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Opinion
La voie de la
dignité
Soraya Hélou
Nabih Berry
Samedi 12 février 2011
Il faut suivre les réunions officielles arabes pour comprendre
l’étendue du fossé qui existe entre les régimes et leurs
populations. Le spectacle était ainsi saisissant à Doha lors de
la tenue du 17ème congrès des Parlements arabes. D’un côté la
chaîne
Al Jazeera qui transmet en permanence les développements en
Egypte et de l’autre, les discours lénifiants des chefs des
Parlements (ou Conseils consultatifs pour la plupart) arabes
dans la grande salle d’un hôtel aux tentures de velours et aux
lustres lumineux, qui semble sortir d’un autre siècle. Alors que
le président du Parlement yéménite condamne « les extrémistes »
qui veulent semer le chaos dans un pays qui n’est lui-même pas à
l’abri d’une éventuelle révolte populaire et que le président du
Parlement jordanien évoque des réformes nécessaires tout en
refusant le changement radical, sans parler du président du
Parlement palestinien qui devrait être le plus enthousiaste face
aux deniers développements et qui était en fait le plus sourd,
seul le président de la Chambre libanais Nabih Berry a eu le ton
juste, en harmonie avec les sentiments des populations arabes
bouillonnantes et aspirant à des régimes plus justes. Berry a
aussi compris qu’au-delà des problèmes économiques qui frappent
le monde entier, c’est surtout à la dignité qu’aspirent les
jeunes arabes, cette dignité bafouée par l’alignement de leurs
régimes sur la politique des Etats-Unis qui ne tient elle-même
compte que des intérêts d’Israël.
Berry a expliqué aux présents que le changement a bel et bien
commencé et qu’il est irréversible. Il a été lancé à Tunis,
s’est poursuivi au Liban et se joue actuellement en Egypte. Si à
Tunis et au Caire, les jeunes ont été contraints à manifester
pendant plusieurs semaines, au Liban, la transition s’est faite
en douceur, selon les règles constitutionnelles. Pourquoi? Sans
doute parce qu’au Liban, la grande partie de la population ne se
sent pas humiliée par des accords insultants avec "Israël" et
que ce pays, en dépit de toutes les failles de son système
politique et confessionnel, reste celui où il y a le plus de
liberté et de démocratie dans la région, et où les dirigeants
continuent plus ou moins à entendre la voix du peuple.
Toute la problématique est là. Les dirigeants d’une grande
partie des pays arabes semblent vivre dans une bulle, une sorte
de tour d’ivoire imperméable aux soucis de leurs populations et
à leurs sentiments. Forts de l’appui des Etats-Unis et de ce
qu’on appelle l’Occident en général, ils se croient éternels et
oublient que ceux qu’ils gouvernent ne sont pas des machines qui
acceptent tout ce qu’on leur impose sans jamais réagir. Berry a
ainsi clairement appelé à plus de liberté, invitant les
parlementaires arabes à être les fers de lance des réformes, en
rédigeant des lois au lieu des communiqués creux. Il a aussi
demandé à la communauté occidentale et plus particulièrement à
l’Europe de cesser d’évoquer le problème des minorités dans la
région, attisant ainsi le feud e la discorde, alors que « si
l’Europe avait elle-même protégé la minorité (juive) chez elle,
la région n’en serait pas là aujourd’hui ».
Berry a d’ailleurs mené une bataille féroce pour que le
communiqué final comporte un appui au peuple égyptien, alors que
la majorité des chefs des conseils consultatifs voulait « un
communiqué qui coule comme de l’eau » pour ne pas déranger
personne, notamment le président Moubarak et l’administration
américaine…Il a fini par l’emporter, mais dans le monde arabe
actuel, que vaut un communiqué, sitôt publié, sitôt oublié?
Certains croient encore pouvoir relever les nouveaux défis avec
des méthodes qui viennent du Moyen-âge. Mais les murs aussi
épais soient-ils des palais ne peuvent plus protéger des
dirigeants sourds des cris de la population. Les Egyptiens en
ont assez d’être humiliés et livrés au désespoir, les autres
populations ne peuvent pas rester indifférentes à cette révolte.
Seul le Liban a fait ses choix bien avant les autres arabes,
optant pour la dignité et la véritable souveraineté, celle qui
lui permet de prendre ses décisions loin de toute interférence
américaine ou autre. Devant les Parlementaires arabes, Nabih
Berry a parlé au nom des Libanais. Il a été écouté, au point que
les chefs des Parlements sont venus ensuite le féliciter en
ayant cette phrase terrible « Vous dites ce que nous ne pouvons
pas exprimer ». Mais l’ont-ils pour autant entendu et ont-ils
compris que le nerf arabe en dépit de toutes les tentatives
américaines pour le briser est toujours vivace?
Article publié sur Résistance islamique au Liban
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