LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU DÎNER DU CRIF
Jusqu'où va
descendre la voix de la France ? Silvia Cattori
Samedi 19 février 2011
Le discours prononcé le 9 février 2011 par le Président Nicolas
Sarkozy au dîner annuel du CRIF (Conseil représentatif des
institutions juives de France) démontre – s’il en était encore
besoin – l’alignement total de la France sur les intérêts
d’Israël. L’abîme qui sépare cette position de celle qu’avait
prise en 1967 le Général De Gaulle, apparaît proprement
vertigineux.
Il y a déjà longtemps que,
tout comme les congressistes états-uniens qui se bousculent aux
dîners de l’AIPAC (American Israel Public
Affairs Committee), le personnel politique français se
presse au dîner annuel du CRIF pour y faire allégeance à Israël,
comme le veulent ses organisateurs, et s’incliner
respectueusement devant ce qui n’est pas seulement une
organisation communautaire, mais un groupe de pression.
Premier Président de la
République à s’être plié à participer aux dîners annuels du CRIF
en février 2008, Nicolas Sarkozy a marqué cette année, par son
discours, un pas supplémentaire dans la subordination de
l’intérêt national de la France à celui d’Israël.
Se présentant comme un « ami
d’Israël » à « ce dîner du CRIF qui est
devenu au fil du temps un rendez-vous républicain », Nicolas
Sarkozy a commencé par quelques injonctions sur la recherche de
la « paix » ; comprenez : une paix placée
sous le signe de la « sécurité d’Israël »,
sans qu’il ne soit jamais question de justice ni même de
sécurité pour les Palestiniens menacés quotidiennement par les
agressions militaires israéliennes :
« Israël et
sa sécurité sont pour la France non négociables, mais dans le
même temps la France dit aux dirigeants d’Israël : vous devez
négocier pour construire la paix. Il n’y aura pas de sécurité
pour Israël sans la paix. »
Contrairement à Gilad Shalit
- que Nicolas Sarkozy voit « comme un Français »
alors qu’il a été fait prisonnier en opération militaire sous
l’uniforme israélien - le jeune franco-palestinien Salah Hamouri
emprisonné en Israël depuis près de six ans pour des raisons
politiques [1]
n’a naturellement pas eu droit à la moindre mention, pas plus
que les milliers de prisonniers politiques Palestiniens, des
civils enlevés arbitrairement de manière extrajudiciaire :
« Je n’oublie
pas non plus notre compatriote, j’ai dit notre compatriote car
dès mon élection j’ai dit que Gilad Shalit je le voyais comme un
Français et que toucher à Gilad Shalit,
c’était s’attaquer à la France (…) Je l’ai dit à ses
parents Noam et Aviva, jamais nous n’’abandonnerons leur fils à
son sort. Un sort que rien, je dis bien rien, ne saurait
justifier. »
Nicolas Sarkozy a accusé, une
fois de plus, le Président iranien de vouloir « rayer
Israël de la carte », une citation mensongère puisque l’on
sait que ce dernier a dit en réalité, ce qui n’est pas du tout
la même chose : « L’Imam [Khomeiny]
a dit que ce régime qui occupe Jérusalem doit
être effacé de la page du temps. » [2].
Et, alors que c’est Tel Aviv qui dispose de l’arme nucléaire et
qui menace constamment l’Iran de frapper ses installations,
Nicolas Sarkozy s’est fait menaçant, accusant l’Iran de violer
la loi internationale, sans un mot bien sûr pour toutes les
violations du droit international par Israël :
« Que les
choses soient claires, on ne peut pas accepter un Iran doté de
l’arme nucléaire et de missiles dont la portée s’allonge d’année
en année, en violation complète de la loi internationale. (…).
Jamais je n’accepterai que des dirigeants iraniens menacent de
rayer Israël de la carte. Et cette position, la France l’a
affirmée à de multiples reprises. Jamais la France n’acceptera
cela. Soyez certain, Monsieur le Président
que le droit d’Israël à vivre en paix et en sécurité, c’est une
priorité diplomatique et stratégique pour la France. »
Nicolas Sarkozy a terminé son
allocution par l’énoncé de ses « convictions »
sur le judaïsme et un appui réitéré à Israël :
« Je veux
dire, en tant que chef de l’Etat, que le judaïsme a contribué à
forger l’identité de la France. (…) Si la France a des racines
chrétiennes – je l’ai rappelé et pourquoi le nier puisque c’est
la vérité – la France a aussi des racines juives. La présence du
judaïsme est attestée en France avant même que la France ne soit
la France, avant même qu’elle ne soit christianisée. (…) Oui le
judaïsme fait partie des racines de la France.
(…)
Je sais et je comprends la place particulière que l’Etat
d’Israël occupe dans le cœur des juifs du monde entier. Pour la
France, l’existence de l’Etat d’Israël est une exigence de la
conscience universelle, et jamais les juifs de France, jamais,
n’auront à choisir entre leur conscience et leur patrie. »
Alors que Nicolas Sarkozy
n’a, en réalité jamais cessé de stigmatiser l’Islam et de le
désigner comme une menace, cette apologie du judaïsme –
expressément associée à la place que « l’Etat
d’Israël occupe dans le cœur des juifs » apparaît
particulièrement choquante.
Que cette voix là soit
aujourd’hui celle de la France ! Qu’une telle servilité à
l’égard des intérêts de l’Etat d’apartheid israélien, une telle
cécité politique vis-à-vis des intérêts réels de la France,
s’exprime aujourd’hui par la voix du Président de la République
française, cela laisse atterrés ceux qui ont encore en mémoire
la hauteur de vue, l’intelligence du propos et la lucidité
prophétique du Général de Gaulle lors de sa conférence de presse
du 22 novembre 1967 dont on trouvera ci-dessous la vidéo et le
texte.
Aussi bien sur la forme que
sur le fond, le contraste est saisissant !
Les Français sauront-ils se
réveiller avant que leur Président n’entraîne leur pays dans des
aventures qui ne le concernent pas, menées au seul bénéfice
d’Israël ?
Lors de la prochaine élection
présidentielle, si Dominique Strauss-Kahn est candidat,
sauront-ils se rappeler qu’avec lui aussi les intérêts d’Israël
passeront avant ceux de la France ? Ce dernier avait déclaré
« se lever chaque matin en se demandant comment
il pourra être utile à Israël ».
Texte de la Conférence
« L’établissement, entre les deux guerres mondiales, car il
faut remonter jusque là, l’établissement d’un foyer sioniste
en Palestine et puis, après la deuxième guerre mondiale,
l’établissement d’un Etat d’Israël, soulevaient, à l’époque,
un certain nombre d’appréhensions. On pouvait se demander,
en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si
l’implantation de cette communauté sur des terres qui
avaient été acquises dans des conditions plus ou moins
justifiables et au milieu des peuples arabes qui lui étaient
foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’incessants,
d’interminables frictions et conflits. Certains même
redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui
étaient restés ce qu’il avaient été de tout temps, un peuple
d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une
fois qu’ils seraient rassemblés dans le site de leur
ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et
conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient
depuis dix-neuf siècles : l’an prochain à Jérusalem.
Cependant, en dépit du
flot tantôt montant tantôt descendant des malveillances
qu’ils provoquaient, qu’ils suscitaient plus exactement,
dans certains pays et à certaines époques, un capital
considérable d’intérêt et même de sympathie s’était accumulé
en leur faveur, surtout, il faut bien le dire, dans la
chrétienté ; un capital qui était issu de l’immense souvenir
du Testament, nourri par toutes les source d’une magnifique
liturgie, entretenu par la commisération qu’inspirait leur
antique malheur et que poétisait chez nous la légende du
Juif errant, accru par les abominables persécutions qu’ils
avaient subies pendant la deuxième guerre mondiale, et
grossi depuis qu’ils avaient retrouvé une patrie, par leurs
travaux constructifs et le courage de leurs soldats. C’est
pourquoi, indépendamment des vastes concours en argent, en
influence, en propagande, que les Israéliens recevaient des
milieux juifs d’Amérique et d’Europe, beaucoup de pays, dont
la France, voyaient avec satisfaction l’établissement de
leur Etat sur le territoire que leur avaient reconnu les
Puissances, tout en désirant qu’ils parviennent, en usant
d’un peu de modestie, à trouver avec leurs voisins un modus
vivendi pacifique.
Il faut dire que ces
données psychologiques avaient quelque peu changé depuis
1956, à la faveur de l’expédition franco-britannique de Suez
on avait vu apparaître en effet, un Etat d’Israël guerrier
et résolu à s’agrandir. Ensuite, l’action qu’il menait pour
doubler sa population par l’immigration de nouveaux
éléments, donnait à penser que le territoire qu’il avait
acquis ne lui suffirait pas longtemps et qu’il serait porté,
pour l’agrandir, à saisir toute occasion qui se
présenterait. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Vème République
s’était dégagée vis-à-vis d’Israël des liens spéciaux et
très étroits que le régime précédent avait noués avec cet
Etat, et s’était appliquée au contraire à favoriser la
détente dans le Moyen-Orient. Bien sûr, nous conservions
avec le gouvernement israélien des rapports cordiaux et,
même, nous lui fournissions pour sa défense éventuelle, les
armements qu’il demandait d’acheter. Mais, en même temps,
nous lui prodiguions des avis de modération, notamment à
propos des litiges qui concernaient les eaux du Jourdain ou
bien des escarmouches qui opposaient périodiquement les
forces des deux camps. Enfin, nous nous refusions à donner
officiellement notre aval à son installation dans un
quartier de Jérusalem dont il s’était emparé et nous
maintenions notre ambassade à Tel-Aviv.
Une fois mis un terme à
l’affaire algérienne, nous avions repris avec les peuples
arabes d’Orient la même politique d’amitié, de coopération
qui avaient été pendant des siècles celle de la France dans
cette partie du monde et dont la raison et le sentiment font
qu’elle doit être aujourd’hui une des bases fondamentales de
notre politique extérieure. Bien entendu, nous ne laissions
pas ignorer aux Arabes que, pour nous, l’Etat d’Israël était
un fait accompli et que nous n’admettrions pas qu’il fût
détruit. De sorte qu’on pouvait imaginer qu’un jour
viendrait où notre pays pourrait aider directement à ce
qu’une paix fût conclue et garantie en Orient, pourvu
qu’aucun drame nouveau ne vînt la déchirer.
Hélas ! Le drame est
venu. Il avait été préparé par une tension très grande et
constante qui résultait du sort scandaleux des réfugiés en
Jordanie, et aussi d’une menace de destruction prodiguée
contre Israël. Le 22 mai, l’affaire d’Aqaba, fâcheusement
créée par l’Egypte, allait offrir un prétexte à ceux qui
rêvaient d’en découdre. Pour éviter les hostilités, la
France avait, dès le 24 mai, proposé aux trois autres
grandes puissances d’interdire, conjointement avec elle, à
chacune des deux parties d’entamer le combat. Le 2 juin, le
gouvernement français avait officiellement déclaré,
qu’éventuellement, il donnerait tort à quiconque entamerait
le premier l’action des armes, et c’est ce que j’avais
moi-même, le 24 mai dernier, déclaré à Monsieur Eban,
ministre des Affaires étrangères d’Israël, que je voyais à
Paris. “Si Israël est attaqué”, lui dis-je alors en
substance, “nous ne le laisserons pas détruire, mais si vous
attaquez, nous condamnerons votre initiative. Certes, malgré
l’infériorité numérique de votre population, étant donné que
vous êtes beaucoup mieux organisés, beaucoup plus
rassemblés, beaucoup mieux armés que les Arabes, je ne doute
pas que le cas échéant, vous remporteriez des succès
militaires, mais ensuite, vous vous trouveriez engagés sur
le terrain et au point de vue international, dans des
difficultés grandissantes, d’autant plus que la guerre en
Orient ne peut pas manquer d’augmenter dans le monde une
tension déplorable et d’avoir des conséquences très
malencontreuses pour beaucoup de pays, si bien que ce serait
à vous, devenus des conquérants, qu’on en imputerait peu à
peu les inconvénients.”
On sait que la voix de la
France n’a pas été entendue. Israël, ayant attaqué, s’est
emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait
atteindre. Maintenant, il organise sur les territoires qu’il
a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression,
répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une
résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme. Il est
vrai que les deux belligérants observent, pour le moment,
d’une manière plus ou moins précaire et irrégulière, le
cessez-le-feu prescrit par les Nations unies, mais il est
bien évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne
peut y avoir de solution sauf par la voie internationale.
Un
règlement dans cette voie, à moins que les Nations unies ne
déchirent elles-mêmes leur propre charte, doit avoir pour
base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la
force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance
réciproque de chacun des Etats en cause par tous les autres.
Après quoi, par des décisions des Nations unies, en présence
et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement
possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les
conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le
sort des réfugiés et des minorités et les modalités de la
libre navigation pour tous, notamment dans le golfe d’Aqaba
et dans le canal de Suez. Suivant la France, dans cette
hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut
international. Pour qu’un tel règlement puisse être mis en
œuvre, il faudrait qu’il y eût l’accord des grandes
puissances (qui entraînerait ipso facto celui des Nations
unies) et, si un tel accord voyait le jour, la France est
d’avance disposée à prêter sur place son concours politique,
économique et militaire, pour que cet accord soit
effectivement appliqué. Mais on ne voit pas comment un
accord quelconque pourrait naître non point fictivement sur
quelque formule creuse, mais effectivement pour une action
commune, tant que l’une des plus grandes des quatre ne se
sera pas dégagée de la guerre odieuse qu’elle mène ailleurs.
Car tout se tient dans le monde d’aujourd’hui. Sans le drame
du Vietnam, le conflit entre Israël et les Arabes ne serait
pas devenu ce qu’il est et si, demain, l’Asie du Sud-Est
voyait renaître la paix, le Moyen-Orient l’aurait bientôt
recouvrée à la faveur de la détente générale qui suivrait un
pareil événement. » [3]
[2]
« The Imam said this regime occupying Jerusalem
must vanish from the page of time »
Voir : « “Whiped
of the Mapp” – The Rumor of the Century »,
par Arash Norouzi, mohammadmossadegh.com, 18
janvier 2007.
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