Entretien
Sam Bahour : L’Accord de Genève
est une erreur
Entretien réalisé par Silvia Cattori

Photo BBC
24 avril 2007
Sam
Bahour est un homme d'affaires palestinien de nationalité américaine
qui, déterminé à contribuer au développement de son pays, a décidé,
en 1994, de s’établir en Palestine. Alors que n’importe
quelle personne de confession juive peut aller s’installer en
Israël comme bon lui semble, il n’a eu droit qu’à un visa de
touriste qui le contraint à sortir de Palestine chaque mois pour
en obtenir le renouvellement. A l’occasion de la venue du Président
palestinien Mahmoud Abbas à Genève, en visite culturelle, Silvia
Cattori a sollicité le point de vue de Sam Bahour sur l’utilité
de l’Accord de Genève et l’opportunité de ce genre de
rencontres, à un moment où le peuple de Palestine –et de Gaza
en particulier- souffre de la faim et vit sous la menace des opérations
militaires israéliennes les plus terrifiantes.
Silvia Cattori : Comment
l’autorité palestinienne liée au Fatah, peut-elle continuer de
cautionner une initiative de paix, comme l’Accord de Genève,
continuer d’ignorer le fait que toutes les factions l’ont
rejetée ? La Suisse a engagé des sommes importantes pour la
promouvoir. Cet argent n’aurait-il pas pu être consacré à
assainir l’eau des gens qui, à Gaza, en sont réduits à boire
une eau insalubre ? Pensez-vous que la Suisse a desservi
votre cause en soutenant une initiative aussi coûteuse?
Sam Bahour : Cette initiative suisse
n’était pas seulement très coûteuse financièrement ;
elle était aussi très coûteuse politiquement ; car les
concessions arrachées aux Palestiniens dans le cadre de ces
accord de Genève risquent de devenir le plancher à partir duquel
toute négociations future devra repartir.
Nul ne devrait se servir du refus d’Israël
de s’asseoir à la table des négociations pour aller négocier
de son côté, avec une toute petite minorité de militants israéliens,
le sort de notre peuple. Les Palestiniens qui ont participé à
des négociations dans le cadre de cette initiative de Genève,
n’auraient jamais dû envisager les choses sous cet angle là.
Ils ont fait, dans ce cadre, des concessions auxquelles la majorité
des factions palestiniennes étaient défavorables. Je ne pense
pas que des Palestiniens servent leur cause en agissant en leur
nom, en se livrant à ce genre de négociations, en faisant des
concessions qui vont encore au delà des nombreuses concessions
que nous avons déjà consenties sans rien obtenir en retour.
Arafat, qui était alors notre leader, a fait
une erreur en soutenant des Accords qui annulaient le droit inaliénable
au retour reconnu par l’ONU, un droit jamais nié par la
communauté internationale. Nous avons fait tant de concessions !
Qu’avons-nous obtenu ? Nous avons un mur d’apartheid qui
traverse notre terre, nous subissons des bombardements et des
assassinats tous les jours.
Silvia Cattori : Pourquoi
dès lors l’autorité palestinienne autorise-t-elle Abbed Rabbo
à aller de par le monde promouvoir cette initiative de Genève,
qui brade le droit au retour, tout en sachant que jamais son
peuple ne l’accepterait ?
Sam Bahour : Abbed Rabbo est allé négocier
à titre individuel et privé, tout comme l’israélien Yossi
Beilin. Il n’a aucune légitimité à représenter le peuple
palestinien. Le fait que des Etats, comme la Suisse ou les
Etats-Unis, donnent une telle importance à des individus qui ne
parlent qu’en leur nom et ne représentent en rien leur peuple,
aboutit à ce que tout le réseau de relation internationale
s’effondre et perd toute sa crédibilité.
La première étape de toute initiative
devrait être d’engager ses efforts et sa volonté politique au
service des exigences fixées par la IVe Convention de Genève. Le
pays dépositaire des Conventions de Genève devrait, au minimum,
faire respecter à l’occupant la loi qui régit l’occupation
et s’assurer que l’occupant ne brutalise pas l’occupé. Tout
le monde peut voir qu’Israël brutalise les Palestiniens. La
Suisse devrait remplir ses obligations ; tout tenter pour
stopper Israël.
Ce que nous attendons de la Suisse, si elle
veut être prise au sérieux, c’est qu’elle soutienne le
gouvernement élu en Palestine, et qu’elle ne tombe pas dans le
piège du boycott sous la pression des Etats-Unis.
Plutôt que de continuer d’entretenir des
liens avec des citoyens privés, j’attends de la Suisse
qu’elle s’assure que les gens vivant sous occupation militaire
soient réellement protégés conformément à la loi
internationale, et qu’elle utilise toute sa volonté politique
pour amener Israël à respecter ses obligations.
Silvia Cattori : Le
discours véhiculé par les Palestiniens qui vont à ce
genre de rencontres officielles en Occident –sous la direction
d’Abou Mazen comme hier sous Arafat- que l’on entend souvent
est : «Soutenez-nous, donnez-nous l’argent sinon ce sont
les islamistes qui gagnent ». Ce discours est très efficace
mais n’aide pas forcément à construire l’unité nationale en
Palestine !
Il y aura toujours des personnes qui servent
davantage leurs intérêts que ceux de leur peuple. Plutôt que de
négocier de manière séparée et d’agir en dehors des cadres
qui prennent en compte la légalité internationale, il n’y a
qu’une chose à faire : appeler les autorités israéliennes
à mettre fin à cette guerre et à l’occupation de la
Palestine. Il y a un occupant et un peuple occupé. Et il faut se
mettre du côté de la justice et de la vérité historique.
Silvia Cattori : Lors
de ses contacts extérieurs, M. Abbas n’associe pas de représentants
du gouvernement Hamas, ce qui doit passablement fausser le débat.
Le 26 avril 2007, M. Abbas participe à l’inauguration d’une
exposition au Musée d’art et d’histoire de Genève. Il y a
actuellement une collecte de fonds pour construire un Musée
à Gaza, à l’initiative de la Ville de Genève. Comme on l’a
vu depuis l’été passé, Israël a détruit toute
infrastructure à Gaza. Comment les Palestiniens, qui se battent
en ce moment pour leur survie, peuvent-ils ressentir la mise en
place de ce genre de projet ?
Sam Bahour : Nous devons résister
contre l’occupant et nous battre pour le faire partir. L’art
peut être une manière de résistance. Toutefois, l’art ne doit
pas devenir une priorité alors que les gens souffrent de la faim
et vivent dans l’insécurité la plus totale. La sécurité et
la nourriture sont le problème principal à Gaza.
Aussi, il convient de rappeler à vos autorités
qu’il est urgent d’intervenir pour briser le boycott que
l’on a imposé à notre peuple sous occupation. C’est du
jamais vu. En ce moment à Gaza, la priorité est d’assurer la sécurité
des gens. Donc, pour ceux qui veulent nous aider, la priorité est
de s’assurer que les gens aient de quoi se nourrir, que les
enfants puissent aller à l’école et voir respecté leur droit
à un développement normal.
A Gaza, la société s’effondre, la
situation se dégrade de façon inquiétante. Les gens se battent
pour trouver de la nourriture, les gens ont faim, et Israël les
maintient sous blocus, sous la menace des bombardements, enfermés
comme dans une prison. La priorité des priorités à Gaza,
c’est la sécurité ; c’est d’en finir avec l’étranglement
imposé par l’occupant ; faute de quoi les gens ne peuvent
que se révolter.
Je suis d’accord avec vous, il y a des
priorités. Les priorités majeures doivent être clairement
articulées comme préalable à tout projet.
La plus haute priorité pour tous les
Palestiniens, en ce moment, c’est la sécurité et d’en finir
avec l’occupation. Tous les autres projets -culturels et
d’affaires- peuvent continuer, mais aucun d’eux ne doit déclasser
la priorité à donner à la fin de l’occupation. Lorsque des
institutions prennent des initiatives, elles doivent se préoccuper
de savoir si cela peut aider à mettre fin à l’occupation. Je
suppose que Mahmoud Abbas se chargera de soulever ces questions.
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