Gaza
Gaza : « Les gens ont faim »
Témoignage recueilli par Silvia
Cattori
Photo Oulala.net
8 avril 2007
Khaled,
un père de famille, n’étant lié à aucun parti politique,
parle ici de la situation telle qu’elle est perçue par
l’homme de la rue, dans cette enclave de Gaza soumise aux cruautés
du blocus militaire et des punitions collectives de l’Etat
d’Israël.
Silvia Cattori :
L’union entre le Fatah et le Hamas à la Mecque a-t-elle
contribué à écarter le danger d’affrontements inter
palestiniens ?
Le peuple
palestinien craignait la guerre civile et appelait, en sa majorité,
à un gouvernement d’unité nationale. Cette rencontre à la
Mecque a été imposée par les tensions internes à la Palestine.
Nous pensons qu’il n’y a plus de risque de guerre civile
aujourd’hui.
Silvia Cattori :
N’y a-t-il pas eu récemment encore des incidents à Gaza ?
Il y a eu des règlements
de compte entre familles. Les gens du Fatah, qui ont été à
l’origine des accrochages par le passé, ont causé des morts.
Il y a aujourd’hui des familles qui se vengent contre les gens
impliqués dans l’assassinat des leurs. On donne à tort une
coloration politique à ces vengeances.
Silvia Cattori :
Est-ce à dire que la stratégie du président Mazen, d’Israël,
de la communauté internationale, visant à mettre le Hamas hors
jeu, a échoué ?
Abou Mazen et
ses amis du Fatah n’ont pas réussi à éliminer le Hamas. Ils
ont dû battre en retraite sur leurs projets le référendum et
aussi sur les nouvelles élections qui avaient pour objectif de
diviser les gens, car le peuple s’y est majoritairement opposé
et aucune faction ne s’est ralliée à leurs manœuvres.
Silvia Cattori :
Que signifie pour vous le sommet des pays arabes à Riyad qui, le
28 et 29 mars, a adopté une déclaration pour l’établissement
d’une paix globale au Proche-Orient et une normalisation entre
Israël et les pays arabes, moyennant le retrait de l’armée
israélienne de tous les territoires arabes occupés en 1967 ;
sommet présenté par les médias occidentaux comme « une
dernière chance pour la paix » au Proche-Orient ?
Le sommet de
Riyad répondait à la nécessité qu’avaient à ce moment-là
les Etats-Unis : faire oublier leurs échecs en Irak et se
concentrer sur leurs projets de guerre contre l’Iran.
Condoleezza Rice se devait de faire croire que les Etats-Unis
veulent apporter la paix en Palestine, mais l’objectif réel était
celui de conduire les pays arabes à normaliser leurs
relations avec Israël et à ne plus parler du droit au retour des
réfugiés. Conscients du fait que, après une année de boycott,
le Hamas n’avait rien perdu de sa popularité, les Etats-Unis
ont modifié leur stratégie pour éviter l’effondrement du
parti d’Abou Mazen, qui est le garant de leurs intérêts. Les
gens ici, savent que les promesses de Condoleezza Rice et d’Israël
sont des leurres. Ils sont néanmoins satisfaits de l’engagement
pris par nos dirigeants et les pays arabes à la Mecque et à
Riyad : en finir avec les tensions internes et rompre le
blocus qui étrangle les familles.
Silvia Cattori :
On a du mal à comprendre comment le Hamas puisse imaginer pouvoir
gouverner avec ceux qui ont ouvertement collaboré avec
l’occupant et les Etats-Unis pour le destituer ? Les gens ne
sont-ils pas désorientés ?
Certainement il
y des gens déçus. Mais, parallèlement, tout le monde a pu voir
qui étaient ceux qui ont manœuvré pour pousser notre peuple à
la guerre civile. Face au boycott total de la communauté
internationale, le Hamas était paralysé. Quand les gens du Hamas
ont été élus, Israël, le Fatah, l’Europe, les ont tout de
suite écartés, qualifiés de terroristes. Le seul moyen pour le
Hamas de casser le boycott était d’unir toutes les forces. Abou
Mazen fait aujourd’hui partie du gouvernement d’unité
nationale. Il ne peut plus continuer, comme il l’a fait, de
demander aux Etats arabes et européens de boycotter le
gouvernement. Les pays européens, comme la Norvège, ont brisé
le blocus et dialogué avec le Hamas. Nous espérons que l’aide
financière, si c’est le Hamas qui en assure le contrôle,
n’aille plus, comme par le passé, dans les poches des gens du
Fatah.
Silvia Cattori :
En votant en faveur du Hamas, les Palestiniens voulaient que ces
gens du Fatah, s’en aillent. Le Hamas n’avait-il pas d’autre
choix que de les remettre en selle ?
Les dirigeants
du Hamas étaient soumis à une situation de blocage qui pénalisait
tout notre peuple. Ils ont simplement dû trouver une autre manière
de défendre les intérêts des Palestiniens. La situation était
si terrible ! Les gens ont faim. L’intérêt immédiat des
gens est d’avoir du pain, des salaires. Le Hamas ne voulait pas
le pouvoir. Le peuple a élu le mouvement Hamas parce qu’il
voulait qu’il prenne le contrôle de l’aide financière
et mette fin à la corruption des gens du Fatah. C’étaient,
chaque année, des centaines de millions destinés au peuple qui
disparaissaient. Maintenant, avec le Hamas présent dans le
Conseil législatif, même si le contexte reste difficile, il peut
y avoir un certain contrôle. Nous avons ici la conviction que le
Hamas est sorti plus fort de cette cruelle épreuve. Les
dirigeants du Hamas ont fini par apparaître aux yeux du le monde
également, comme des gens pragmatiques et sages ; ils ont réussi
à sortir du blocage sans toutefois se soumettre au chantage d’Israël,
qui exige qu’on reconnaisse ses droits alors qu’il n’a
jamais honoré ses engagements ni reconnu notre droit à exister
sur notre terre. Ici, la majorité des Palestiniens ont soutenu la
position du Hamas qui a su, dans les pires difficultés,
faire face.
Silvia Cattori :
Vous paraissez très optimiste. Ne pensez-vous pas qu’Israël et
ses alliés n’ont pas renoncé à leur projet d’en finir avec
la résistance palestinienne ? S’ils décidaient de
fomenter de nouveaux troubles pour diviser les gens ne peuvent-ils
pas réactiver à tout moment les milices financées et entraînées
à cet effet ? Que sont devenus des hommes comme M. Mohammed
Dahlan ?
Silvia Cattori :
Ces personnages sont toujours là, mais ils gardent un profil bas.
Ils ont maintenant un intérêt politique précis. Ils sont dans
la position de partenaires ; ils doivent partager la
responsabilité de la réussite du gouvernement d’unité
nationale ou son échec. S’ils devaient continuer de manœuvrer
pour empêcher ce gouvernement d’agir ils se mettraient
totalement à nu aux yeux du peuple.
Silvia
Cattori : Chaque jour, en Cisjordanie et à Gaza, Israël
humilie, enlève, assassine des civils. Les exécutions « ciblées »
ont repris à Gaza. Aucun Etat n’a protesté. Le Hamas ne pourra
jamais être en mesure de vous protéger, ni relancer une économie,
qu’Israël, grâce aux avantages qu’il a pu tirer d’Oslo, a
totalement détruite. Depuis les accords d’Oslo, c’est l’Europe
qui a la charge de payer les salaires des employés de l’Autorité
palestinienne. C’est le contribuable français, belge, qui paye.
Israël a jeté votre peuple dans la misère. Le Hamas avait refusé
cette logique d’Oslo qui a mis les Palestiniens dans une
situation de dépendance vis-à-vis de la communauté
internationale et qui dédouane Israël de ses responsabilités.
Selon les conventions internationales, l’occupant ne doit-il pas
assumer les besoins des populations occupées ?
C’est
l’horrible héritage d’Oslo que les Etats-Unis, l’Europe,
mais aussi la gauche et les mouvements de solidarité, nous ont
vendus comme étant une chance de paix honorable. C’est à cause
de son refus de collaborer avec Israël et de son rejet d’Oslo,
si catastrophique pour notre peuple, que le Hamas a gagné le cœur
de la majorité des Palestiniens. Vous avez raison de dire que
c’est Israël qui est responsable, qu’il devrait assurer à
notre peuple qu’il emprisonne et empêche de se développer, de
quoi vivre dignement sur sa terre. Ce n’est pas normal que ce
soient les citoyens européens qui doivent payer nos salaires.
Silvia Cattori :
Le 27 mars un réservoir de traitement des eaux usées a submergé
tout un village au nord de Gaza. D’autres réservoirs
risquent-ils encore d’inonder les eaux claires et les zones
habitées ?
Oui, les gens
sont effrayés. Ils vivent sous la menace que le plus grand réservoir,
d’une surface de 60 000 mètres carrés et de 13 mètres de
profondeur, n’inonde Betlaya. Il suffit qu’il pleuve un peu et
le réservoir qui n’est pas assez stable pourrait exploser. Ce
serait, au nord de Gaza, et pour une dizaine d’années, la
fin de l’agriculture et de l’eau, la fin de la vie. Il n’y a
pas de station de pompage et de filtration des eaux usées ;
cela coûte cher. Le réservoir qui était en construction est au
point mort depuis que les Etats-Unis ont coupé tout
financement. Gaza est surpeuplée. Et il n’y a pas assez
d’espace pour implanter une grande station d’assainissement
des eaux comme il le faudrait.
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