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Boycottage de l'État d'apartheid
israélien
Quand journalisme d'investigation et
éthique se conjuguent
Silvia Cattori
Christian Campiche
Dimanche 9 août 2009
Depuis plusieurs années, les salles d’attente et les couloirs du
Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) (*) étaient
équipés, à l’intention des patients, de bombonnes d’eau fournies
par la société Eden Springs, une société
israélienne qui exploite notamment les sources d’eau du Golan,
territoire syrien occupé depuis 1967 par Israël, en violation
des résolutions de l’ONU. C’est donc avec une agréable surprise
que les patients et soignants du CHUV que la présence de
bombonnes d’eau Eden Springs choquait, ont
récemment découvert qu’elles avaient été remplacées par des
bombonnes d’une autre société : Edelvia
(**).
Des appels à boycotter Eden Springs [1]
avaient été adressés à la direction du CHUV, par des patients de
l’hôpital attentifs au respect des droits des Palestiniens sous
occupation militaire israélienne. Dans quelle mesure leurs
demandes ont-elles pesé dans la décision de mettre un terme au
contrat, signé en 2000 avec Eden Springs,
contrat qui portait sur un montant de 120’000 francs par an et
qui avait déjà rapporté près d’un million de francs suisses à
cette société ? C’est à la
suite de ces protestations, dont il avait été informé, que le
journaliste Christian Campiche avait alors mené un travail
d’investigation et publié des articles mettant en exergue le
fait que, en Suisse et notamment dans le Canton de Vaud, l’eau
du robinet est d’excellente qualité, infiniment moins coûteuse
et bien meilleure pour la santé que l’eau mise en bouteille ;
une option que les hôpitaux de Fribourg et de Genève avaient
déjà adoptée, s’épargnant ainsi des dépenses inutiles [2].
Christian Campiche s’était
adressé par la suite à M. Jacques Neirynck, député vaudois au
Conseil national, auteur d’un livre intitulé « Les scandales de
l’eau en bouteille », pour lui demander ce qu’il pensait de la
politique d’approvisionnement en eau du CHUV. Ce député avait
alors annoncé vouloir déposer au Conseil national une
interpellation à ce sujet [3].
Cette épée de Damoclès n’a probablement pas été étrangère à la
décision prise par la direction du CHUV.
Toujours est-il que ce succès
- l’éviction d’une société impliquée dans l’exploitation d’une
terre illégalement occupée par Israël - n’a reposé, en
définitive, que sur quelques initiatives individuelles et
citoyennes et la ténacité d’un honnête journaliste
d’investigation.
Cela doit nous inciter à
réfléchir sur l’absence de soutien que les initiatives de ce
genre reçoivent de la part des associations qui disent défendre
la cause des Palestiniens opprimés par l’occupation israélienne.
Comment leurs dirigeants ont-ils pu rester inertes alors qu’ils
étaient informés par ces articles mettant en cause
Eden Springs - numéro un de la vente d’eau
en bombonnes en Suisse – pour son rôle dans la spoliation de
terres arabes ? Il leur eût suffit pourtant de suivre la voie
tracée de longue date par l’association écossaise « Scottish
Palestine Solidarity Campaign » [4].
Il suffisait de le vouloir.
Mais le problème est qu’ils ne le voulaient pas.
Quoi de plus normal que de
soumettre Israël à un boycottage, comme cela fut fait contre
l’apartheid sud-africain, la seule action considérée comme
efficace par les 172 organisations palestiniennes ayant appelé
dès 2005 au « Boycott, Désinvestissement et Sanctions » contre
Israël [5] ?
Pourquoi refuser d’appliquer à l’État juif le même traitement
qu’à l’Afrique du sud de l’apartheid, et donner à Israël un
statut à part ?
Les responsables des grandes
associations de solidarité avec les Palestiniens n’ont jamais
voulu engager une stratégie de boycottage digne de ce nom [6].
Pendant ce temps, Israël pouvait continuer de massacrer les
Palestiniens sans être vraiment inquiété.
Cette manière de solidarité
biaisée était d’autant plus critiquable que ces associations
pouvaient compter sur le soutien de nombreux militants sincères
et prêts à agir efficacement. Or, force est de constater que,
depuis des décennies, leurs actions et pétitions de principe,
qui ne cassent pas les pattes d’un canard, n’ont jamais
impressionné Israël. Ce qui est grave est que, pendant ce temps,
alors qu’Israël consolidait ses acquis illégaux, la Palestine
continuait de s’enfoncer.
On peut reprocher à la
direction de ces associations d’avoir conforté la stratégie
politique de militants appartenant au prétendu « camp
de la paix israélien » et à nombre d’associations juives
qui, sous couvert de défense de la Palestine, ont en réalité
mené la solidarité internationale en bateau ; car leur objectif,
non avouable, a toujours été de contrôler, autant que faire se
peut, le discours et les débats sur la Palestine pour éviter
leur radicalisation. Ils ont ainsi encouragé un « processus
d’Oslo » et une « solution à deux Etats »,
que des personnalités lucides comme Edward Saïd ont dénoncés dès
le départ, comme étant dommageables pour la cause palestinienne.
Cela a conduit les Palestiniens au désastre.
Aussi, ils ont continué de
travailler avec une Autorité palestinienne, dominée par le
mouvement laïc du Fatah, (et de travailler avec ses
représentants au-dehors) alors même qu’elle avait abandonné ses
idéaux et collaborait, sous couvert de « normalisation »,
avec l’occupant israélien pour éliminer la résistance, incarnée
par le mouvement religieux du Hamas.
Nous avons recueilli, durant
sept ans, de nombreuses doléances de militants du mouvement de
solidarité qui se sentaient très frustrés, car leurs dirigeants
n’ont jamais eu la volonté réelle de lancer des actions de
boycottage contre l’État d’Israël. Leur préoccupation,
affirmaient-ils, a toujours été de ne jamais remettre en
question les acquis illégaux sur lesquels Israël s’est
installé ; raison pour laquelle ils ont bercé les gens
d’illusions en leur faisant miroiter que le « processus
d’Oslo » et la « solution à deux Etats »
conduisaient à la paix.
C’est ainsi que, par le
passé, ils se sont employés à isoler ceux qui appelaient à
mettre le boycottage au centre du combat contre Israël. Ils
prétextaient que le boycottage d’Israël allait favoriser
l’antisémitisme. Ils trouvaient toujours des astuces pour
l’esquiver et ne pas s’engager officiellement là-dessus [7].
Cette pseudo solidarité
parle, non sans hypocrisie, de « paix juste
entre Israéliens et Palestiniens », de « conflit »,
une manière de faire croire, qu’il s’agirait d’une dispute entre
deux forces égales qui peuvent s’entendre et négocier. Alors
qu’il s’agit d’une guerre de domination menée, depuis 61 ans,
par un État colonial puissamment armé contre un peuple qu’il a
totalement spolié et qui ne pourrait que capituler s’il
acceptait cette fausse symétrie.
Un État, qui pratique
l’apartheid, qui occupe militairement la Cisjordanie et
Jérusalem Est, et qui maintient depuis trois ans Gaza sous un
blocus criminel destiné à affamer et asphyxier ses habitants, ne
devrait pas bénéficier de protection de la part de ceux qui se
présentent comme des défenseurs de la justice.
Il serait temps que tous ceux
qui veulent apporter un appui aux victimes palestiniennes, de
l’occupation la plus longue et brutale de notre époque, en
tirent les leçons. Et qu’ils expriment en toute clarté leur
soutien à la résistance légitime d’un peuple sous occupation, le
boycottage d’Israël étant une des formes de cette résistance.
Silvia Cattori (*) Il s’agit
d’un des plus gros hôpitaux de Suisse subventionnés par l’État.
Il représente en bref (chiffres de 2007) :
1’327
lits exploités (dont 914 en soins somatiques, 357 en
psychiatrie, et 56 en médico-social)
38’359
patients hospitalisés au cours de l’année
7’802
collaborateurs
un
budget annuel d’un peu plus de 1 milliard de francs suisses.
(**) Voir : « Le
CHUV renonce à Eden et passe à l’eau du robinet », article
paru dans deux quotidiens suisses : La Liberté
et Le Courrier du 06.08.2009.
[1]
Voir « Les
habitants de Gaza condamnés à boire une eau polluée »,
par Silvia Cattori, silviacattori.net, 11
mars 2008.
[2]
Voir :
« Le
CHUV n’est plus un paradis pour Eden »,
par Christian Campiche, article paru dans La
Liberté du 11.09.2008.
« Le
CHUV se désaltère toujours à l’Eden »,
par Christian Campiche, article paru dans La
Liberté du 07.04.2009.
[3]
Voir : « Eau
du CHUV : Neirynck entend déposer une interpellation »,
par Christian Campiche, 10 mai 2009.
[4]
Voir :
http://www.scottishpsc.org.uk/index.php ?option=com_content&view=article&id=12&Itemid=343
[5]
Voir :
http://www.bdsmovement.net/ ?q=node/52#French
Au sujet de l’appel au
boycottage d’Israël, dans un article intitulé « 60
ans après : le partage ou la paix »,
Pierre Yves Salingue écrivait en mai 2008 : « Sans
jamais remettre en cause la légitimité de la résistance armée à
l’occupation, les militants [du boycott] ont estimé que, si les
actions armées recueillaient une sympathie populaire, elles ne
permettaient pas une participation directe à la lutte de la part
de la population présente sur la terre de Palestine de même que
celle des Palestiniens vivant en exil. L’appel au boycott, au
désinvestissement et aux sanctions permettait à un mouvement de
soutien international d’exister réellement, non comme
l’auxiliaire d’un hypothétique « processus de paix » mais comme
un acteur pouvant contribuer à remettre en cause le rapport de
forces et à aider réellement les Palestiniens par des actions
durables et efficaces pour isoler l’Etat d’Israël ».
[6]
Les appels au boycottage sont restés longtemps lettre morte car,
jusqu’à tout récemment, la plupart des associations de
solidarité traditionnelles ne s’étaient guère montrées pressées
de les endosser.
[7]
Nombre de militants nous ont rappelé, non sans colère, par quels
arguments et procédés discutables, lors de la « Conférence
internationale pour une paix juste en Palestine et en Israël »
tenue en mai 2006 à Genève, la direction de l’ECCP
(European Coordination of Committees and
associations for Palestine), avait réussi à ne pas inscrire
officiellement à l’agenda de la conférence l’appel au boycottage
d’Israël, comme le demandaient les Palestiniens et les militants
suisses et britanniques alarmés par le blocus de Gaza soutenu de
fait par l’Occident, et s’était contenté d’un vague soutien qui
ne portait pas à conséquence pour Israël.
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