Silvia Cattori
Samedi 17 janvier 2009
La création de l’Etat d’Israël en 1948 s’est
accompagnée du nettoyage ethnique de plus de 750’000
Palestiniens (*) – soit plus de la moitié de la population
indigène - chassés de leurs villes et villages, soit par la
force, soit par la peur engendrée par des massacres délibérés de
civils, comme celui du village Deir Yassin.
Depuis lors, au cours de ses soixante années
d’existence, des massacres de Sabra et Chatila en 1982, aux
carnages qui se déroulent aujourd’hui à Gaza — en passant par la
destruction du camp de réfugiés de Jénine et la destruction des
infrastructures palestiniennes de Cisjordanie en 2002, les
massacres dans le camp de réfugiés de Jabaliah en 2005 et 2006,
les bombardements massifs sur le Liban en 2006 — Israël n’a
cessé, sous prétexte de « se défendre »,
d’apporter mort et dévastation chez ses voisins, avec toute la
puissance de feu de son aviation, de sa marine de guerre et de
ses chars.
A chaque fois, on est
demeurés à la fois atterrés et scandalisés par la sauvagerie des
attaques israéliennes, le nombre de victimes civiles et
l’étendue des destructions qu’elles ont provoqués ; et
stupéfaits par le laisser faire de la « communauté
internationale ».
A chaque fois, on a vu sur
nos écrans, avec la complicité de rédactions partisanes, des
porte-paroles et ambassadeurs israéliens venir « justifier » les
crimes commis par des mensonges éhontés, en affichant leur
mépris à l’égard de ces Palestiniens qu’ils occupent
militairement et exécutent sommairement, avec une morgue qui
fait irrésistiblement penser à celle qu’affichaient en leur
temps les dignitaires nazis.
La furie destructrice de cet
Etat n’est pas nouvelle pour les occupés qui la subissent
quotidiennement. Mais, l’écrasement du ghetto de Gaza, ce bain
de sang insoutenable qui se déroule devant nous, l’a rendue plus
évidente aux yeux du monde.
Et la question de savoir
pourquoi et comment une telle sauvagerie est possible se pose
aujourd’hui avec encore plus d’insistance.
C’est à cette question
cruciale que deux connaisseurs d’Israël ont tout récemment
cherché une réponse : l’historien Ilan Pappe et le professeur de
philosophie juridique et politique Oren Ben-Dor [1].
Le sionisme [2]
mis en cause
Dans son article intitulé «
Israël et la vertu outragée
» [3],
Ilan Pappe relève que la posture
d’autojustification constamment adoptée par Israël est « un
sujet qui mérite que l’on s’y attarde, si on veut comprendre
l’immunité internationale dont Israël bénéficie pour les
massacres qui se poursuivent à Gaza ».
Il commence par insister sur
le déferlement de propagande sur les médias israéliens, sur
l’hypocrisie des justifications avancées, et la menace qu’elles
représentent pour les Palestiniens :
« Cette
posture [d’autojustification] est fondée en tout premier lieu
sur de purs mensonges (…) qui rappellent les heures sombres des
années 1930 en Europe. (…) Il n’y a pas de limites à
l’hypocrisie, essence même de la vertu outragée. Le discours des
généraux et des responsables politiques oscille, selon le cas,
entre l’autocongratulation devant l’humanité que manifeste
l’armée avec ses frappes « chirurgicales » d’une part, et, de
l’autre, la nécessité de détruire Gaza une fois pour toutes,
mais de façon humaine, bien entendu.
Cette vertu outragée est une
constante dans le processus de dépossession, d’abord par les
sionistes, puis par Israël. Toutes les opérations, qu’il se soit
agi d’épuration ethnique, d’occupation, de massacres ou de
destructions ont toujours été présentées comme des actions
justes sur le plan moral et relevant de l’autodéfense,
perpétrées à contrecœur par Israël dans sa guerre contre des
êtres humains de la pire espèce.(…)
C’est
la vertu outragée qui protège la société et les responsables
politiques de tout reproche ou de toute critique venant de
l’extérieur. Mais, pire encore, elle se traduit toujours par des
mesures de destruction dirigées contre les Palestiniens. Sans
opposition interne et sans pressions extérieures, il en résulte
que tout Palestinien peut devenir la cible de cette fureur.
Etant donné la puissance de feu de l’Etat hébreu, cela ne peut
finir que par d’autres massacres, d’autres assassinats en masse
et d’autres épurations ethniques. »
Ilan Pappe donne un nom à ce
qu’il caractérise comme une « idéologie malsaine
destinée à couvrir des atrocités », à savoir : «
le sionisme ». Et il conclut
à l’urgence de le dénoncer et de le combattre :
« Il nous
faut tenter d’expliquer, et pas seulement au monde entier, mais
aux Israéliens eux-mêmes que le sionisme est une idéologie qui
cautionne l’épuration ethnique, l’occupation, et aujourd’hui les
massacres (…) et également cesser de légitimer cette idéologie
qui a engendré une telle politique et qui la justifie moralement
et politiquement.(…) Il est peut-être plus facile de le faire
maintenant, dans des circonstances aussi dramatiques, au moment
où l’attention du monde est dirigée une fois de plus vers la
Palestine.
(…)
Malgré les accusations prévisibles d’antisémitisme et tout le
reste, il est temps d’expliquer aux populations le rapport
existant entre l’idéologie sioniste et les grandes dates de
l’histoire de ce territoire, familières désormais : l’épuration
ethnique de 1948, l’oppression des Palestiniens en Israël
pendant la période de gouvernement militaire, l’occupation
brutale de la Cisjordanie et aujourd’hui le massacre à Gaza. (…)
En démontrant le rapport entre la doctrine sioniste, et la
politique qui en a résulté, et les atrocités actuelles, nous
pourrons offrir une explication claire et logique dans le cadre
de la campagne de boycott, de sanctions et de retrait des
investissements (dirigée contre Israël, NDT). »
Une
pathologie suicidaire
Dans son article intitulé «
Israël : le suicide par l’autodéfense
» [4],
Oren Ben-Dor commence par insister
sur la répétion incessante des massacres perpétrés par Israël,
sur l’hypocrisie des raisons qu’il avance pour le déclenchement
de sa guerre à Gaza, et sur l’échec prévisible de cette dernière
tentative de mater la résistance palestinienne :
« A l’instar
du Liban en 2006, le peuple de Gaza est massacré par les pilotes
assassins d’un Etat assassin. (…) Cette répétition de la
violence à grande échelle par Israël (…) s’accomplit après un
long processus déclenché au moment où Israël a retiré
unilatéralement ses colonies et son infanterie de Gaza, mais
seulement pour organiser ce qui a été décrit comme un zoo
d’êtres humains surveillé à distance.
(…)
En dehors d’apporter une réponse à court terme aux attaques de
roquettes, la vague de violence israélienne relève d’un
raisonnement vicieux (pétition de principe) et d’une provocation
réfléchie. (…) Les assassinats ciblés de membres du Hamas, le
renversement même de l’organisation, la destruction de son
infrastructure et de ses bâtiments n’écraseront pas la légitime
opposition à l’entité sioniste, arrogante et triomphaliste.
Aucune armée, même bien équipée et bien entraînée, ne peut
gagner un combat contre un nombre toujours plus grand de gens
qui n’ont plus de raison de craindre de mourir. »
Et il pose la question de
fond :
« A
considérer l’échec assuré des tentatives visant à imposer la
stabilité par la violence, l’intimidation, la famine et
l’humiliation, quel est le souhait, sur terre, qui anime l’Etat
israélien ? A quoi les Israéliens imaginent-ils aboutir avec ce
massacre ? Il doit y avoir quelque chose qui manque ici. Il doit
y avoir, pour les Israéliens, quelque chose ou quelque idée à
préserver, à défendre même, dans cette
pathologie de vouloir provoquer un état permanent de
violence contre eux-mêmes. Quelle sorte d’autosatisfaction
conditionne donc cette volonté autodestructrice d’être haï ? »
Oren Ben-Dor trouve
finalement la réponse à cette question dans «
l’incapacité, des Israéliens à s’interroger
sur le fondement discriminatoire de leur propre Etat
» :
« Beaucoup de
Palestiniens qui vivent à Gaza sont les enfants des 750’000
réfugiés expulsés en 1948 de ce qui est aujourd’hui l’Etat juif.
(…) C’est seulement par une purification ethnique massive qu’un
Etat de majorité et de caractère juifs a pu s’implanter. Toute
juste application du droit reconnu internationalement pour les
réfugiés de revenir chez eux signifierait effectivement la fin
du projet sioniste. (…) A leur retour, ils exigeraient sûrement
pour eux, et avec force, une citoyenneté égale. Ce faisant, ils
remettraient en cause l’idée discriminatrice qui est à la base
de l’Etat juif (…).Ainsi, pour la même raison qu’Israël
discrimine ses propres citoyens non juifs, il empêche le retour
des réfugiés. »
Il conclut que,
seule, la remise en cause de l’apartheid
israélien, du « droit d’Israël à exister dans la
sécurité en tant qu’Etat juif » pourrait mettre fin au cycle
de violence, faute de quoi, la « rhétorique de
l’autodéfense » va se refermer sur la « chronique
effrayante d’un suicide annoncé » :
« Admettre le
droit d’Israël à exister dans la sécurité en tant qu’Etat juif
est devenu aujourd’hui le point de référence d’une modération
politique. Obama est déjà en train de chanter la chanson. (…)
l’origine de la violence dans Gaza est intimement liée à la
manière dont l’Etat israélien a vu le jour et dont il tolère
toujours l’idée d’apartheid dans
son essence même. Israël ne doit pas être « réformé » ou
« condamné », mais remplacé par une unique
structure égalitariste sur toute la Palestine historique.
Israël a besoin d’un cycle
permanent de violence. (…). La violence (…) est un moyen
nécessaire pour ancrer la prétendue légitimité de ce qu’on
prétend être la seule alternative à cette violence. Cette
alternative n’est rien d’autre que l’échec « étonnant » d’un
processus de paix « sensé », « raisonnable » et « modéré » pour
aller à deux Etats, un processus qui
prétend légitimer l’Etat d’apartheid une fois pour toutes.
Le discours a été récupéré de telle sorte que les appels urgents
à la cessation immédiate de la violence raniment ce projet pour
deux Etats, essentiellement injuste et voué à l’échec mais qui
garantit la poursuite de la violence. (…)
Cette
pathologie israélienne aboutira, furtivement et fatalement, à ce
que les Israéliens craignent le plus. Il n’y a effectivement
« d’autre choix » pour le projet nationaliste des éternelles
victimes, que le suicide avec ceux qu’il opprime. (…)
L’autodéfense par le suicide souligne le
caractère unique de l’apartheid israélien. La
rhétorique tant du non choix que de l’autodéfense renferme une
chronique effrayante d’un suicide annoncé. En dépit de sa
puissance militaire, Israël est un Etat faible et mourant qui
souhaite s’autodétruire. Les plus puissantes nations au monde
assistent à ce processus suicidaire, et ce fait demande à être
médité d’urgence. »
Comme on le voit, pour ces
deux auteurs, le caractère même de l’Etat israélien, l’apartheid
qu’il pratique et sur lequel il est fondé, sont au cœur de la
terreur qu’il déchaîne avec régularité sur ses voisins, et il
n’y aura pas de fin au cycle de la violence et des massacres
tant que la « communauté internationale » continuera de tolérer
cette inacceptable exception à l’application du droit
international.
Silvia Cattori
(*) Voir : « Le nettoyage
ethnique de la Palestine », par Ilan Pappe,
Librairie Arthème Fayard, 2008.
[1]
Ilan Pappé (né en 1954), citoyen israélien, est l’un des
« nouveaux historiens » qui ont réexaminé de façon critique
l’histoire d’Israël et du sionisme. A la suite, l’an dernier, de
son soutien au boycott des universités israéliennes par les pays
étrangers, Ilan Pappe, ayant fait l’objet de menaces de mort, a
été contraint de démissionner de son poste de professeur de
sciences politiques à l’Université d’Haïfa et d’émigrer en
Grande-Bretagne.
Le Dr Oren Ben-Dor est né à Haïfa et a grandi
en Israël ; il enseigne la philosophie juridique et politique à
la faculté de droit de l’Université de Southampton, Royaume-Uni.
[2]
Sionisme : idéologie politique prônant la création d’un État
juif en Palestine et le retour du peuple juif « dans sa patrie
historique, Eretz Israël, par Aliyah en provenance de tous les
pays ». Le mouvement sioniste a été fondé au Congrès de Bâle en
1897, par Theodor Herzl, journaliste et écrivain juif
autrichien, auteur de Der Judenstaat (« L’État des Juifs »).
[3]
Voir :
« Israël
et la ”vertu outragée” », par Ilan
Pappe, blog.emceebeulogue.fr, 6 janvier
2009.
Texte
original en anglais : « Israel’s
righteous fury and its victims in Gaza »,
The Electronic Intifada, 2 janvier 2009.
[4]
Voir :
« Israël :
le suicide par l’autodéfense », par
Oren Ben-Dor, info-palestine.net, 4 janvier
2009.
Texte
original en anglais : « The
Self-Defense of Suicide »,
Counterpunch, 1er janvier 2009.