la
comparaison inapplicable manque son coup, sous deux angles. Tout
d’abord, elle échoue moralement. L’oppression change-t-elle
qualitativement en fonction de la distribution de la population
entre oppresseur et opprimé ? L’apartheid n’eût-il pas
été un apartheid si les Blancs avaient constitué la moitié de
la population ? Ensuite, cette idée échoue dans sa logique
politique. Assurément, la « menace »
noire perçue par une minorité blanche de 10% en Afrique du Sud
était beaucoup plus grande que la « menace »
arabe palestinienne redoutée aujourd’hui par une population
juive israélienne se situant à environ 50%. D’une manière qui
n’est pas surprenante, la peur d’être « submergé »
par une large majorité noire était fréquemment invoquée par
les partisans de l’apartheid comme argument pour continuer de dénier
leurs droits aux Noirs. Pourtant les Juifs israéliens sont bien
mieux placés pour retenir le pouvoir politique et économique en
Israël que ne l’étaient les Blancs (en particulier les
Afrikaners) en Afrique du Sud.
Enfin,
Monsieur Avnery soutient que l’unification en Afrique du Sud a
été guidée par une interdépendance économique raciale.
« L’économie
sud-africaine était basée sur le travail noir et n’aurait pas
pu exister sans lui ». Dans ses phases initiales,
l’apartheid a bien tenté de réduire au minimum toute dépendance
à l’égard des Noirs en essayant de reléguer ceux-ci dans les
basses tâches. Les Noirs africains n’étaient pas autorisés à
faire un travail réservé aux Blancs (ou aux Indiens et « colorés »). Il y avait par exemple une interdiction stricte
à l’encontre du travail de Noirs comme artisans à l’extérieur
des « homelands »
isolés. Le système a commencé à s’effilocher à la fin des
années 60, lorsque l’économie a manqué de Blancs pour du
travail qualifié ou semi-qualifié et le gouvernement a été
contraint d’autoriser l’accès de Noirs. Ce changement a donné
aux travailleurs noirs un plus grand pouvoir de négociation et,
joint à d’autres facteurs, a fourni la base d’une résistance
organisée plus efficace. Il est difficile de savoir si les Israéliens
seront contraints, à un moment donné, de laisser revenir les
Palestiniens sur le marché du travail. Mais même ici, les différences
ne sont pas aussi absolues que Monsieur Avnery le dit.
Dans
ses conclusions, Monsieur Avnery affirme que la comparaison avec
l’apartheid échoue également sur la question d’un boycott
international. « C’est
une grave erreur », insiste-t-il, « de
penser que l’opinion publique internationale mettra fin à
l’occupation. Cela se produira lorsque le public israélien
lui-même sera convaincu de la nécessité de le faire. »
Cet argument suggère que Monsieur Avnery ne comprend pas non plus
comment l’apartheid est tombé. Les Blancs d’Afrique du Sud
n’ont pas changé d’avis sur l’apartheid simplement parce
que la question morale et politique a enfin commencé à se faire
sentir pour eux grâce aux manifestations de rue et aux grèves.
Ils l’ont fait quand une campagne stratégique d’un combat intérieur
dur et sanglant a été soutenue par une pression internationale
concertée qui incluait le boycott des produits sud-africains et
de la monnaie aussi bien que des artistes et des équipes
sportives.
Les
effets économiques de ces sanctions prises contre l’Afrique du
Sud font encore l’objet de débats. Mais l’effet psychologique
de l’isolement international sur la volonté de changement des
Blancs d’Afrique du Sud a été immense et est devenu un des
leviers-clés de la fin de l’apartheid. En 1992, lorsque les
Blancs furent invités à approuver, par référendum, un accord négocié,
des interviews d’électeurs diffusées dans les médias
montraient que le désir des Blancs de « rejoindre
la communauté internationale » en avait persuadé plus
d’un qui auraient pu voter contre l’accord, à l’approuver.
Attribuer
« l’absence
d’effusion de sang » dans cette transition à la
sagesse de dirigeants comme de Klerk et Nelson Mandela, c’est
mal comprendre comment ces figures historiques ont été en mesure
de jouer leur rôle essentiel précisément grâce à cet effort
collectif historique beaucoup plus large. De même qu’il était
impossible d’imaginer une fin négociée de l’apartheid sans
un isolement international de l’Afrique du Sud, il est difficile
d’imaginer qu’on aboutisse à une solution politique au
conflit palestinien sans qu’une solide pression soit exercée
par le monde sur Israël.
Mais
c’est une erreur plus profonde encore qui est à la base du
pessimisme de Monsieur Avnery à propos d’une solution à un
Etat, sur le modèle sud-africain : il parait confondre l’Afrique
du Sud que tout le monde a vu aux négociations de 1990 avec l’Afrique
du Sud qui existait auparavant. Cette erreur très répandue amène
à considérer que les facteurs qui ont conduit à un accord étaient
des éléments immuables de la réalité sud-africaine. En réalité,
le consensus politique autour du besoin d’une unité nationale
ne s’est cristallisé qu’après une lutte longue et âpre dont
l’heureuse issue avait paru tout aussi invraisemblable à la
plupart des commentateurs que peut le sembler aujourd’hui, à
Monsieur Avnery, une société commune en Israël. Oublier cette
histoire en fait disparaître tous ces courageux militants qui se
sont battus pendant des décennies pour le principe de l’unité
nationale, en le payant parfois de leur vie. En fait, les
Sud-Africains n’ont jamais été unis dans la perspective que le
pays devait être mis en commun – de nombreux Blancs continuent
d’en rejeter l’idée aujourd’hui encore. C’est en partie
la raison pour laquelle, à la fin des années 80, une large part
des commentaires savants et « experts » sur l’Afrique du Sud ont continué de présumer
que le conflit était inextricable et qu’une société commune
était impossible, avançant beaucoup de ces mêmes arguments
qu’on ne cesse de répéter à propos, cette fois, de la cause
palestinienne.
Manifestement,
cela convient bien à ceux qui croient que le partage est la seule
solution, d’agir comme si le monde ne changeait jamais. Mais il
change. Il l’a fait sous l’apartheid. Il changera aussi en
Palestine.
Steven Friedman est un
analyste politique sud-africain basé à Johannesburg.
Virginia Tilley est une citoyenne américaine qui travaille
actuellement comme chercheuse au « Human Sciences Research
Council », à Prétoria. On peut leur adresser des
commentaires à son adresse électronique : tilley@hws.edu
(Traduction
de l’anglais : Michel Ghys)
[ii]
“The
Ethnic Cleansing of Palestine” (Oneworld Publications,
2006)
[iii]
Jimmy Carter, Palestine : “Peace
Not Apartheid” (Simon & Schuster, 2006)
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