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Opinion
Al Jazeera, la fin
d'un rêve
Soraya Hélou
Mardi 26 avril 2011 Depuis son ouverture au milieu des années
90, la chaîne qatarie « Al Jazzera » a constitué un événement
dans les médias arabes, noyés de discours officiels lénifiants
et insipides. Si, au début, nul ne parvenait à la situer
politiquement, car sa carte de visite consistait à dire qu’elle
a carte blanche sur tous les sujets, sauf concernant la
situation au Qatar, la chaîne a vite gagné ses galons à partir
de la guerre américaine en Afghanistan puis de l’invasion
américaine en Irak en 2003, où elle essayait une version des
faits plus proche de la réalité islamique et arabe que les
autres médias arabes et occidentaux.
Pour les Libanais, « Al Jazeera » est devenue une référence
pendant la guerre israélienne de 2006 et pendant l’attaque
contre Gaza en 2009. Mais au fur et à mesure que les positions
se radicalisaient dans la région et que le plan
israélo-américain se précisait, la chaîne si prisée a commencé à
perdre son aura d’espace d’expression objective et
professionnelle. Tout a commencé en fait avec le déclenchement
de la révolution populaire en Egypte et sa façon de mettre en
avant certains des insurgés au détriment des autres, ainsi que
son insistance à transformer le cheikh Kardaoui en véritable
inspirateur de la révolution, alors qu’il s’y est rallié en
retard et qu’il n’a cessé de tenir un langage confessionnel,
loin es idéaux des insurgés. Les téléspectateurs fidèles de la
chaîne, soucieux d’une information crédible et objective ont
commencé à avoir des doutes, vite confirmés par la couverture de
la chaîne des événements de Bahrein. Alors qu’en Egypte et en
Tunisie, « Al Jazeera » faisait une couverture « non stop », là
il n’y avait plus moyen de savoir ce qui se passait
véritablement, la chaîne faisant une couverture assez maigre de
la situation à Bahrein, et ouvrant surtout sa tribune aux
proches du pouvoir et à la thèse officielle.
Pourquoi les insurgés de Bahrein, qui constituent certainement
l’opposition arabe la plus pacifiste n’avaient-ils pas droit à
la neutralité, si ce n’est à l’appui, d’« Al Jazeera » ? En quoi
étaient-ils moins intéressants, et leurs revendications moins
justifiées que celles des autres insurgés arabes ? Les
journalistes qui nous avaient habitués à une liberté de ton à
l’égard des dirigeants, sont soudain devenus obséquieux avec les
représentants du pouvoir à Bahrein et agressifs avec les rares
représentants de l’opposition de Bahrein, qui, rapidement, n’ont
plus eu voix au chapitre.
D’ailleurs, depuis quelques semaines, les événements de
Bahrein, la destruction des mosquées, l’invasion des hôpitaux,
les arrestations des opposants et des notables d’une confession
déterminée n’intéressent pas « Al Jazeera », qui préfère
consacrer son temps à appuyer l’opposition en Syrie et à inciter
la population contre le régime là bas, en dépit des réformes
effectuées par le président syrien.
Cheikh Kardaoui y a été de son discours incitant à la discorde
confessionnelle, largement diffusé pare la chaîne, alors que les
présentateurs des nouvelles passent leur temps à pousser les
opposants à descendre dans la rue et à ne pas céder au régime.
Des films, soi-disant, de la répression sont diffusés en boucle
et des informations basées sur « les témoignages de témoins
oculaires » sont sans cesse évoqués. Or, les témoins oculaires
n’ont aucune valeur en langage journalistique. « Al Jazeera »
qui a fondé un institut pour apprendre le journalisme
d‘investigation aux médias arabes le sait mieux que les autres,
elle qui se veut un maître en matière d’exigence de crédibilité
et de sérieux. Mais voilà, lorsqu’il s’agit de Bahrein ou de
Syrie, la chaîne oublie son professionnalisme et son souci de
vérité. En réalité, les masques sont aujourd’hui tombés : « Al
Jazeera » ne défend que ce qui arrange ses « parrains » et
finalement le plan américain. Le but est pour elle d’attirer le
maximum de téléspectateurs, d’asseoir sa crédibilité et de
commencer ensuite à influer sur les esprits arabes perturbés par
cet emballement de l’Histoire.
Désormais, peu importe aux journalistes les morts qui tombent
de façon atroce à Bahrein, les islamistes qui tuent les forces
de l’ordre en Syrie et qui complotent contre un régime qui a su
résister à toutes les pressions occidentales, la grandeur « d’Al
Jazeera » est tombée aux portes de Bahrein et de Syrie. Le grand
rêve d’un média arabe libre et défendant les aspirations réelles
des peuples, au lieu de reproduire les thèses occidentales, est
tombé aux portes de la Syrie et de Bahrein, en attendant que son
manque d’objectivité se confirme dans d’autres pays. La méthode
était pourtant subtile : gagner les esprits arabes épris de
liberté et de dignité en couvrant les agressions israéliennes
contre le Liban et la Palestine, avant de profiter de la brèche
des aspirations arabes pour défendre discrètement les plans
américains de déstabilisation de la région. Heureusement, ces
manœuvres ne passent plus. Tant pis pour ce rêve-là. D’autres
médias reprendront le flambeau et la résistance aura le mot de
la fin.
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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