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Asia Times Online
Olmert joue avec le « diable »
Simon Allison
Ehoud Olmert - Photo Reuters
Asia Times Online, 20 juin 2008
article original :
"Olmert gambles with the 'devil'"
JERUSALEM - C'est l'une des merveilleuses ironies qui rendent la
politique si intéressante - et si ridicule : le Premier ministre
israélien, Ehoud Olmert, a placé son avenir politique immédiat
entre les mains de l'ennemi juré d'Israël, le Hamas.
Le cessez-le-feu négocié avec le gouvernement à Gaza - à la
fois dirigeants de la Palestine démocratique élus et
"organisation terroriste" - est un pari désespéré, un dernier
lancé de dés pour Olmert qui est de plus en plus assailli et
dont la survie en tant que premier ministre semble maintenant
dépendante de la manière dont répond le Hamas.
La racine du problème est l'argent - en particulier, si Olmert
s'est servi un peu trop généreusement lorsqu'il était maire de
Jérusalem. Les enquêtes de corruption doivent encore aboutir à
une conclusion, mais la coalition au pouvoir déjà fragile
commence à craquer sous la tension.
Le ministre de la défense Ehoud Barak, leader du deuxième plus
grand parti de la coalition, le Parti Travailliste, a menacé de
faire tomber le gouvernement si Olmert ne démissionne pas, et le
dirigeant de l'opposition, Benjamin Netanyahou attend
impatiemment son heure pour retourner à la plus haute fonction.
Désespéré, Olmert sait qu'il a besoin de quelque chose
d'important pour distraire ses détracteurs, pour éloigner le feu
des projecteurs de ses indiscrétions financières. Et ainsi,
comme la petite brute qui frappe l'enfant qui lui est inconnu
pour dissimuler son propre manque d'assurance, Olmert s'est
tourné vers la Palestine. Mais, ressentant peut-être que la
communauté internationale ne serait pas trop disposée à une
invasion à grande échelle (et nerveuse d'éviter une répétition
de la raclée distribuée par le Hezbollah au Liban, il y a deux
ans), Olmert a rejeté la pyrotechnie distrayante des chars, des
missiles et des jolies explosions. Du moins pour l'instant.
Plutôt que les feux d'artifice, Olmert a réussi un tour de
passe-passe, faisant une offre au Hamas que celui-ci était trop
fatigué et trop affamé pour refuser : arrêtez les combats et
Israël ouvrira les lignes d'approvisionnement, a-t-il dit aux
Gazéens par l'intermédiaire des médiateurs égyptiens.
En lui-même, ce fut un tournant dans les relations entre Israël
et le Hamas - en parlant et en se mettant d'accord l'un avec
l'autre, même indirectement, chacun des deux camps a conféré à
l'autre camp cette sorte de légitimité qui trahit tout ce qu'ils
représentent, mais qui finalement reconnaît la réalité de la
situation politique. C'est aussi une leçon que les candidats à
la présidence des Etats-Unis pourraient prendre à cœur. Tous
deux - le Sénateur démocrate Barack Obama et le Sénateur
républicain John McCain - ont parlé à des niveaux divers de leur
conviction de ne pas engager le dialogue avec les "organisations
terroristes" et autres de ce genre. Toutefois, refuser de leur
parler ne les fera pas partir et, parfois, les mots peuvent
accomplir plus que les fusils et les renseignements défectueux.
Tout pareillement, on ne s'attend pas à ce que ce cessez-le-feu
perdure. C'est certainement ce que pensent les gens de tous les
milieux à Jérusalem, la capitale d'Israël, et c'est clairement
ce à quoi s'attend Olmert lui-même. "Je ne me fais aucune
illusion", a-t-il déclaré dans un discours récent. "Ce que l'on
appelle le 'calme' est fragile et ne dure pas longtemps. Le
Hamas n'a pas changé de peau. Ils sont assoiffés de sang et ce
sont des terroristes méprisables qui, même aujourd'hui, font
tout ce qu'ils peuvent pour faire du mal aux civils israéliens.
Le Hamas … sera responsable de toute violation de ce 'calme'."
Cette dernière condition prépare effectivement le Hamas à
trébucher, parce que, contrairement aux perceptions, le Hamas
n'a pas lui-même le contrôle total de la Bande de Gaza, qui
abrite de nombreux autres groupes partisans de la lutte armée
qui ne répondent pas aveuglément aux ordres du Hamas. Olmert
rend effectivement le Hamas responsable des actions de ceux sur
lesquels il exerce peu de contrôle ; et, imposer une condition
aussi restrictive accroîtra considérablement les chances que le
cessez-le-feu soit violé.
La profondeur du manque de contrôle du Hamas a été illustrée,
mardi, par la mort du dirigeant de l'Armée de l'Islam, Muataz
Durmush, qui a été tué dans une frappe israélienne ciblée. Selon
le Jerusalem Post, Durmush avait survécu à des tentatives
d'assassinat, au cours des deux dernières années, de la part à
la fois du Fatah et du Hamas, et il était considéré par les deux
camps comme un "voyou et un meurtrier". Dans un rare alignement
d'intérêts, les Palestiniens étaient tout aussi heureux que les
Israéliens de le voir partir.
La Palestine n'est pas un Etat uni et Gaza n'est pas un
territoire unifié. Aussi sincères que soient les intentions du
Hamas, les risques sont importants que d'autres groupes prennent
la responsabilité de violer le cessez-le-feu. Et si jamais cela
devait se produire de façon assez dramatique - par exemple,
qu'un Israélien soit tué - alors Olmert se retrouvera avec plein
de justifications aux yeux de ceux pour lesquels il est
important (les Israéliens et le gouvernement des Etats-Unis) de
lancer une attaque généralisée contre la Bande de Gaza.
Il faudrait alors un Barak ou un Netanyahou très courageux pour
oser renverser le dirigeant d'un pays en guerre, qui surferait
sur la vague de la ferveur nationaliste, qui accorderait au
minimum à Olmert un sursoit à exécution ; au mieux, avec le
soutien du public désormais derrière lui, toute l'enquête de
corruption serait silencieusement reléguée au second plan.
Toutefois, si le cessez-le-feu venait à être violé d'une façon
mineure qui ne fournirait pas un prétexte pour une offensive
généralisée, Olmert se retrouverait à la case départ eu égard à
la situation à Gaza et à sa situation intérieure. Un retour aux
échanges transfrontaliers désordonnés de représailles
n'apporterait rien de bon à sa popularité et ne dissuaderait
certainement pas ses détracteurs. A la place, ceux qui le
critiquent retourneraient l'arme sur lui et il serait peu
probable que son gouvernement supporte la pression. Netanyahou
entrerait dans la danse.
Il y a une autre option, bien qu'elle soit une solution
inconcevable pour la plupart des Israéliens (Arabes ou Juifs) :
que le cessez-le-feu soit observé et qu'un semblant de paix et
de normalité retourne sur les zones frontalières de Gaza et
d'Israël. Ceci se refléterait positivement sur Olmert, en
particulier dans la communauté internationale, même s'il devait
lutter contre les médiateurs égyptiens pour qu'ils ne s'arrogent
pas tout le crédit.
Mais comment la paix agira sur le plan intérieur est un autre
sujet. Elle devrait permettre à Olmert de récolter un soutien
populaire, mais elle ne ferait probablement pas disparaître les
accusations de corruption et pourrait créer plus de problèmes
que de solutions pour le premier ministre israélien, en
particulier avec l'élément crucial de la droite conservatrice de
la politique israélienne, qui verrait la légitimation du Hamas
comme une menace pour l'Etat israélien.
Une paix durable verrait probablement le gouvernement
s'effondrer, mais ce pourrait ne pas être un désastre total pour
Olmert - non nouveau rôle inhabituel d'artisan de la paix
agirait de façon positive dans les sondages, d'une façon que son
image actuelle de politicien vénal et corrompu ne ferait pas.
Simon Allison est étudiant en affaires
internationales, avec l'accent sur le Moyen-Orient. Il est
actuellement basé au Caire, en Egypte.
Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]
Publié le 23 juin 2008 avec l'aimable
autorisation de Questions Critiques
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