Bouazizi n’est plus de ce
monde. Il ne souffre plus. Paix à son âme. Mais son immense
sacrifice a ouvert les portes de l’espérance à des millions de
gens dans des pays où l’horizon paraîssait totalement cadenassé.
Des gens qui, en Algérie, en Jordanie, au Yémen, en Egypte, ont
trouvé en Bouazizi, en son geste tragique, la force d’exprimer
avec courage la colère longuement accumulée contre des
dirigeants honnis...
Si cette révolution – en
train de s’accomplir - a pu se déployer avec cette
extraordinaire ampleur, c’est bien évidemment parce que, dans de
très nombreux pays arabes, le ressentiment populaire accumulé
contre des régimes tyranniques et corrompus est un baril de
poudre qui n’attendait que l’étincelle pour exploser.
Des millions de gens de par
le monde, qui ne supportent pas l’injustice et l’ensauvagement
de leurs sociétés, ont regardé avec espoir, avec inquiétude [1],
avec admiration, ces rassemblements d’Égyptiens défier malgré la
peur, la fatigue, les gaz asphyxiants, des policiers en
uniformes noirs ou en civil, et réussir, en quelques jours
seulement, à faire vaciller le régime trentenaire et brutal de
Moubarak, le grand allié d’Israël.
En ce 30 janvier 2011, tous
les yeux sont tournés vers ces millions d’égyptiens qui sont en
train de défier le pouvoir au Caire, sur Tahir Square, et dans
d’autres villes, en retenant leur souffle.
Oui, le monde retient
aujourd’hui son souffle. Car, après les sacrifices consentis –
des centaines de morts, des milliers de blessés graves – le
régime de Moubarak, soutenu militairement par les États-Unis,
pense sauver les meubles en nommant Omar Souleiman [2]
comme vice-président et possible successeur. Or, cette
nomination est lourde de dangers.
Il est temps que les
gouvernements des grandes puissances « démocratiques »
qui soutiennent ces régimes dictatoriaux rendent des comptes à
leurs propres peuples. Car, sans le soutien qui leur a été
fourni, au nom de la real politique, au nom de la lutte contre
le « danger islamique », ces dictateurs
n’auraient jamais pu régner durant des décennies et mâter leurs
peuples.
Des grandes puissances qui,
faut-il le rappeler, n’ont officiellement que la défense des
droits de l’Homme et la « démocratie » à la
bouche, mais qui s’empressent de liquider la démocratie ou de la
mettre en quarantaine quand elle ne produit pas le résultat qui
leur convient.
Comme nous l’avons vu en
1992, lorsque l’armée algérienne, soutenue par les pays
occidentaux, a interrompu - avec toutes les conséquences
douloureuses qui s’en sont suivies pour le peuple algérien [3]
- le processus électoral qui avait vu le Front Islamique du
Salut arriver en tête du premier tour des législatives du 26
décembre 1991.
Comme nous l’avons vu avec la
mise à l’écart du Hamas par ces mêmes gouvernements occidentaux,
quand celui-ci a remporté les élections législatives du 26
janvier 2006 à la suite d’un scrutin reconnu comme parfaitement
honnête.
Nous avons vu, nous voyons,
tout cela se dérouler emplis de dégoût et de honte.
La colère est grande,
également en Occident, dans le cœur des gens qui n’acceptent pas
de voir des autorités manipuler l’opinion et des journalistes
mentir, au sujet des vrais enjeux de notre temps.
La propagande visant à
susciter la peur en brandissant la « menace de
l’intégrisme islamique » ne convainc plus. C’est pourquoi
ceux qui veulent comprendre quels sont les vrais enjeux, savent
en ce moment aller trouver des informations non filtrées sur
Al-Jazeera ou PressTV [4],
n’en déplaise aux détracteurs de ces chaînes.
Aujourd’hui, des milliers de
gens de par le monde, communiquent, s’engagent de manière
volontaire pour contrer la désinformation et écrire, traduire,
diffuser inlassablement sur la toile une contre-information. Et
travaillent d’arrache pied pour construire des réseaux de
solidarité avec des peuples bâillonnés et leur dire : votre
combat est le nôtre.
Les gens ne sont pas dupes.
Ils regardent avec dégoût les propagandistes amis d’Israël, se
livrer à des manipulations pour tromper l’opinion publique,
crier au scandale, comme cela s’est passé en juin 2009, quand le
président iranien Ahmadinedjad a été réélu pour un second mandat
avec 62,6% des suffrages exprimés [5]
et que le candidat, soutenu par les États Unis, la France, la
Grande Bretagne, a perdu. Or ces agitateurs (comme, en France,
BHL et Alexandre Adler) et ces États en guerre contre le monde
arabo musulman, nous ne les avons jamais vu broncher à l’annonce
des scores faramineux obtenus par Hosni Moubarak lors de ses
réélections successives, ni devant la scandaleuse manipulation
des élections législatives égyptiennes de novembre-décembre
2010 [6].
Si les États-Unis sont le
principal soutien financier et militaire du régime d’Hosni
Moubarak – considéré avec la Jordanie comme le plus sûr allié
d’Israël – la France n’est plus en reste depuis l’arrivée à
l’Elysée de Nicolas Sarkozy. En visite officielle au Caire en
décembre 2007 il déclarait :
« Je voudrais
d’abord dire combien je suis heureux d’être en Egypte, à côté du
président Moubarak. C’est notre troisième rencontre, puisque je
l’avais reçu à Paris au mois d’août, j’ai eu l’occasion d’avoir
un long entretien avec lui à Charm el-Cheikh et un entretien
aujourd’hui. Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères,
s’est lui-même rendu à deux reprises déjà en Egypte. C’est dire
combien la France considère le rôle de l’Egypte essentiel et le
rôle du président Moubarak capital, non seulement pour les
dossiers de la région qu’il connaît parfaitement mais pour cette
question essentielle pour l’avenir du monde d’un dialogue entre
l’Orient et l’Occident qui est une question absolument
fondamentale.
Je voudrais dire au président
Moubarak combien j’apprécie son expérience, sa sagesse et la
vision modérée qui est la sienne
sur les grands dossiers où il privilégie le dialogue, le
consensus, la rencontre dans une région qui a besoin de paix et
qui n’a pas besoin de guerre. L’Egypte est, pour la France, un
partenaire essentiel et le président Moubarak est, pour nous, un
ami.
(…)
J’ai toujours pris mes responsabilités, je soutiens un
gouvernement qui lutte contre le terrorisme et j’ai dit au
président Moubarak que nous avions besoin de dirigeants de
grandes nations comme la nation égyptienne qui soient des
dirigeants modérés, non pas dans leur amour de l’Egypte, mais
dans la compréhension des problèmes de la région. La France,
elle, sera du côté de ceux qui luttent contre le terrorisme et
la barbarie. (…) ». [7]
Lors de sa conférence de
presse depuis le Palais de l’Elysée en janvier 2008, Nicolas
Sarkozy avait été encore plus clair : « Il faut
aider monsieur Moubarak en Egypte, (…) parce que, qu’est-ce
qu’on veut là-bas, les frères Musulmans ? » [8]
Comme pour la Tunisie, la
stratégie qui consiste à susciter la peur du « terrorisme »
islamique, a rendu les dirigeants occidentaux aveugles à la
souffrance et à la réelle aspiration de liberté de ces peuples.
Ils n’ont rien vu venir.
Ils n’ont pas compris
qu’aujourd’hui, dans de nombreux pays, beaucoup de gens
n’achètent plus les journaux, ne font plus aucune confiance aux
journaux télévisés, ne sont plus aussi perméables à la version
officielle de l’histoire déversée par les médias de
l’establishment et trouvent sur Internet une information libre.
Tel Aviv veut croire à la
survie du régime Moubarak : « Nous assistons à
un tremblement de terre au Moyen-Orient. Mais nous croyons que
le régime est assez fort et que l’Egypte va surmonter la vague
actuelle de manifestations (…) Il est dans l’intérêt fondamental
de l’Egypte de maintenir ses rapports privilégiés avec
l’Occident, et le maintien de la paix avec Israël s’inscrit dans
cette optique » déclarait un ministre du gouvernement
Netanyahu qui a requis l’anonymat [9].
Mais, signe de son inquiétude, Benjamin Netanyahou a maintenant
demandé à ses ministres de ne pas faire de commentaires aux
médias au sujet de ce qui se passe en Égypte.
Compte tenu de l’importance
majeure de l’Égypte sur l’échiquier moyen-oriental, et compte
tenu des moyens de répression de ce régime qu’Israël a
grandement contribué à renforcer, à l’aide d’un grand nombre de
conseillers et d’agents secrets, l’épreuve de force engagée
sera, comme on le voit et on le déplore, beaucoup plus dure
qu’elle ne l’a été jusqu’ici en Tunisie.
Car, comme l’avait ingénument
avoué le vice-premier ministre israélien Silvan Shalom,
« un monde arabe démocratique (…) serait
gouverné par une opinion publique généralement opposée à
Israël. » [10].