Chronique
Le monde à livre
ouvert
Slobodan Despot
Mardi 19 juin 2012
On me presse de
prendre position sur les événements de
Syrie, d’en évoquer les coulisses
géopolitiques. Il me semble qu’il n’y a
plus de position à prendre sur de tels
objets et que ceux qui n’y voient pas
encore clair feraient bien de consulter
leur oculiste. Voici donc un
gouvernement bête en plus d’être méchant
et qui s’acharnerait à massacrer ses
propres citoyens pour les laisser filmer
ensuite et se discréditer ainsi aux yeux
du monde. Je parle bien sûr du massacre
de Houla. Le fait que ce crime ait été
finalement l’œuvre du camp d’en face —
les « bons » — a été contourné comme un
lit de braises par nos pudiques médias.
Cela rappelle trop le scénario élaboré
pour détruire le pays où je suis né et
qui n’existe plus, la Yougoslavie. Qu’il
me suffise, à titre d’illustration, de
noter qu’aucun média occidental n’a
relevé l’arrestation en Israël, fin mai
dernier, du principal inculpé dans
l’affaire du trafic d’organes humains au
Kosovo. On passe les menottes à un émule
probable du Dr Mengele ou d’Hannibal
Lecter, et nul n’applaudit ! Pourquoi ?
Parce que les humains dépecés étaient du
mauvais camp ? Quoi qu’il en soit, la
révélation de cette épouvante par
l’enquêteur suisse Dick Marty n’aura pas
valu à ce dernier le Nobel de la Paix,
mais uniquement l’Oscar des emmerdes.
L'alliance des
«libérateurs»: Thaçi, parrain des
parrains, Kouchner, docteur compromis,
Jackson, général servile, Çeku, criminel
de guerre et Clark, exploitant
charbonnier.
Ce n’est pas assez clair ? Ajoutons
ceci : que le général Wesley Clark,
commandant de la coalition qui bombarda
la Serbie en 1999 au nom de la
démocratie, vient d’annoncer son projet
d’exploiter les gisements de houille de
ce Kosovo qu’il « libéra » jadis comme
on libère un capital, à la grande joie
des barons de la drogue et des trusts
anglo-saxons. Lorsque je disais, voici
treize ans, que c’était le vrai but de
la croisade occidentale, on me traitait
de fasciste.
Sans doute ai-je mes partis pris,
mais j’ai aussi des yeux pour voir. Les
vertueuses croisades démocratiques,
auxquelles on tient tant à faire adhérer
la Suisse, finissent dans la rapine et
le chaos. C’est leur seul bilan réel,
une fois qu’un a tiré le trait sous les
belles intentions. Comment se fait-il
que, dans nos sociétés de comptables, si
peu de gens aient la lucidité de tirer
de tels bilans ?
Ceci m’amène au vrai sujet de ma
chronique. Le 22 juin prochain, je suis
invité à la bibliothèque de Saillon pour
un exercice redoutable : présenter ma «
bibliothèque idéale ». Une bibliothèque
intime n’est pas un agrément, ni une
décoration de salon. C’est l’ensemble
des influences qui ont façonné en
profondeur une vision du monde. Les
révéler, c’est un peu dévoiler son
arsenal. Le mien est essentiellement
littéraire. Car la littérature, depuis
la nuit des temps, colporte la seule
vérité sur l’homme, ses vices et ses
mobiles qui ne soit pas susceptible de
manipulation. Elle est le pilier de
notre compréhension de soi et du monde.
Faut-il s’étonner si les fabriques
d’ignorance modernes font l’impasse sur
la culture littéraire ? Les puissants de
ce temps n’ont pas besoin de citoyens
avertis, mais de papillons sans mémoire
qui se cogneront mille fois à la même
vitre.
Le Nouvelliste, 19 juin 2012.
© 2011 Slobodan
Despot
Publié le 21 août 2012
Les dernières mises à jour
|