Stratégie de la tension
Les
manœuvres de déstabilisation du Fatah contre un peuple emprisonné
continuent
Silvia Cattori
13
novembre 2007
Qui sont les responsables des sept morts
et des cent trente blessés lors du grand rassemblement de gens
venus manifester leur attachement sincère à la mémoire de
Yasser Arafat pour le troisième anniversaire de sa mort ?
Les Palestiniens de Gaza, déjà victimes innocentes du terrible
blocus que leur impose Israël, ne sont-ils pas également
victimes d’une « stratégie de la tension »,
pris en otage par ces autorités palestiniennes qui collaborent
avec l’occupant ?
Que s’est-il réellement passé
à Gaza en ce 12 novembre ?
Pour le président Abbas, et
Mohammed Dahlan - l’homme soutenu par le Mossad et la CIA qui
incarne plus que tout autre la corruption et la violence - ces
morts et blessés sont des « crimes haineux »
commis par le Hamas, qui voulait selon eux «
empêcher les manifestants de se rendre à ce rassemblement ».
Les médias en général, cela
n’est pas surprenant, ont répété sans examen la version
officielle du Fatah.
De notre enquête, auprès de témoins
qui ne se situent ni dans un camp ni dans l’autre et demandent
à rester dans l’anonymat pour des raisons compréhensibles, il
ressort que ce ne sont pas les policiers du Hamas qui ont été à
l’origine des incidents qui ont causé tant de victimes. Ce sont
les tirs de membres armés du Fatah, qui ont d’abord tué trois
membres de la Force exécutive du Hamas, parmi eux un officier qui
a reçu une balle en pleine tête.
Premièrement. Les policiers du
Hamas chargés d’assurer la sécurité de la population de Gaza
avaient été informés que des membres armés du Fatah se préparaient
à créer des troubles. Ils ont mis en place des postes de contrôle
pour avoir un œil sur les gens armés. Ils n’auraient à aucun
moment empêché la foule de se rendre à Gaza ville.
Deuxièmement. Il y avait parmi
les manifestants des provocateurs armés. Les premiers tirs, en
direction des policiers du Hamas, sont partis de l’arme d’un
membre du Fatah posté sur le toit de l’université de Al-Azhar.
Des affrontements entre les deux camps ont alors éclaté. Des
policiers du Hamas, assaillis par des tirs et des jets de pierres,
insultés aux cris de « Shia » (ce
qui veut dire chiites, alors qu’ils sont sunnites, et aussi dire
« vendus à l’Iran », ce qui
est également faux) ont riposté.
Troisièmement. Il n’y avait pas
« plus d’un million de manifestants »
comme les médias officiels de M. Abbas l’affirment. Il y
avait 100’000 à 200’000 personnes au plus ; ce qui est déjà
un chiffre énorme.
La version selon laquelle ce sont
des provocateurs affiliés au Fatah qui ont fomenté ces incidents
et entraîné mort d’hommes, dans l’unique but de créer des
troubles pour discréditer et affaiblir les autorités du Hamas,
semble être plausible.
Pourquoi incriminer systématiquement
les gens du Hamas - des gens qui voudraient aider leur peuple à
sortir de l’enfer mais ne le peuvent pas car le monde les prive
de tous moyens – si ce n’est pour les acculer à la reddition ?
Ne devrions-nous pas d’abord blâmer
les autorités de Ramallah, dirigées par M. Abbas, qui
s’associent à l’occupant pour durcir les conditions de vie
des habitants de Gaza emprisonnés par Israël ?
Cela n’est pas un secret. Depuis
l’installation de leur gouvernement, les autorités du Hamas ont
dû faire face à des actes de sabotages organisés par les
services secrets du Mossad et de la CIA
et réalisés grâce à la collaboration de Mohammed Dahlan et de
ses escadrons de la mort.
Depuis la mise en déroute de
Dahlan, ce sont les services secrets de M. Abbas, dirigés
par M. Terawi, en relation étroite avec les services israéliens
du Shin Beth, qui se chargent de mettre en œuvre
la « stratégie de la tension », c’est-à-dire, créer
des incidents, des actes de sabotages criminels, destinés à en
finir avec les autorités du Hamas.
Les mots scandés « Chiites
assassins » ne sont pas des cris spontanés. Ce slogan a
été imaginé, et utilisé maintes fois ces derniers mois, par
des gens du Fatah. Ce slogan, qui vise à dresser l’une contre
l’autre deux appartenances religieuses, ne fait que reprendre la
propagande d’Israël.
L’Iran est depuis quelques années
le pays qu’Israël veut voir écrasé comme l’Irak. Dire
« Shia », c’est la pire des
insultes à Gaza où la résistance musulmane incarne la dignité
de ce peuple qui ne se soumet pas.
Dire « Shia »
c’est dire « Iraniens ». Or les
Palestiniens se battent pour leur nation et rien d’autre. Toute
personne sensée sait parfaitement que le Hamas est un mouvement
de la résistance palestinienne qui ne dépend de personne.
Abbas et ses amis au pouvoir en
Israël cherchent à introduire une fracture fondée sur quelque
chose qui n’a jamais existé auparavant. Cet usage de la
religion à des fins politiques pour tenter de diviser les
citoyens Arabes et les jeter les uns contre les autres, l’Irak
en est un exemple parlant.
Vouloir faire croire que le Hamas,
qui est un mouvement national, est une organisation « vendue,
qui ne fait qu’un avec l’Iran » est ahurissant !
Cette propagande peut, toutefois,
dans une certaine mesure, avoir une prise sur des gens peu cultivés
ou très affaiblis par les difficultés dues au blocus, qui n’en
peuvent plus, qui ont perdu tout espoir en l’humain et toute
maitrise de leur destin.
Devant cette foule immense qui a déferlé
sur la ville de Gaza le 12 novembre, le Fatah a crié victoire. De
quelle victoire s’agit-il ?
De la victoire du fort sur le
faible. De la manipulation de gens sans défense par des pouvoirs
étatiques censés les protéger.
C’était en effet surprenant de
voir autant de Palestiniens se rassembler sous le drapeau de ceux
qui se sont aujourd’hui associés à Israël pour rendre la vie
de la population de Gaza encore plus dure qu’elle n’était.
Avaient-ils oublié que leurs représentants auprès de l’ONU
avaient bloqué une résolution du Conseil de sécurité qui
voulait alléger leurs souffrances ?
Il convient d’interpréter
correctement ce qui se trame au sujet de Gaza.
Gaza va devoir continuer de
souffrir et d’expier, après tout ce qu’on lui a déjà fait
subir d’horreur, aussi longtemps qu’elle ne s’avouera pas
vaincue.
Qui sont ces gens qui ont suivi
les mots d’ordre du Fatah au pouvoir à Ramallah ?
Ce ne sont pas, comme par le passé,
des gens motivés par un idéal commun qui sont descendus dans la
rue le 12 novembre.
Ce sont des gens désespérés, en
majorité motivés par la faim, motivés par la peur, par les
difficultés écrasantes, qui ont massivement pris le chemin de ce
rassemblement. Des gens épuisés, découragés, rongés par la
peur des avions israéliens et la peur du lendemain.
Ce sont des gens qui aspirent à
une vie décente, que les dirigeants du Fatah ont incité à crier
des slogans comme « Shia » qui n’ont aucun rapport
avec leur réalité, alors que tout dans leur quotidien crie misère.
Il y avait parmi eux des dizaines
de milliers d’employés qui ont continué de recevoir leur
salaire de la part du Fatah pour avoir renoncé, en juin 2007, de
travailler avec les autorités élues du Hamas. Ce renoncement,
contre un salaire qui tombe chaque mois, a été interprété par
les gens du Fatah, comme une allégeance à leur parti. [1]
Voilà quelques extraits des témoignages
que nous avons recueillis.
« La majorité
de ces gens qui reçoivent un salaire du Fatah (salaires pris sur
les financements de l’Union européenne) se sentent obligés
d’aller manifester s’ils ne veulent pas que le salaire que ce
parti leur verse, en remerciement de leur allégeance, soit coupé.
Ils n’ont pas envie de finir comme la plupart d’entre nous,
qui sont devenus des fantômes en quelques mois, et ne sont plus
en mesure d’offrir une vie décente à leurs enfants »
« On a perdu
le sens de l’humain. On ne se sent plus comme des gens normaux.
On se fait peur. C’est quelque chose de très douloureux de voir
que nous sommes devenus ce qu’Israël a voulu que l’on soit :
déshumanisés. Je ne sais pas si vous pouvez comprendre vraiment
ce que cela veut dire »
« Normalement,
autrefois, quand les gens allaient manifester, c’était pour
montrer leur opposition aux occupants, aux oppresseurs.
Aujourd’hui, nous allons manifester pour que nos bourreaux, qui
étranglent Gaza et nous affament, nous récompensent pour notre
trahison. On a perdu toute notre dignité, parce qu’on a trop
peur de demain, parce qu’on a trop peur de finir comme notre
voisin qui, lui, s’est vu couper son salaire »
« Les gens
qui comptent des malades parmi les leurs, que le manque de médicaments
condamnent à une mort certaine, se sentent vraiment perdus. Si on
ouvre la frontière de Rafah, je suis persuadé que les gens vont
se précipiter comme un troupeau, pour s’enfuir hors de cette
prison horrible »
« Je suis
persuadé que, si les gens avaient une vie digne, une vie qui leur
permettait d’avoir un salaire, sans être soumis à des
conditions, ils ne seraient jamais allés en masse à ce cortège
organisé par le Fatah. Jamais le Fatah n’aurait pu dire que
c’est l’expression « d’un plébiscite ». Ces
gens ont rallié le Fatah car le Fatah leur assure un salaire, une
protection. Moi je ne suis ni du Fatah ni du Hamas ; je ne reçois
rien de personne. Combien de temps pourrais-je continuer de ne pas
tendre ma main au Fatah ? »
« Je suis
persuadé que si le Hamas avait de quoi offrir un peu d’argent
aux gens qui sont dans la misère la plus crue, si le Hamas avait
pu leur donner du travail, ces gens n’auraient pas perdu leur
dignité et le Fatah n’aurait jamais eu aucun soutien. Les gens
ont déjà trop souffert des gens du Fatah. Le soutien que vous
avez vu aujourd’hui ne va pas durer. Les gens en ont assez de se
voir pris au piège de ce parti Fatah, de se sentir leurs otages,
sous leur chantage »
« On va
devoir continuer de s’enfoncer dans l’horreur. Après la
mascarade d’Annapolis, M. Ehud Barack va sans doute nous
attaquer avec le soutien de M. Abbas »
« Mon cœur
se déchire quand je vois mon voisin qui a dix enfant, une femme
malade. Mon cœur saigne quand je le vois marcher dans la rue. On
dirait qu’il porte des montagnes sur ses épaules. Mon cœur
pleure quand je croise ces gens hier fiers, forts, indomptables,
qui prennent de plus en plus des allures de fantômes. Et je me
dis que, s’il n’y a pas un miracle, ces gens sont définitivement
perdus »
Et les enfants, là au milieu, qui
constituent la moitié de la population de Gaza, qui vivent dans
ces familles écrasées par la pauvreté, qui s’en soucie ?
« Ils se
rendent compte de ce qui se passe. Ils sentent qu’il y a quelque
chose qui n’est pas normal. Mais ils ne peuvent pas savoir ce
qui les attend d’encore plus déroutant. On éprouve une grande
peine pour les enfants ; leur avenir est très sombre, les
jeunes étudient, terminent leur études et ensuite ils sont au chômage
et ils souffrent de ne pouvoir aider leurs familles »
Pourquoi, au-dehors, dans nos pays
européens, acceptons-nous ce chantage « de
la faim » exercé sur une population exsangue et qui
subit les affres de l’occupation militaire la plus impitoyable ?
Cela est-il acceptable ?
Il est facile de conduire à
perdre toute dignité des gens que les mesures de boycott ont détruits,
qui n’ont pas un « shequel » (monnaie israélienne)
en poche et ne savent plus comment nourrir leurs enfants, les
habiller, payer leurs loyers, les factures de gaz et d’électricité.
Il est facile de les pousser
insensiblement, à se battre entre eux comme des rats, pour un
morceau de pain, pour échapper à la catastrophe qu’on organise
le plus cyniquement du monde.
Ces gens sont désespérés. Et,
dans leur désespoir, ils ne peuvent pas comprendre comment il est
possible que l’humanité puisse rester sans réagir et les
abandonner de la sorte.
Silvia Cattori
[1]
40’000 personnes ont refusé de se plier aux ordres d’Abbas,
à cet humiliant chantage de devoir boycotter le Hamas. Abbas les
a punies en coupant leurs salaires en juin 2007
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