L’exode des Palestiniens de Gaza.
Alexandre
Adler ou l’art de renverser la donne
Silvia Cattori
Exode des Palestiniens de Gaza
vers l’Egypte, le 23.01.08
30
janvier 2008
C’est avec stupéfaction que
nous avons entendu, le 24 janvier sur les ondes de France culture,
l’interprétation donnée par Alexandre Adler de l’exode de centaines
de milliers d’habitants de Gaza vers l’Egypte.
Tout éditorialiste a le droit
d’avoir des opinions. Mais, force est de constater que, M. Adler
s’attache davantage à étayer les thèses bellicistes de l’axe
Tel Aviv – Washington, plutôt qu’a éclairer les divers points
de vues.
La vérité, dans les guerres
militaires et médiatiques menées par cet axe, n’est donc
jamais là où M. Adler veut, cyniquement, la faire apparaître.
Mais les gens ne sont pas dupes.
En voyant ce flot ininterrompu de Palestiniens se ruer vers
l’Egypte pour échapper à leur abominable ghetto, le 23 janvier
2007, ils ont bien compris que c’était là le geste d’un
peuple désespéré, abandonné, affamé, par une des plus
cruelles punitions collectives de notre temps, et qui, menacé
d’asphyxie, avait décidé de prendre sa survie entre ses mains.
M. Adler, n’en a pas moins
prétendu que ce n’était « certes pas de
faim ni réduits à l’abandon de tout soin » que les
gens de Gaza étaient sortis de l’« enclave » [1],
(terme utilisé par M. Adler pour ne pas nommer de son vrai
nom cette effroyable prison qu’est Gaza) mais parce que les « violences
que le Hamas a perpétrées contre le Fatah ont laissé un goût
amer, ainsi que les pillages des maisons des responsables de
l’Autorité palestinienne ».
Le flou, la répétition, le
vague, l’imprécis, et encore la répétition, voilà les armes
utilisées par M. Adler pour désorienter l’opinion, faire
diversion et renverser la donne.
De toute évidence, en se ruant en
Egypte, les habitants de Gaza voulaient échapper à la mort lente
que leur impose Israël. M. Adler ne pouvait l’ignorer.
C’est un comble d’insinuer que le peuple fuyait, en quelque
sorte, le Hamas ! C’est également un comble de faire dévier
le sujet, pour ne parler que du Hamas, en esquivant le fond du
problème !
M. Adler, les faits sont têtus.
Les gens bien informés savent fort bien que c’est ce même
peuple qui fuit présentement les persécutions d’Israël, qui
a, en juin 2007, spontanément saccagé les résidences luxueuses
appartenant à ces dirigeants « modérés »
-en réalité corrompus- du Fatah qui se servaient de milices
financées, entraînées et armées par le Mossad et la CIA pour déstabiliser
Gaza, et inciter la population à la guerre civile et à la révolte
contre le Hamas. De nombreux articles ont documenté ces évènements
de manière équilibrée.
M. Adler ne peut ignorer non
plus que, si « goût amer » il y a
chez les habitants de Gaza, il vient des persécutions israéliennes,
et de ceux qui s’en font les complices, dans le but de briser tout
esprit de résistance.
Comment M. Adler peut-il faire
l’impasse sur les centaines de morts, victimes des frappes effectuées
ces dernières semaines à Gaza par l’armée israélienne, et sur
les blessés et les mutilés qui gisent dans les hôpitaux, dont la
moitié sont des femmes et des enfants ?
Faire porter aux autorités du Hamas
la responsabilité de la politique d’étranglement et d’asphyxie
inhumaine d’Israël, politique qu’Ilan Pappe qualifie de génocidaire,
est une étrange manière de traiter l’information ! [2]
M. Adler se fait le porte parole
de la propagande militaire israélienne quand il affirme : « Il
y a des sondages qui sont parfaitement sincères montrant que le Hamas
n’est plus suivi par la population. L’image de l’Autorité palestinienne
est remontée » [3].
Sur quel « sondage
sincère » M. Adler fonde-t-il ses dires ? Nous
avons cherché. Mais personne, à notre connaissance, ni à Gaza ni
en Cisjordanie, n’a entendu parler d’un sondage démontrant que
la popularité de l’Autorité palestinienne « est
remontée » !?
Il semblerait que, malgré tout ce
que le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne de
Ramallah, incarnée par MM. Abbas et Fayyad, ont tenté pour
couper les Palestiniens du Hamas, et toutes les punitions collectives
qui leur rendent la vie impossible, le Hamas disposerait toujours
d’un large soutien à Gaza [4].
Le 29 janvier, M. Adler a consacré
une nouvelle chronique au Hamas [5].
Ce qui est intéressant, est de constater que, d’une fois à
l’autre, M. Adler tape sur le même clou, que cela ferait partie
d’une stratégie de communication. On sait bien qu’il suffit de
répéter sans fin un mensonge pour le transformer en vérité.
Et, à l’antenne, il est d’autant plus facile de raconter des
histoires à l’envers qu’il n’y a personne pour vous
contredire.
Le but de M. Adler serait donc
bien, ici, de mettre le Hamas au centre de tous les problèmes - et
non pas l’occupant - et de lui attribuer une importance et un rôle
régional qu’il n’a pas.
Quand M. Adler dit cette chose
ahurissante, à savoir que ce serait le Hamas qui « a
enfermé le million deux cent mille habitants de Gaza dans une situation
apparemment sans issue », il affiche un aplomb
extraordinaire.
Ainsi Israël, qui a en fait bouclé
hermétiquement Gaza, n’aurait imposé selon M. Adler qu’
« un petit blocus ». Oubliées les
frappes aériennes dévastatrices et les massacres de civils Palestiniens
qui ont mis Gaza a feu et à sang. Selon M. Adler, ce sont bien
sûr les roquettes du Hamas qui « augmentent
la légitimité des raids israéliens ». Voilà Israël
blanc comme neige, légitimé par M. Adler qui a manifestement
un parti pris dans cette guerre.
Et M. Adler de répéter -car
il faut toujours enfoncer le clou- ce qu’il avait affirmé quelques
jours plus tôt, en rappelant que des « sondages
menés par des sociologues palestiniens et assez crédibles »
montrent une « remontée lente mais inéluctable
de la popularité de l’Autorité Palestinienne » et « un
effondrement de la popularité du Hamas ». Or, comme dit
plus haut, nous n’avons pas trouvé trace de ces sondages.
M. Adler ne dira évidemment
pas - c’est pourquoi nous tenons à le rappeler - que le Hamas incarne
la résistance de tout un peuple ; qu’il est un mouvement né
de l’opposition à l’occupation israélienne et que, sans cette
occupation, il n’existerait pas.
Par contre, par amalgames
successifs, M. Adler prendra grand soin de toujours associer
le Hamas à ces autres cibles d’Israël que sont les Frères
musulmans, l’Iran, la Syrie, (que M. Adler s’attache
également à diaboliser depuis belle lurette). Les pays, les
leaders, et les mouvements considérés par Israël comme un obstacle
à sa domination politique et militaire, sont les cibles de M. Adler.
M. Adler a également affirmé
que le Hamas a « procédé à des exécutions
sommaires d’opposants ».
Tiens donc ! L’armée israélienne,
elle, procède tous les jours à des exécutions sommaires, à Gaza
et en Cisjordanie ! Le Shin Bet a affirmé avoir tué, donc exécuté
sans procès, 1’000 Palestiniens à Gaza ces deux dernières années [6].
Les assassinats ciblés exécutés
par des missiles lancés par des drones et des F 16, que M. Adler
dit « légitimes », sont des exécutions
sommaires pures et simples. Bien entendu, M. Adler n’en dit
mot !
Quand M. Adler dénonce les exécutions
sommaires du Hamas sans parler des exécutions sommaires commises
par l’armée israélienne en Palestine, vérifiées, quantifiées
par Betzelem, une organisation des droits de l’homme israélienne,
M. Adler n’est pas crédible !
On incrimine le Hamas et on tait ce
qui incrimine gravement Israël ! Il suffit de lire ce qu’écrivent
les journalistes palestiniens qui ont documenté avec précision qui
a fait quoi à Gaza [7]
pour comprendre que les propos de M. Adler n’ont qu’un lointain
rapport avec la réalité.
Les chroniques d’Alexandre Adler
sur le Hamas et les Frères musulmans, sont toutes
à l’image de la campagne qu’il avait menée en d’autres temps
contre les Talibans. En les écoutant d’une
oreille critique on peut comprendre la grammaire et la logique de
cette narration et entrevoir ce qu’elles annoncent d’inquiétant :
les guerres à venir.
Après avoir longtemps véhiculé
la théorie du « choc des civilisations »,
en divisant le monde entre gentils « judéo-chrétiens »
et barbares musulmans, M. Adler s’emploie, avec l’insistance
du propagandiste, à nous présenter comme « modérés »
les dirigeants qui s’associent aux « guerres
de civilisations » d’Israël et des Etats-Unis -comme
les Palestiniens Abbas et Fayyad, l’Egyptien Moubarak, le roi d’Arabie
Saoudite, le Prince Abdallah de Jordanie ; et à qualifier leurs
peuples -qui les rejettent en grande majorité- d’« extrémistes »,
d’« islamistes », de « terroristes ».
Ainsi, M. Adler se fait le zélé
propagateur de l’idée chère aux néoconservateurs pro-israéliens
selon laquelle les « judéo-chrétiens »
sont menacés par le Hamas, le Hezbollah, l’Islam.
Mais, si elle sert à justifier les
guerres d’Israël et des Etats-Unis, cette manière de présenter
les « judéo-chrétiens » comme les
bons, les civilisés, et les musulmans comme les méchants, les
sauvages, ne respecte aucune éthique journalistique.
Quand M. Adler réduit les choses
à une opposition entre « modérés »
et « extrémistes », à des sunnites
qu’il oppose aux chiites ou aux chrétiens et inversement, nous
savons que cela fait partie de l’arsenal de guerre des bellicistes
qui se servent de la religion pour diviser et mater les populations
des pays qu’ils occupent et détruisent.
Après quoi, des mouvements de résistance
qui s’enracinent dans une foi religieuse, comme le Hamas et le
Hezbollah, mais qui, de fait, sont nés pour combattre l’occupant
et se défendre de ses attaques militaires –et constituent un obstacle
aux projets de domination et d’expansion d’Israël- sont présentés
par M. Adler comme une menace pour la terre entière.
C’est avec ce genre de récit, que
M. Adler nous a présenté les guerres, qui ont détruit l’Afghanistan
et l’Irak et généré tant de souffrances, comme nécessaires ;
en affirmant par exemple qu’elles « libéreraient
les femmes de la Bourka » [8]
Il y a heureusement d’autres voix
qui s’élèvent, pour nous parler avec humanité des atrocités
et humiliations auxquelles ces guerres soumettent ces femmes que
M. Adler prétendait « libérer ».
Comme la voix de Nurit Peled, une
mère israélienne, qui exprime ainsi sa douleur : « Que
pourrons-nous dire aux mères qui vont en quête de pain pour leurs
enfants dans les rues de Gaza, et que pourrons-nous nous dire à nous-mêmes ?
Seulement cela : soixante ans après Auschwitz, l’Etat des
Juifs enferme un peuple dans des ghettos et l’assassine par la
faim, l’asphyxie et la maladie » [9].
Chacun pourra le constater par lui-même :
une fois mise par écrit, la chronique parlée d’Alexandre Adler
dévoile la pauvreté de son analyse. Et ce qui peut apparaître parfois
comme de l’habileté narrative s’évapore.
Le danger et l’obstacle à la paix
ne sont ni le Hamas ni le Hezbollah. Ce sont les officines de communication
au service des guerres d’occupation d’Israël et des Etats-Unis
et les propagandistes à leur solde qui, en induisant l’opinion
en erreur et en facilitant la poursuite de guerres injustes, sont
le vrai danger pour l’humanité et le principal obstacle à la paix
du monde.
Silvia Cattori
* Ancien élève de l’Ecole normale
supérieure de la rue d’Ulm, agrégé d’histoire, Alexandre Adler
est presenté comme un "grand spécialiste des questions de géopolitique
internationale contemporaines" par la presse dominante. Coqueluche
de nombreux médias, chroniqueur à France Culture, membre du comité
éditorial du Figaro, il occupe la scène médiatique depuis plusieurs
déccennies.
[1]
Le 24 janvier 2008 sur la radio de France Culture, à la question :
« Que se passe-t-il à Gaza ? »
Alexandre Adler a répondu : « Il y a
la vision minimaliste : celle que nous avons entendue ;
manifestation d’épuisement, de fatigue de la population de Gaza
qui certes n’est pas à la faim ni n’est réduite à
l’abandon de tout soin, mais qui est soumise à un blocus sévère
tant que le Hamas continuera à autoriser des tirs de roquettes
sur le territoire israélien, ce qu’il n’a pas cessé depuis
sa prise de pouvoir dans l’enclave palestinienne (…) »
[2]
http://www.ism-france.org/news/article.php ?id=6076&type=analyse&lesujet=Nettoyage%20ethnique
-http://www.millebabords.org/spip.php ?article7688
[3]
Le passage complet : « Autre vision. Il
y a le contexte politique à Gaza : il y a des sondages qui
sont parfaitement sincères montrant que le Hamas n’est plus
suivi par la population. L’image de l’Autorité palestinienne
est remontée. Les violences que le Hamas a perpétrées contre le
Fatah ont laissé un gout amer ainsi que les pillages des maisons
des responsables de l’Autorité Palestinienne et par ailleurs la
situation paraît difficile, extrêmement pénible. Donc par ce
coup d’audace le Hamas s’est relancé, s’est redonné une
image »
[4]
En décembre 2007, environ 400’000 personnes se sont rassemblées
à Gaza pour célébrer les vingt ans d’existence du mouvement
Hamas, ce qui a permis aux observateurs de penser que le Hamas
continue d’avoir un soutien populaire substantiel.
[5]
Transcription in extenso (telle que captée sur les ondes) de la
chronique de M. Adler diffusée le 29 janvier 2008 sur radio
France Culture : « Qu’est-ce qui se
passe depuis que le Hamas s’était emparé de Gaza. Mauvaise
passe d’abord dans l’image qu’il projetait chez les
Palestiniens et dans le monde arabe après avoir liquidé toute présence
d’Al Fatah dans l’enclave palestinienne, avoir procédé à
des exécutions sommaires d’opposants. Et puis mauvaise passe
plus profonde en ayant enfermé le million deux cent mille
habitants de Gaza dans une situation apparemment sans issue :
un petit blocus israélien qui limite la consommation en terme le
plus strict qui soit ; la poursuite d’attaques à la
roquette plus symbolique que réelle mais profondément agaçante
sur le territoire israélien qui augmentait la légitimité des
raids israéliens sur le territoire. Bref la fatigue se faisait
sentir dans l’ensemble de la population ; et des sondages
menés par des sociologues palestiniens et assez crédibles,
montraient en fait une remontée lente mais inéluctable de la
popularité de l’Autorité Palestinienne, sinon de son chef
Mahmoud Abbas, mais en tous cas du premier ministre Salem Fayyad,
et surtout un effondrement de la popularité du Hamas dans son
principal fief, la bande de Gaza. Cette situation était difficile
il fallait en sortir. Il fallait d’autant plus en sortir avant
que les bruits de fond commencent à compliquer la tâche du
Hamas. L’Iran est manifestement à la recherche d’un compromis
avec les Etats-Unis ; la Syrie elle-même, qui a peur d’être
abandonnée par l’Iran à un moment donné de la crise
libanaise, essaye elle aussi de renouer avec l’Occident comme
elle le peut. Hamas risquait donc de faire les frais d’un tel réalignement.
La solution a été trouvée aux origines même du Hamas car, in
vitro, Hamas c’est d’abord à Gaza quand il est né sous un
autre nom, une branche de la confrérie des Frères Musulmans égyptiens.
Or Gaza était un territoire égyptien ; c’est là que son
implantation a commencé ; les liens entre le Hamas et la
maison mère du Caire restent toujours importants. Or, l’idée
brillante qu’ont trouvée les dirigeants du Hamas à Gaza, ça a
été de se faire porter sur la frontière égyptienne pour y
fraterniser avec l’armée, pour ouvrir la frontière et pour
ainsi donner le sentiment que la libération venait du sud. Cette
opération a été menée de main de maître ; bien sûr, la
population s’y est prêtée avec enthousiasme étant donné les
restrictions auxquelles elle est soumise ; mais c’était
une opération commandée, organisée par la direction du parti.
Que s’est-il passé ? Par peur d’une fraternisation
totale de l’armée égyptienne et des manifestants palestiniens,
le gouvernement du Caire a cédé, a ouvert sa frontière ;
peut être celle-ci sera-t-elle ouverte en permanence ce qui fera
peser sur l’Egypte la responsabilité de ravitailler l’enclave ;
les Israéliens le souhaiteraient à la limite, mais surtout la
fragilité de l’armée Egyptienne a été prouvée une nouvelle
fois. Et c’est ici que l’on peut penser à la stratégie à
long terme des Frères Musulmans égyptiens ; ceux-ci en
effet, depuis des années, caressent une solution a la
pakistanaise, un remplacement en douceur d’Osni Moubarak, vieux
et de moins en moins écouté par des militaires plus jeunes, plus
dynamiques, lesquels par exemple feraient appel à quelques
ministres de la confrérie des Frères musulmans. Ce serait le
grand tournant de la politique égyptienne qui est déjà bien
avancée lorsque l’on regarde l’état de sa société. C’est
en tout cas quelque chose que le Hamas pourrait permettre et ceci
serait un aboutissement très paradoxal de la crise actuelle du
mouvement palestinien. »
[6]
http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3493794,00.html
http://www.silviacattori.net/article314.html
http://www.silviacattori.net/article171.html
[7]
http://www.ism-france.org/news/article.php ?id=8115&type=analyse&lesujet=Collabos
[8]
N’avions-nous pas vu, sur Arte, si nos souvenirs sont bons, M. Adler,
flanqué de Bernard Henry Lévy, affirmer que la guerre contre
l’Afghanistan allait « libérer les femmes
de la Bourka ». Or ces femmes jetées dans cette guerre
qu’elles n’ont pas voulue, continuent de porter la Bourka.
[9]
http://www.millebabords.org/spip.php ?article7654
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